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par Stéphanie Fontaine, Antoine Champagne - kitetoa

Après Sylvie Goulard, Emmanuel Macron propose Thierry Breton...

Qui est visé par une plainte pour prise illégale d'intérêts

Le nom du patron d'Atos apparaît clairement dans une plainte contre X avec constitution de partie civile déposée par l'association Anticor le 27 septembre.

Thierry Breton - Marc Bertrand

En début de mois, le président de la République s'est fait renvoyer dans les cordes par le parlement européen, qui a sèchement rejeté la candidature de Sylvie Goulard pour être commissaire européen pour la France. Et ce, pour des considérations purement éthiques, celle-ci étant touchée par l'enquête judiciaire relative aux emplois fictifs du Modem. Emmanuel Macron a donc dû revoir sa copie. Chose faite ! Ce jeudi matin, on a appris qu'il avait proposé Thierry Breton, actuel patron d'Atos et ancien ministre de l'Economie et des Finances de février 2005 à mai 2007.

Pas dit cependant que la perle rare soit toute trouvée ! L'Elysée a beau soutenir à la presse que «  M. Breton a toujours fait preuve de rigueur pour éviter tout conflit d’intérêt » lorsqu’il était ministre, en se déportant des dossiers qui pouvaient le concerner, les faits sont loin de lui donner totalement raison... Reflets est ainsi en mesure de révéler que, le 27 septembre, l'association Anticor a déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile, pour délit de favoritisme et prise illégale d'intérêts, dans laquelle Thierry Breton est clairement visé... Ah ça, pour une surprise !

Dans cette plainte, Jérôme Karsenti, l'avocat d'Anticor y explique notamment que le ministère de l'Economie et des Finances a été «  un acteur central » de quatre marchés «  faramineux » passés entre l'Etat et des sociétés du groupe Atos. Or, son actuel PDG, Thierry Breton, et un autre de ses dirigeants, son ancien directeur de cabinet à Bercy, Gilles Grapinet, auraient pu, dixit la plainte de l'association anti-corruption «  influer sur la signature » desdits contrats quand ils étaient au ministère, «  constituants ainsi le délit de prise illégale d'intérêts tel que prévu et réprimé par les articles 432-12 et 432-13 du Code Pénal. ».

Les contrats publics dont il est question concernent le développement informatique du Centre National de Traitement (CNT) de Rennes, où transitent tous les PV routiers dressés en France, dont ceux du contrôle par les radars automatiques. Pour la plupart, ils ont duré plusieurs années, et se sont élevés à plusieurs centaines de millions d'euros. Thierry Breton, à l'époque où il était donc ministre, aurait réclamé à ce que certaines prestations fassent partie de l'un de ces futurs appels d'offres. Prestations qui sont allées grossir le contrat confié pour finir à la société Atos, dont il prend la tête en novembre 2008, soit l'année d'après son départ de Bercy.

Dans cette affaire, une enquête préliminaire est même déjà ouverte au Parquet national financier (PNF) depuis 2016, à la suite déjà d'un signalement d'Anticor. Sauf que depuis, pour Maître Karsenti, «  l'enquête est restée au point mort ! » L'association anti-corruption qu'il représente a donc décidé de saisir le doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris pour qu'une information judiciaire soit ouverte. Selon lui, «  un juge d'instruction pourrait être désigné avant la fin de ce mois d'octobre ».

Reste maintenant à savoir si les députés européens valideront cette candidature. Thierry Breton sera en effet auditionné dans les prochaines semaines par la commission parlementaire des Affaires juridiques. En dehors de la plainte d'Anticor, plusieurs éléments pourraient venir ternir cette candidature apparemment encore une fois discutable. Atos est en effet un fournisseur de l'Union Européenne sur plusieurs projets. En matière de conflits d'intérêts, ça fait désordre.

Atos choisi par l'UE  - Rapport annuel d'Atos 2018
Atos choisi par l'UE - Rapport annuel d'Atos 2018

A Bruxelles, s'il était accepté, le patron d'Atos détiendrait un portefeuille incluant la politique industrielle, le marché intérieur, le numérique, la défense et l’espace. Thierry Breton est certes un fin connaisseur du numérique. Et pour cela, une vieille connaissance de Reflets.

Le groupe Atos a en effet une longue carrière de fuite de données derrière lui, mais ce n'est pas de cela dont il est question aujourd'hui. Non, ce qui nous semble poser problème c'est le choix opéré par Thierry Breton lors de son rachat de Bull. Au lieu de demander à l'ancien propriétaire (qui l'avait acquis dans des conditions rocambolesques) de faire profil bas, Thierry Breton a choisi de le nommer vice-président Big Data et solutions de sécurité et CTO du groupe Atos. Bombarder Philippe Vannier au conseil d'administration est une décision loin d'être anodine. Car elle sonne comme une approbation de comportements éthiquement contestables.

Philippe Vannier sur le site d'Atos - Copie d'écran
Philippe Vannier sur le site d'Atos - Copie d'écran

Pour rappel, Philippe Vannier, à l'époque où il dirigeait la société Amesys (qui a racheté Bull, société elle-même ensuite reprise par Atos) a été l'artisan principal, avec l'appui du gouvernement français sous la présidence de Nicolas Sarkozy, de la vente à Kadhafi d'un système d'interception massif, lequel a permis de mettre sur écoute tout le trafic Internet de la Libye. Une procédure est ouverte devant le pôle crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Tribunal de Grande Instance de Paris. Cinq Libyens ont témoigné des actes de torture dont ils ont été victimes sur la base d'interceptions réalisées avec le matériel d'Amesys, dont la liste de clients ne se limitait pas à la Libye.

Making-Of

Nous avons proposé à l'Elysée et à Atos de réagir à nos informations. Ni l'Elysée, ni Atos n'ont répondu à nos demandes.

Pour la bonne compréhension de cet article, il est important de suivre tous les liens qui sont proposés.

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