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par Antoine Champagne - kitetoa

Anonymat sur Internet : le gros mensonge des politiques

Qui ne résiste ni à l'analyse technique, ni à la réalité judiciaire

Au moindre incident sur les Internets les politiques fustigent « l'anonymat » qui permettrait tous les abus. Un discours qui ne tient pas la route une seconde. Enième explication...

Damien Abad (LR), dernier politique en date à se rendre ridicule

Chers hommes et femmes politiques, vous êtes des menteurs. Et récidivistes qui plus est. Le moindre dérapage sur un réseau social, la moindre publication discutable sur les Internets et c'est le drame, le moindre article qui en rend compte, vous voici vent debout, crachant dans chaque micro complaisant qui vous est tendu, qu'il faut légiférer contre « cet anonymat sur Internet et les réseaux sociaux, ouvrant la porte à toutes les dérives qui foulent au pied notre démocratie et font planer une ombre ténébreuse sur la lumière dont nos libertés nous inondent. Serrons-nous les coudes pour rester debout face à la violence des réseaux sociaux et opposons-leur notre regard muet de mépris ! » (Merci au Maire de Champignac pour l'inspiration).

Ces arguments, votre volonté de tordre le cou à un anonymat supposé dont serait mystérieusement dotés les internautes, ne résistent ni aux aspects techniques qui sous-tendent ce réseau, ni à la réalité judiciaire. A tel point que dans 18 paragraphes, vous allez être ridicules.

Et pour que chaque internaute puisse vous opposer des arguments lorsque vous déclamerez à nouveau cette antienne, nous allons vous expliquer ici pourquoi tout ça ne tient pas la route une seconde. Cela vos permettra aussi, si vous lisez ces lignes d'éviter, à l'avenir, de vous ridiculiser.

Vazy, je peux pas te joindre, j'ai pas ton 06 !

Amis politiques, avez-vous déjà essayé de joindre un correspondant par téléphone dont vous n'auriez pas le numéro ? Ça ne marche pas. En effet. Figurez-vous que sur Internet, c'est exactement pareil.

Dès qu'il se connecte au réseau, votre appareil se voit attribuer un numéro. Dans le jargon local, on dit souvent une adresse IP, comme Internet Protocol. Cela vaut pour votre ordinateur, votre caméra dans votre salon dont vous consultez le flux sur votre téléphone, votre frigo connecté, et même dans une certaine mesure, votre téléphone. Cette adresse, ce numéro, identifient le détenteur de l'appareil. Votre fournisseur d'accès au réseau vous attribue une adresse et va noter dans un coin, pour une durée plus ou moins longue (souvent un an) à qui il l'a attribuée. Bien sûr, pour vous facturer, il a vos coordonnées bancaires et physiques, vous êtes donc parfaitement identifiable par ce biais.

Mais ce n'est pas tout. Dès que votre appareil connecté au réseau va commencer à interagir avec d'autres machines, il va se mettre à parler. Et il va raconter des tas de choses qui vont être, elles aussi, notées dans un coin. Explication. Imaginons que vous vous connectez sur un réseau social avec votre ordinateur en utilisant le pseudo hyper anonyme « GéGéDu92 ». Le réseau social va noter immédiatement (et pour une durée à peu près aussi longue que votre FAI) l'adresse IP qui le contacte (la votre, qui vous identifie aussi précisément que votre numéro de téléphone, on vient de le voir). Mais il va aussi noter d'autres détails comme la taille de votre écran, la version et le nom de votre navigateur, toutes les choses que vous ferez sur le réseau social (poster des commentaires, en lire d'autres), etc. Ces informations vous trahiront également, cher GéGéDu92...

Mais nous vous voyons venir amis politiques avec vos arguments tirés d'un emballage Carambar. Et si, l'utilisateur est muni d'un VPN ? En effet, le VPN permet à l'utilisateur de se voir attribuer une adresse IP différente de celle qu'il utilise pour se connecter au réseau. GéGéDu92 va donc se voir attribuer une IP en Laponie alors qu'il est confortablement avachi dans le canapé, dans le salon de ses parents à Chambrois-Les-Lorettes. Ah ! Le voilà notre anonyme. Oui, mais non. Car si une procédure judiciaire était enclenchée pour savoir qui est ce GéGéDu92 qui insulte tout le monde depuis la Laponie sur notre réseau social préféré, sa véritable adresse IP serait révélée. Il suffi que les enquêteurs demandent poliment au fournisseur de VPN par la magie des réquisitions judiciaires. Pas du tout, nous rétorquerez-vous, avec la mauvaise foi qui vous caractérise, il y a des fournisseurs de VPN qui ne gardent aucune trace, c'est même leur argument commercial. Alors là, ce ne sont pas des connaissances techniques qui vous font défaut. Vous avez des lacunes en entrepreneuriat de base. Comment croyez-vous que le fournisseur de VPN « qui-ne-garde-aucune-trace » fait pour facturer GéGéDu92 ?

À ce stade, un peu en manque d'arguments, et sentant approcher le moment où vous allez être ridicules, les plus hardis d'entre-vous vont s'aventurer sur le terrain du darkweb des tréfonds du Net. On vous voit venir... Il nous semble inutile de barber le lecteur avec des arguments qui ont été largement développés ailleurs sur le site. Nous allons donc vous renvoyer sur nos articles traitant de la désormais star d'Internet, l'Agence H. Tor n'est pas une garantie d'anonymat. La preuve, l'Agence H est devenue célèbre alors que son employé voulait justement rester anonyme en utilisant ce réseau. Une vraie réussite, digne d'un discours de Marlène Schiappa.

Ce que met en évidence l'épisode gaguesque de l'Agence H, c'est qu'aujourd'hui, prenez-en note, amis politiques, à part quelques informaticiens de talent, il est quasiment impossible pour un utilisateur lambda de rester anonyme plus de quelques instants sur Internet.

Bien entendu, il en restera toujours quelques-uns parmi vous qui voudront à tout prix prouver, explication techniques complexes à l'appui que l'anonymat est de mise sur Internet. N'hésitez pas, dans ce cas, un opérateur Reflets prendra alors votre demande en compte et se chargera de vous transformer d'un coup de clavier magique en clown du Net pour l'éternité.

Coucou, c'est la police, il est 6H, on a apporté les croissants...

Sur un plan technique, nous avons vu qu'il est quasiment impossible de rester anonyme. Plus on va interagir sur le réseau, plus les chances de le rester vont s'amenuiser. C'est d'autant plus certain que même de très bon hackers se font pincer par la police et après une longue enquête journalistique, nous sommes en mesure de révéler que la police ne trouve pas les « pirates du Net » comme GéGéDu92 avec des incantations Vaudou. Alors justement, comment ça se passe « l'anonymat » du côté judiciaire ?

Amis politiques, on vous sait très Saint-Thomas et nous avons tenu à vous fournir des exemples issus d'affaires réelles, même si nous avons bien entendu, vu le sujet (l'anonymat), anonymisé tout cela avec de gros traits noirs.

Voici par exemple le type de document qui va permettre aux enquêteurs de demander à un gros fournisseur de services, y compris à l'étranger, de conserver les données d'un de ses utilisateurs pour les besoins d'une enquête en cours.

Monsieur Yahoo, il va falloir garder les données de ton utilisateur
Monsieur Yahoo, il va falloir garder les données de ton utilisateur

Par la suite, les enquêteurs vont demander à Yahoo de s'exécuter.

Allez hop Yahoo, tu t'exécutes
Allez hop Yahoo, tu t'exécutes

On entend souvent que les géants de la tech se contrefoutent des demandes de la justice des mangeurs de fromages et qu'ils répondent si bon leur semble. C'est parfaitement faux et d'ailleurs dans le cas d'affaires terroristes, ils répondent très rapidement.

Ici Google répond à une demande de la justice française :

OK Google ! File les infos !
OK Google ! File les infos !

Le détail des retours de Google est plus ou moins important selon la demande formulée. D'où l'intérêt de disposer d'enquêteurs techniquement au point.

Google Verbose
Google Verbose

Ce type de demandes marche même avec le réseau social des petiots :

Yoh le Snap, file les infos !
Yoh le Snap, file les infos !

Même avec le réseau social des boomers (celui de la plupart d'entre-vous, amis politiques), cela marche, si la demande est faite poliment, c'est à dire avec une réquisition correcte :

Facebook et les données personnelles, toute une histoire, un éternel recommencement.
Facebook et les données personnelles, toute une histoire, un éternel recommencement.

Et voilà ami politique. Te voilà ridicule.

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