Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Apparences, réalité, attention, Facebook et Twitter sont dans un bateau

On se demande qui tombe à l'eau...

L'époque est aux apparences, qui comptent plus que la réalité. Twitter ou Facebook jouent un rôle prépondérant, comme les agences de presse dans les années 80, et travestissent la réalité tout en faisant perdre de vue à ses utilisateurs les points d'attention nécessaires

Kim Phúc photographiée par Kim Phúc le 6 juin 1972 - Nick U - © AP

Drôle de mélange que celui qui gouverne l'information au XXIème siècle. Les plus vieux se souviennent de la loi de proximité qui contribuait à modifier la perception des événements. Ce qui est proche de nos lecteurs, les touche (intéresse ?) plus que ce qui est loin. Bilan, 10000 morts en Inde, c'est une brève ou un filet, le chien du président français qui se casse une patte, c'est un article de Une, coco. De cette loi, découle la hiérarchie de l'information. Chaque média classe les événements en fonction de leur importance, aux yeux du directeur de la rédaction. Les temps ont changé. Et ce n'est pas forcément mieux.

La course à l'immédiateté a nettement accéléré son rythme avec l'arrivée d'Internet et plus particulièrement des réseaux sociaux. Au siècle dernier, les agences de presse crachaient leurs dépêches sur des téléscripteurs, des gens découpaient à la main ces rouleaux infinis de papier et déposaient les dépêches sur les bureaux des journalistes. Ces derniers validaient l'information si besoin, prenaient des contacts pour les enrichir. Aujourd'hui, les dépêches papier ont laissé la place aux écrans depuis le milieu des années 90 et un tweet peut déclencher toute une série d'articles, sans que personne ne vérifie plus rien. Les canulars ne sont pas une nouveauté de ce siècle, mais leur réussite renforcée intrigue. Ainsi ce tweet annonçant la mort de Costa-Gavras qui a généré toute une tripotée d'articles et de lamentations.

Nous vivons dans un monde d'apparences et les contre-pouvoirs semblent s'en accommoder. La planète se meurt lentement. Polluée, exploitée au delà du raisonnable, brûlée, bétonnée, asphaltée, déforestée. Il est impossible de renverser la tendance. Tout le monde veut conserver son confort, là où il existe. Le smartphone (terres rares), la voiture (pétrole), les bouteilles en plastique et leurs délicieux sodas ou autres eaux minérales, les bâtiments toujours plus grands, plus hauts et leur consommation énergétique improbable, tout cela est un acquis. Pour apaiser les consciences, les gouvernants parlent d'écologie, de climat, promettent qu'ils ont enfin pris conscience de l'urgence, si l'on veut laisser quelque chose aux générations futures. Mais c'est l'apparence qui compte. La communication. Le message qui va s'imprimer dans les cerveaux : celui de gouvernements en lutte pour sauver l'environnement. On ne vend plus que des ampoules basse consommation. Mais personne n'a songé à interdire que les immeubles des entreprises dans lesquels il n'y a personne la nuit soient allumés à tous les étages. On illumine en grand toutes les villes et toutes les routes que l'on peut. On mène des guerres pour le contrôle énergétique, les civils payant le prix fort.

La réalité, c'est surtout une affaire de perception. Ce que l'oeil perçoit n'est pas toujours la réalité. Les trompe-l'oeil sont là pour nous le rappeler de temps à autres.

Peinture dans une rue par Gregor Wosik - D.R.
Peinture dans une rue par Gregor Wosik - D.R.

Depuis les années 90 également, même notre perception des êtres humains est modifiée.

Les récents "articles" qui ne visent qu'à attirer le chaland pour mieux lui afficher de la pub sur le mode "les stars avec ou sans maquillage" nous rappellent souvent que certaines femmes que nous croyons connaître n'existent pas. La même histoire serait d'ailleurs possible avec des hommes, mais cela attirerait peut-être moins de clics.

Kim Kardashian - D.R.
Kim Kardashian - D.R.

Cette image fait immédiatement référence à Kim Kardashian. Celle-ci, un peu moins, même s'il s'agit de la même personne :

Kim Kardashian - D.R.
Kim Kardashian - D.R.

Manu, le sauveur venu du nouveau monde

Au delà de ces exemples on peut s'interroger sur les mécanismes qui permettent de porter au pouvoir des présidents comme Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron ou Donald Trump, pour n'en prendre que quelques uns.

Quel storytelling, quel maquillage permet à un peuple qui n'est forcément pas composé que d'imbéciles, d'élire des personnes dont l'image est si différente de leur véritable personnalité ? Pourquoi l'histoire se répète-t-elle inlassablement ? Pourquoi les peuples voient-ils un "sauveur", celui qui va régler leurs problèmes, alors qu'ils élisent une personne qui va régler ses problèmes et ceux de ses amis ? Pourquoi les discours de ces hommes politiques, en décalage complet avec la réalité, les faits, les chiffres, passent-ils si bien, pourquoi sont-ils ensuite défendus aveuglément par des gens qui sont a priori loin d'être idiots ? Mystère et boule de gomme.

La démocratisation d'Internet a sans doute participé à la modification de notre perception de la réalité. Il faut désormais prendre le temps de vérifier trois fois une information avant de la retweeter ou de la partager sur Facebook, tant ces outils de communication ont été investis par ces clans ayant des intentions très personnelles pour la diffusion d'une information avec un angle très particulier. Les politiques, les communicants, ont compris qu'Internet était un média à la portée de n'importe qui, avec un "reach" (bienvenue dans la com') presque aussi important qu'un média traditionnel. Et il est bien plus facile de publier sur Twitter ou Facebook que dans Libé ou Le Monde.

Mais là encore, notre perception est biaisée par le bruit généré autour d'un post ou un autre. Quand un tweet atteint 50 RT, il passe plus ou moins inaperçu. Mais quand le même tweet, avec ses 50 RT est repris par un média classique et présenté sous un angle un tant soit peu scandaleux, l'affaire fait immédiatement boule de neige et s'étale partout, dans la presse classique et sur les réseaux sociaux. Aurait-il atteint le même nombre de personnes sans la presse ? Sans doute pas. La poule, l'oeuf, tout ça...

Un tweet de Donald Trump, c'est 26.000 RT.

Tweet de Donald - Copie d'écran - CC
Tweet de Donald - Copie d'écran - CC

Dans un pays qui compte 326 millions d'habitants, et pour un compte qui affiche 54 millions de followers... Ça ne fait pas grand chose finalement... Pour autant, ses tweets compulsifs et délirants atteignent des millions de personnes par la magie de la boule de neige.

Peut-on encore opérer notre propre hiérarchisation de l'information ?

Notre attention est captée par des algorithmes et par la presse qui peste contre lesdits algorithmes. Nous lisons ce que l'on nous donne à lire. Retour à la case départ : la loi de proximité et la hiérarchie de l'information.

Nous avons passé des semaines sans véritablement avoir l'occasion de nous intéresser au bombardement par la coalition menée par l'Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis d'un bus rempli d'enfants au Yémen. Or le rôle de la France, de la Grande Bretagne et des Etats-Unis dans cette guerre menée par Ryad dans un pays exsangue où les populations souffrent au delà du supportable, n'est pas neutre, loin de là.

Claude Angeli, ancien rédacteur en chef du Canard Enchaîné et fin connaisseur des "affaires" militaires françaises dresse un portrait désolant du Yémen : "sous-alimentation, choléra, pollution de l’eau, conditions sanitaires et hospitalières déplorables. Sur une population de 30 millions, plus de 22 millions ont en effet besoin d’une assistance humanitaire permanente.". Le même Claude Angeli a relevé dans un article du 1er août 2018, les inepties de la ministre des armées, Florence Parly :

Article de Claude Angeli du 1er août 2018 - Canard Enchainé
Article de Claude Angeli du 1er août 2018 - Canard Enchainé

Voici le verbatim du discours de la ministre. C'est à pleurer.

« _Compte tenu de la situation des civils au Yémen, nous ne vendons ni ne donnons d’armes aux Houthis, contrairement à l’Iran, et nous n’octroyons des licences à la coalition arabe que de façon millimétrée, grâce à une procédure de contrôle renforcée.

Nos armes peuvent-elles avoir un impact sur les populations ? Pour répondre à cette question, il faut distinguer le passé et le présent.

Par le passé, nous avons livré des équipements terrestres aux Émirats arabes unis et à l’Arabie saoudite. Comme il n’est pas possible de récupérer des armes déjà livrées, on peut légitiment s’interroger sur l’usage qui en est fait. À ma connaissance, les équipements terrestres vendus à l’Arabie saoudite sont utilisés non pas à des fins offensives mais à des fins défensives, à la frontière entre le Yémen et l’Arabie saoudite.

Pour ce qui est du présent, lorsque nous sommes amenés à prendre des décisions sur la poursuite de contrats passés, nous nous posons plusieurs questions, à commencer par celle de savoir s’il faut y mettre un terme dans l’hypothèse où les armes seraient utilisées de mauvaise façon. Pour autant, cela ne doit pas nous conduire à laisser sans défense face à leurs adversaires des pays avec lesquels nous avons noué des accords de partenariat. N’oublions pas que les Houthis ont tiré des missiles balistiques vers Ryad, qu’ils ont détruit des navires de guerre émiratis avec des navettes suicides et qu’ils mènent des attaques contre les navires en mer Rouge.

Si des armes ont été vendues dans le passé à cette coalition, c’est qu’il y avait de bonnes raisons à cela, rappelons-le.

Il y a d’abord la protection de nos intérêts directs de sécurité : 30 000 ressortissants français vivent dans cette zone, 14 000 de nos militaires sont basés aux Émirats arabes unis et des accords de défense nous lient avec les Émirats arabes unis, le Qatar et le Koweït.

Il y a ensuite la stabilité de la région. La population de l’Iran est supérieure au total des populations de tous les pays de la péninsule arabique. Si l’aviation des pays du Golfe est supérieure à celle de l’Iran, les forces terrestres en Iran sont bien plus importantes et ses forces navales bien dotées.

Il y a bien sûr la lutte contre le terrorisme. N’oublions pas qu’Al-Qaïda dans la péninsule arabique représente une menace directe contre la France puisque c’est cette organisation qui a commandité l’attentat contre Charlie Hebdo. Son emprise territoriale est très dangereuse tout comme celle de Daech. En dehors des Américains, qui lutte contre cette organisation ? Ce sont les Émirats arabes unis, qui utilisent des Mirage. Compte tenu du fait que cette menace s’est déjà tournée directement contre nous, nous devons avoir cette préoccupation à l’esprit.

Il y a enfin la protection de la libre circulation dans cette zone absolument essentielle pour le transport des hydrocarbures.

Quant aux ONG, elles font leur travail. Elles constatent qu’il y a des canons CAESAR dans la région et se demandent s’ils ne sont pas utilisés pour tirer contre les populations. Je peux répondre qu’à ma connaissance, ces canons ne sont pas déployés au Yémen mais qu’ils occupent des positions défensives à la frontière sud de l’Arabie saoudite, face aux rebelles houthis qui cherchent à pénétrer sur le territoire saoudien. Dès lors, je pense qu’il n’y a rien à redire : c’est un État qui se protège et qui se défend.

Les ONG se demandent aussi si la France, qui a des relations avec l’Arabie saoudite, n’a pas l’intention de lui vendre des armes. Parlons de ce qui existe. Nous verrons si de nouveaux contrats seront ou non conclus avec ce pays ou avec les Émirats arabes unis, deux pays avec lesquels nous avons une longue tradition de discussions en matière d’armement.

Bien entendu, la situation géopolitique est extrêmement inquiétante, mais je crois que la France peut s’enorgueillir d’avoir un dispositif de contrôle très strict de ses exportations d’armement._ »

A pleurer parce que la réalité du Yémen, c'est ce bombardement pour lequel nous n'avons trouvé qu'une dépêche française et une couverture médiatique minimaliste. Celui d'un bus contenant des enfants. Quarante sont morts dans ce bombardement. La bombe était américaine. Elle a été envoyée par l'Arabie Saoudite. Mais comme l'expliquait Florence Parly, c'était sans doute pour se défendre contre les méchants terroristes. C'est en tout cas ce qu'affirmait la coalition avant de reconnaître finalement une sorte d'erreurhorreur...

Il fut un temps où les peuples sortaient dans la rue pour dénoncer les guerres injustifiables. Aujourd'hui on tweete ou on poste sur Facebook. Et rarement sur ces conflits oubliés. Beaucoup plus sur les frasques du pouvoir, les starlettes maquillées ou les chatons. Autre temps autres moeurs.

Jan Rose Kasmir face aux militaires Américains à Washington en 1967 - Marc Riboud - © Magnum
Jan Rose Kasmir face aux militaires Américains à Washington en 1967 - Marc Riboud - © Magnum

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