Journal d'investigation en ligne
par Antoine Champagne - kitetoa

Anonymat sur Internet : Darmanin... porte quoi !

Le ministre met ses pas dans ceux des plus gros incultes numériques et il y a des raisons à cela.

Ils sont tellement nombreux, depuis l'arrivée d'Internet à pester contre un supposé « anonymat », contre une « zone de non droit » supposée. Rien de tous cela n'existe et cela a été démontré mille fois. Mais on ne renonce pas à le faire à nouveau, histoire de tourner en ridicule le nouveau ministre de la justice.

Gérald Darmanin - Jacques Paquier - Wikipedia - CC BY 2.0
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Ça manquait à son palmarès. Gérald Darmanin, qui s'était déjà illustré avec « les messageries cryptées comme Wazzaaaap » va s'attaquer avec ses gros muscles à l'affreux anonymat qui prévaut sur Internet et au fait que bien sûr, il s'agit d'une zone de non droit. Et pour cela, il a une solution : imposer à chaque Français une « identité numérique propre ».

Il s'en explique dans Le Parisien :

« Dans les semaines qui viennent, nous nous intéresserons à l’anonymat sur les réseaux sociaux. Au ministère de la Justice, nous considérons que la fin de l’anonymat sur les réseaux sociaux est d’une importance capitale dans la lutte contre la pédocriminalité, le trafic de drogue, le cyberharcèlement… Reprenons la proposition du député Paul Midy déposée il y a quelques mois, pour que chaque citoyen français ait une identité numérique propre, qui permette aux enquêteurs de remonter à l’auteur de l’infraction. Pourquoi les réseaux sociaux seraient le seul endroit où l’expression ne serait pas conforme aux règles de la République ? On sait qu’une grande partie de la délinquance et de la criminalité est aujourd’hui numérisée. Internet doit cesser d’être une zone de non droit. »

Bon... Commençons par démonter les arguments du ministre avant de s'intéresser à son propre anonymat et pseudonymat sur les Internet. Paul Midy, sors de ce corps !

On va faire court parce que les redites, ça consomme de l'octet et c'est mauvais pour la planète.

Résumons : la loi est bien faite et il est quasiment impossible d'être anonyme sur Internet. On voit d'ici quelques geeks soulever des Protonmail, des Tor et autres gags du genre (cliquez sur les liens, vous allez bien rigoler). Et puis quelques experts cette fois qui vous diront (ils ont raison) qu'ils peuvent être anonymes. Il y a un exemple : le New York Times hacké par Hacking for Girliez. Jamais retrouvés. Ou plutôt, jamais poursuivis. Car il n'est pas impossible que les auteurs de ce gag mémorable aient été des personnes intouchables aux États-Unis à cette époque-là. Bref... On peut être anonyme, quelques minutes, mais au prix d'un effort technique tel que cela ne concerne qu'une part infime de la population. Et encore. Leur anonymat ne résistera pas si l'État y met les moyens et le temps nécessaire, ce sont les experts qui le disent.

La loi, c'est plus fort que toi, nous l'avons écrit dans ces colonnes tant de fois (ici ou ). Vous vous pensez anonyme parce que caché par un VPN, une machine hackée qui fait proxy, Tor ? Vous avez tort.

Une infraction ? Une plainte pour cette infraction ? Si elle est suivie, il y aura une réquisition qui fera voler en éclats toute tentative d'anonymat ou de pseudonymat. Nous avions expliqué cela de long en large dans cet article. Si Gérald Darmanin veut lutter contre les pédophiles, les trafiquants de drogue ou les cyber-harceleurs, il ferait mieux de donner des moyens humains à la Justice qui se meurt, comme la Santé et le reste des services publics.

Allez hop Yahoo, tu t'exécutes
Allez hop Yahoo, tu t'exécutes

Quant au pseudonymat, c'est un non sujet. Par principe, un pseudonyme s'évente très simplement. Par ailleurs, c'est une pratique courante depuis la nuit des temps pour tous ceux qui s'expriment publiquement, journalistes ou écrivains, artistes. Devrait-on avoir un régime particulier pour les autres citoyens ?

Maintenant que l'on est d'accord sur le fait qu'il n'existe pas d'anonymat sur Internet, encore moins de pseudonymat, passons au reste.

Gérald Darmanin reprend une idée de Paul Midy, que nous avions étrillé ici. Nous avions expliqué que, sans la puissance de la justice ou de l'État, nous avions pu trouver des informations très précises sur celui qui dénonçait « l'anonymat sur Internet ». Comme son numéro de portable qui finit par 39, ses comptes Insta, Whatsapp, Facebook, Skype. Son numéro de portable chez McKinsey se terminant par 86. Ou son portable acheté aux Émirats arabes unis. En matière de comptes mail, il y avait profusion : un mail chez Hotmail, un compte mail chez Mckinsey.com et un mail chez Gmail pour la souveraineté. Mais aussi un mail à Polytechnique, un autre chez Jumia.com, un chez Parisdigitale et un chez Jovago. On avait retrouvé son compte Myspace. Mais aussi ses comptes sur des sites de rencontre. Sur l'un d'entre eux, il utilise un mail rigolo qui lui sert également pour gérer un faux profil sur Linkedin. Le pseudonymat et l'anonymat, c'est un leurre. Son adresse personnelle a quant à elle fuité dans le leak d'un site marchand français bien connu.

Moralité : il n'y a ni pseudonymat, ni anonymat sur Internet. Soit les politiques qui agitent cela comme un chiffon rouge ne le savent pas et ils démontrent qu'ils sont un peu incultes dans ce domaine, soit ils le savent et sont de très mauvaise foi.

Peut-on faire le même exercice pour le ministre de la justice qui reprend le flambeau et pense qu'anonymat et pseudonymat sont des plaie des Internets, qui empêchent de savoir qui se cache derrière un écran ?

Voyons voir...

Gérald Darmanin a une société de conseil. Étant une personnalité politique, il est aisé de trouver le nom de son ex-femme, de son épouse et de ses parents. Ses mails personnels sont chez icloud et hotmail. Pour la souveraineté numérique, évidemment. On trouve sur les Internets deux téléphones portables à son nom dont l'un finit par 85 et l'autre par 22 et enfin, le portable de l'ancien maire de Tourcoing qui lui est relié. Il a eu un compte Deezer avec lequel il a écouté plus de 630 heures de musique. Au moins 4 de ses mots de passe ont fuité dans différents leaks, dont un qui est composé de son prénom et de sa date de naissance, un grand classique. Son adresse mail de la ville de Tourcoing a laissé de très nombreuses traces numériques.

Bref, si même l'ancien ministre de l'intérieur et désormais ministre de la justice n'est pas anonyme (à ce point) sur les Internets, on se demande qui peut bien l'être et quel intérêt y aurait-il à faire passer de nouveaux textes pour empêcher quelque chose qui n'existe pas.

Reste la fameuse idée d'une « identité numérique propre »...

C'est, sans doute, un reste de sa période au ministère de l'intérieur, que ce besoin de mettre en fiches les Français ? Nous en parlions il y a peu, il y a plein de belles entreprises françaises qui n'attendent que cela, avec le secret espoir de pouvoir engranger des contrats en dizaines ou centaines de millions d'euros... Et puis, une fois l'extrême-droite au pouvoir, ce sera tellement pratique ce fichier des Français... Il y a un précédent.

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