Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Joël Auster

Solarezo, ex-fleuron de l'énergie solaire, fait encore des étincelles dans les Landes

Conte de fées ou mauvais western ?

La société Solarezo avait pour ambition, il y a dix ans, de devenir un acteur majeur du « solaire made in France » en reprenant une usine du géant Sony dans les Landes. Placée en liquidation judiciaire au bout de trois exercices, sa déconfiture n'a pourtant pas fait que des malheureux.

Cables électriques en pleine forêt des Landes, janvier 2021 - Joel Auster

L’histoire avait tout d’un beau conte de fées industriel qui fleurait bon les « énergies vertes ». En décembre 2009, la société lyonnaise Solarezo est accueillie à bras ouverts à Pontonx-sur-l’Adour, près de Dax (Landes), lorsqu’elle est choisie comme repreneur d’une usine de cassettes vidéo que le géant japonais Sony a décidé de fermer après vingt-cinq ans d’exploitation. L’arrêt des machines laisse 320 salariés sur le carreau. Solarezo bénéficie du soutien de l’industriel local DRT (qui en contrôlera près de 48%), champion des produits chimiques dérivés de la résine de pin, grande richesse de ce territoire. Sur le site de Pontonx, Sony avait déjà débuté une reconversion dans la production de panneaux solaires. Solarezo promet de maintenir des emplois et de mettre le paquet sur le photovoltaïque, un filon d’avenir en région Aquitaine, de quoi être présent sur toute la filière : des panneaux aux centrales, pour faire du « solaire made in France ».

En réalité, le conte de fées va vite tourner au mauvais western. La société sera finalement placée en liquidation judiciaire trois ans plus tard, le 28 août 2013. Et un conflit larvé oppose depuis 2014 deux anciens dirigeants de Solarezo (dont l’ex-PDG) à la Sepanso, la principale fédération de protection de la nature en Nouvelle Aquitaine. Les défenseurs de l'environnement sont parvenus à faire annuler par le conseil d’État des transferts de permis de construire qui laissent penser que certains ont profité plus que d’autres de la déconfiture de Solarezo.

Il faut dire que dans la région, les écolos ont appris à se méfier de l’affairisme qui s'est doucement installé dans les énergies renouvelables. En Nouvelle-Aquitaine, qui produit 25% de la puissance nationale, le solaire est devenu un eldorado difficile à critiquer, surtout venant de mouvements écologistes. Pourtant, particulièrement dans les Landes, les « énergies vertes » ne le sont qu’à moitié : l’énorme majorité des parcs photovoltaïques géants s’est construite sur les débris de milliers d’hectares d’espaces naturels et forestiers, comme l'a décrit en détail le site Reporterre en janvier 2021. Du pin des Landes contre du courant durable? Plutôt mauvais, le bilan carbone. Surtout que seulement 15% des centrales d’Aquitaine sont installées sur des sites déjà artificialisés (hangars, parking ou usines désaffectés) (1). La Sepanso en est d’autant plus furieuse qu’un rapport de l’Agence de l’énergie (Ademe), en avril 2019, avait identifié les Landes et la Gironde comme les deux départements les mieux fournis de France en sites désaffectés pouvant abriter des centrales solaires sans avoir à ravager la forêt ! (2).

« Ici l’intégralité des 50 ha occupés par les panneaux solaires s’est construit sur une zone boisée : il a fallu tout couper ! » lâche Jean Dupouy, l'un des militants bénévoles de la Sepanso des Landes à s’être très tôt intéressé à la déconfiture de Solarezo. Dans la commune où il réside, Ygos-Saint-Saturnin, deux belles centrales électriques solaires ont ouvert l'an dernier, d'une capacité de 25 MW.

Ce qui semble relever du système métrique et du flou de paroles lointaines, prends une toute autre dimension lorsque que l'on rapporte le discours à la réalité du terrain: 50 hectares de déforestation, c'est tracer une ligne ininterrompue de panneaux solaires entre Paris et le parc naturel des Landes. Soudain, les soucis de la petite commune rurale d’Ygos-Saint-Saturnin ne nous paraissent plus aussi éloignés des problèmes nationaux liés à la transition énergétique.

50 ha en ligne droite, c'est long... - © Reflets - CC
50 ha en ligne droite, c'est long... - © Reflets - CC

« On a trouvé étrange, nous raconte-t-il, que ce projet de centrale, dont les permis de construire avaient été déposés par Solarezo, ait encore été en développement bien après la faillite de la société »

A Ygos-Saint-Saturnin, il était aussi question que Solarezo, histoire de diversifier ses activités "durables", ouvre une "centrale biomasse", destiné à produire un autre type de courant pas vraiment vert : un gros four à bois. Autant valoriser une dernière fois les débris des forêts déchiquetées par les centrales électriques. En cendres, tout devient possible.

Malgré tout, la bulle de l'énergie solaire satisfait beaucoup de monde en Aquitaine, promoteurs aux dents longues comme collectivités locales. D’abord, selon un agent de l'ONF qui a fait ses calculs devant nous, chaque commune propriétaire de forêts peut gagner entre deux et trois fois plus en louant le foncier des bois communaux aux promoteurs photovoltaïques plutôt que d’exploiter le bois. Et pour toute centrale installée au sol, une redevance (IFER) doit être versée par l’exploitant, à 50/50, au département et à la Communauté de communes concernés. Pour une centrale moyenne de 20 MW, cela représente une somme annuelle de 156.000€. Autant dire que cela brasse des millions d’euros par an dans la seule région Aquitaine... (3)

Chantier de la centrale Ygos-2, propriété d'Engie, en janvier 2021 - Joel Auster
Chantier de la centrale Ygos-2, propriété d'Engie, en janvier 2021 - Joel Auster

Le mythe d'une énergie solaire « made in France »

Quand Solarezo et Laurent Giraud débarquent en sauveur dans les Landes fin 2009, les promesses d’aides publiques se multiplient. Même s’il est difficile de savoir aujourd’hui combien ont été réellement encaissées (4). Surtout que ces aides dépendaient des engagements de la société en matière de création d’emploi. Qui n’ont, ô surprise, pas été tenus : l’objectif affiché était d’avoir 200 salariés la deuxième année ; finalement cela sera deux fois moins. En juin 2013, les effectifs étaient de seulement 81 salariés, dont la moitié affectée au site d’assemblage des panneaux dans l’ex-usine Sony.

Question stratégie, le patron disait vouloir investir sur deux axes : la production industrielle de panneaux et l’exploitation de centrales, pour laquelle Solarezo devait être « apporteur d’affaires ». Deux métiers finalement assez éloignés. Gérer un site industriel étant bien plus gourmand en capitaux et en main d’œuvre.

Mais alors, pourquoi Solarezo a-t-elle échoué ? À l’époque, le PDG Laurent Giraud met en cause la frilosité des banques et dénonce un mauvais coup des autorités. En 2010, le gouvernement Fillon décide en effet d’appliquer un moratoire sur la subvention de l’État sur le prix d’achat du « Kwh solaire ». Ce qui a fragilisé l’activité d’exploitation mais n’avait aucun effet direct sur la production de panneaux solaires. D’autant que la presse de l’époque faisait état, au moment du dépôt de bilan, d’un carnet de commande bien rempli pour Solarezo : 55 millions d’euros (5). De plus, des observateurs du marché nous ont fait remarquer qu’une autre usine de panneaux solaires de la région n’a pas eu les mêmes soucis pour maintenir son activité : celle du groupe Fonroche, à Roquefort (Lot-et-Garonne), ouverte en 2008. Après avoir changé de propriétaire en 2017, elle reste encore en activité aujourd’hui (6).

Nous avons retrouvé un ancien salarié de Solarezo, embauché en 2010. Nous l’appellerons « Cédric ». Il nous confie que la production de panneaux consistait surtout à assembler des modules importés, même si le label « made in France » pouvait s’afficher sur les produits finis. Il ajoute que pour lui, cet échec industriel ne peut pas s’expliquer par des contraintes conjoncturelles comme la fin du moratoire.

« Sony avait déjà commencé à convertir son site pour fabriquer du photovoltaïque avec une ligne de fabrication manuelle », explique-t-il. « De mi-2010 à début 2011, c’est la ligne Sony qui a fonctionné, à une cadence très faible. La nouvelle ligne a été inaugurée un an après, en 2012, et encore elle ne fonctionnait que partiellement. À ma connaissance, Solarezo n’a produit des panneaux solaires que pendant un ou deux mois (en cumulé, ça s’est étalé sur huit mois je dirais). Une chose est sûre : hormis l'achat de la nouvelle ligne, aucun investissement n’a été fait. Et puis le site de Pontonx était clairement surdimensionné : un tiers seulement était exploité par la production PV. Les coûts de maintien en état des bâtiments étaient trop conséquents. Faire tourner le site coûtait plus cher que d'importer du panneau chinois. »

Les panneaux qui cachent les centrales

Mais derrière l’échec industriel, Solarezo n’a pas été une si mauvaise affaire. En tous cas, pas pour tout le monde. Certains dirigeants et actionnaires ne se sont pas oubliés.

En juin 2010, la société était contrôlée par le PDG actionnaire (26%), son partenaire industriel DRT (47,5%), et de deux investisseurs plus discrets que nous retrouverons plus loin dans notre récit : un fonds de pension allemand avec 26%, Complex Consult Gmbh, et la société familiale de Laurent Giraud, Alcima SARL, avec 1%.

Quatre centrales solaires issues des bureaux d’études de la société ont tout de même pu sortir de terre des années plus tard : deux tranches à Garein et deux tranches à Ygos-Saint-Saturnin, deux communes proches de Mont-de-Marsan, la préfecture des Landes. Et même cinq, puisque la société avait ouvert la centrale de Rudnik, dans la ville de Burgas en Bulgarie, comme l’attestent des articles de presse datant de juillet 2012 (voir encadré).

Carte des centrales solaires Engie Green dans les Landes - map : engie-green.fr/dans-votre-region
Carte des centrales solaires Engie Green dans les Landes - map : engie-green.fr/dans-votre-region

Pour exploiter les quatre centrales françaises, Solarezo avait créé quatre sociétés distinctes : Horizon Energies pour Garein 1, centrale mise en service en février 2015, trois autres sociétés estampillées « Rezo 24 » pour les trois autres (Ygos 1 et Ygos 2, mises en service tout récemment, en juillet 2021, et enfin Garein 2, prévue d’ouvrir courant 2022). Solarezo les contrôlait à hauteur de 51 %.

Ces participations, en France comme en Bulgarie, n’ont pourtant pas été comptabilisées dans l’inventaire d'actifs valorisables effectué après la liquidation judiciaire. Et n'ont donc pas pu contribuer à renflouer la société et rembourser ses créanciers. Son bilan comptait plusieurs millions d'euros de passif, comme nous le verrons plus loin.

La pépite de le mer noire

La centrale électrique de Rudnik, située sur la commune de Burgas au bord de la mer Noire en Bulgarie, a été mise en service à l’été 2012. C'est la première réalisation concrète de Solarezo durant sa courte existence. Les panneaux viennent même de l'usine de Pontonx. C'est une centrale de taille très moyenne : surface 5 Ha, capacité 3 MW, production attendue 4,1 MWh par an. Il parait que le terrain n'a pas eu besoin d'être défriché, il a juste été « nettoyé ». M. l'ambassadeur de France, et son attaché économique, se sont déplacés pour l'inauguration du site en juillet 2012.

Emplacement et images de la centrale de Rudnik - CNES / Google / Reflets
Emplacement et images de la centrale de Rudnik - CNES / Google / Reflets
Une filiale, Solarezo Europa, contrôlée à 100 % par la maison mère, avait été créée en Bulgarie fin 2011 pour exploiter cette centrale. D’après les registres du commerce bulgare, l’exploitant est aujourd’hui la société Watt Burgas. Ses actionnaires ? A 80% le groupe DRT, le spécialiste de la résine de pin qui détenait près de la moitié du capital de Solarezo. Le reste entre les mains de deux personnes physiques représentantes du fameux fonds de pension allemand, Complex Consult Gmbh, qui contrôlait le quart du capital de Solarezo jusqu'à sa liquidation. Cet actif bulgare n’a pas non plus fait partie de l’inventaire dressé par le liquidateur judiciaire. La centrale avait-elle été revendue bien avant le dépôt de bilan ? Était-ce une sorte de compensation, une manière de rentrer dans leurs frais après avoir investi à perte dans Solarezo ? Contacté, le groupe DRT n'a pas répondu à nos questions.

En ce qui concerne les quatre centrales en gestation dans les Landes, deux anciens dirigeants de Solarezo apparaissent parmi les seuls bénéficiaires de transactions réalisées des années après. Il s’agit du PDG Laurent Giraud et de son ex-directeur du développement, Bernard Laffitte, qui figurait parmi les trois plus gros salaires de la société (6.000€ mensuels).

La première centrale, Garein 1, qui a produit de l’électricité dès l’année 2015, est la seule (avec celle de Bulgarie) à s’être réellement fournie en panneaux « made in France » assemblés dans l’usine de Pontonx. Deux filiales du Crédit agricole, ainsi que la Caisse des dépôts (un des bras financiers de l’État) sont devenus actionnaires, en 2012 et 2016, et ont revendu leurs parts en 2018— pour un montant indéterminé — à un grossiste de l’énergie solaire, le groupe Tenergie (qui revendique un portefeuille de plus de mille centrales dans le pays).

Les trois autres centrales sont tombées, en 2019, dans l’escarcelle de Engie Green, division « énergies vertes » du géant Engie. Selon nos informations, Engie a mis sur la table plusieurs millions d’euros pour les acquérir (2,8 millions pour la plus importante tranche de Ygos). Et les deux vendeurs étaient des sociétés liées à Laurent Giraud et Bernard Laffitte.

Les défenseurs de l'environnement l’ont d’autant plus mauvaise qu’ils ont gagné un long procès devant la justice administrative pour faire annuler des transferts de permis de construire. Sans permis, aucune centrale ne peut en effet sortir de terre. Mais le business est allé plus vite que la justice.

« Quand on a repéré des irrégularités dans les transferts de permis de Solarezo, après la liquidation de 2013, nous avons déposé un recours devant la justice administrative, poursuit Jean Dupouy. On a gagné trois fois, jusqu’en cassation, devant le Conseil d’État (détails plus loin) et pourtant tout a continué comme si de rien n’était. Ils ont récupéré les permis par le biais de la juridiction commerciale. C’est aberrant ! »

Accès à un chantier de centrale solaire à Rion-des-Landes - Joel Auster (2021)
Accès à un chantier de centrale solaire à Rion-des-Landes - Joel Auster (2021)

Permis de construire fantômes ?

Quand une société dépose le bilan, le tribunal de Commerce compétent (en l’espèce, celui de Dax) désigne un mandataire, qu’on appelle le liquidateur judiciaire. Il est chargé d’administrer la société en limitant la casse : en priorité, payer les salaires non versés, régler les factures en souffrance, rembourser les créanciers (le plus souvent des banques qui ont fait crédit), assurer la gestion des actifs de la société et, accessoirement, se rémunérer.

Le bilan comptable de Solarezo, effectué en septembre 2013 par Jean-Pierre Abbadie, le liquidateur désigné par le Tribunal du commerce de Dax, fait état d’un passif (dettes bancaires et factures impayées) compris entre 2,6 et 5,6 millions d’euros. Du côté des actifs valorisables, pas grand-chose à se mettre sous la dent à part les lignes de production, dont celle acquise en 2012, qui a très peu servi. Ces machines ont été vendues aux enchères en février 2014, adjugées à un groupe saoudien pour 800.000 euros (Sud Ouest, 26/02/2014).

Curieusement, cet inventaire ne tenait aucun compte d’un portefeuille plus valorisable. À savoir, les dossiers techniques et administratifs destinés à l’exploitation de centrales : permis de construire, autorisations d’urbanisme, et enfin dossiers de candidature aux appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), sésame ultime pour exploiter une centrale électrique. Un seul de ces dossiers peut occuper plusieurs personnes pendant de long mois, au point que son coût moyen s’estime dans la profession entre 150.000 et 200.000 euros par projet. Impossible de connaître exactement le nombre exact de dossiers instruits par Solarezo pendant ses trois ans d’activité. En interrogeant d’anciens salariés, la Sepanso estime qu’environ 60 projets étaient en cours. Ce qui représente potentiellement plusieurs millions d’investissement. Certes, un seul permis de construire ne suffit pas à faire tourner une centrale, l’exploitant devra ensuite défricher le terrain, acheter le matériel, installer les panneaux et le raccorder au réseau électrique.

Mais en tout état de cause, les salariés de Solarezo ont participé à la création de valeur de ces centrales électriques en gestation. Selon Cédric, l’ex-salarié, une vingtaine de personnes étaient occupées à plein temps pour monter ces dossiers techniques. Dans le cas des quatre centrales de Garein et Ygos, ce travail avait porté ses fruits : les permis de construire ont été déposés en préfecture des Landes entre 2011 et 2012, et les candidatures aux appels d’offre de la CRE se sont faites dans les temps, avant la faillite (7). Il est donc surprenant d’apprendre que ces actifs n’ont pas été pris en compte dans l’inventaire après le dépôt de bilan.

Chantier de la centrale Ygos-2, propriété d'Engie, janvier 2021 - Joel Auster
Chantier de la centrale Ygos-2, propriété d'Engie, janvier 2021 - Joel Auster

Le sens de la famille

Dans les transactions repérées par la Sepanso apparaît le nom d’une SARL : Alcima. C’est une société familiale créée par Laurent Giraud (dont le siège est à Villeurbanne, près de Lyon) et dirigée par son fils Thomas. Alcima faisait partie des actionnaires fondateurs de la société Horizon Energies (Garein 1), en 2012, et détenait également 49% des trois filiales « Rezo 24 » constituées pour exploiter les trois autres centrales.

Laurent Giraud marche sur des œufs. Car le code du commerce (article L 642-3) interdit aux « dirigeants de droit ou de fait de la personne morale en liquidation judiciaire (…) d’acquérir, dans les cinq années suivant la cession, tout ou partie des biens compris dans cette cession, directement ou indirectement », tout comme des « parts ou titres de capital de toute société » qui en dépend. Une obligation élargie à tous les membres de sa famille (« parents ou alliés jusqu’au deuxième degré »).

Concernant Garein 1, située sur le site dit « de l’Hippodrome » (27 ha), l’ex-PDG dément avoir profité de quoi que ce soit dans cette affaire. Répondant finalement à nos questions après plusieurs mois de relances, il indique que Solarezo avait « cédé ses droits » au Crédit Agricole dès l’année 2012. Il consent une chose : avoir vendu ses actions Alcima dans Horizon en février 2015 pour quelques milliers d’euros. Pour lui, c’est le Crédit agricole, à travers deux filiales, qui a fait la belle affaire lorsque Horizon a été revendue, en 2018, au groupe Tenergie. Un autre acteur important était actionnaire : la Caisse des dépôts et consignation (CDC), l’un des bras financiers de l’État (8), sans doute en échange d’une aide à l’innovation de 4,2 millions d’euros octroyée par la CDC à cette centrale de Garein en 2015 (9).

En tout état de cause, cette centrale, bénéficiaire à la fin de l’exercice 2017 (2,8 millions d’euros de chiffres d’affaires pour 217 000€ de bénéfice net), n’a jamais bénéficié à la liquidation de Solarezo lorsqu’elle a changé de main l’année suivante (voir ici un clip promotionnel datant de 2015).

Capture écran d'un clip de promo de la centrale Garein-1 (2015) - DR
Capture écran d'un clip de promo de la centrale Garein-1 (2015) - DR

Quant aux trois autres centrales Solarezo, celles cédées au géant Engie en 2019, le montage était plus complexe. C’est là qu’entre en scène l’ancien directeur du développement Bernard Laffitte, grâce à une petite société personnelle, BL Conseils. Au lendemain de la liquidation (septembre 2013), BL Conseils fait une proposition au liquidateur judiciaire : racheter, pour une bouchée de pain, les parts de Solarezo (51%) dans chacune des trois filiales. Alcima conservant ses 49%. Prix de cession accepté : 1.530€ pour le tout, soit moins de 500€ par société (Doc-1).

Mais ce sont des coquilles vides : les permis de construire liés aux projets de centrales sont au nom de Solarezo. BL Conseils va alors effectuer des démarches de transfert de permis en son nom, alors que ces démarches devaient obtenir la signature du responsable légal, le liquidateur M. Abbadie. Les shériffs de la préfecture n’ont pas tiqué alors que c’était au liquidateur d’effectuer ces transferts.

Constatant ces tours de passe-passe, en novembre 2014 la Sepanso dépose des recours en annulation devant le Tribunal administratif de Pau, contestant la légalité de ces transferts de permis validés par la préfecture. La Sepanso gagne la première manche le 23 mai 2017 : transferts irréguliers. La Cour administrative d’appel de Bordeaux, plus de deux ans plus tard (19 décembre 2019), confirme le jugement. Même verdict en cassation : le Conseil d’État (arrêt du 7 octobre 2020 - Doc-2) donne définitivement raison à la Sepanso. Les transferts de permis de construire à la société BL Conseils sont irréguliers. C’était au liquidateur de faire les démarches et à personne d’autre.

« L’issue de cette bataille judiciaire est amère, grince Jean Dupouy. Le temps que la justice se prononce, les deux protagonistes ont continué à gérer ces actifs comme leur appartenant… Et quand le Conseil d’État nous a donné raison, la société avait déjà été revendue ! »

Savoir tirer les marrons du feu

Après son premier revers devant les tribunaux, BL Conseil va tenter de régulariser la situation devant le Tribunal de commerce de Dax. Le 7 juin 2019 — quelques mois avant que la cour d’appel de Bordeaux confirme qu’il n’avait aucun droit sur ces permis ! — il négocie l’achat des permis des deux centrales d’Ygos à 100.000€ chacun. Dans la requête présentée par Bernard Laffitte au liquidateur (Doc-3), il est fait expressément mention des deux vendeurs : BL Conseils (51% des parts) et Alcima (49%). Sans qu’à aucun moment cette dernière ne soit présentée comme la société familiale de l’ex-PDG Laurent Giraud.

Le prix payé, s’il est à peu près conforme au prix du marché, apparaît dérisoire car Engie a misé au moins dix fois plus pour les acquérir. Ce document mentionne en effet que les deux associés « entendent céder leurs projets au groupe ENGIE en vue de leur construction ». Le liquidateur disposait pourtant d’un autre document prouvant leurs hautes valeurs marchandes : une promesse de vente (« contrat d’acquisition d’actions »), datée du 21 décembre 2018, entre les deux associés BLC/Alcima et Solaire Direct Capital (filiale du groupe Engie) portant sur les sociétés Rezo 24 Ygos 1 et Rezo 24 Ygos 2. Les prix proposés sont de plusieurs millions d’euros (l’une 2,6 millions et l’autre 0,8 million). Cette promesse de vente indique en outre qu’une « lettre d’intention » existe entre les parties depuis le 1er juin 2017, garantissant à Solaire Direct une « exclusivité temporaire » dans la négociation (Doc-4).

Extrait du document 4
Extrait du document 4

Ce document mentionne le fait qu'une promesse de vente similaire a eu lieu au même moment concernant Garein 2. En tout état de cause, le groupe Engie nous a confirmé avoir bien racheté ces trois centrales, en 2019, qui figurent parmi son tableau de chasse dans les énergies renouvelables — sans vouloir nous préciser leur prix d’acquisition.

Le liquidateur judiciaire semble avoir manqué le coche. A-t-il mal étudié le dossier ? Ou s’est-il fait abuser par les démarches des deux ex-dirigeants de Solarezo ? Nous avons contacté par téléphone l’étude de Jean-Pierre Abaddie à plusieurs reprises à son cabinet de Tarbes, en février et mars 2021, comme en décembre dernier lorsque nous avons appris que c’était désormais sa fille qui gérait le dossier. Sans aucune réponse.

Nous avons cherché également à interroger Bernard Laffitte, que nous avons retrouvé en tant que responsable de l’exploitant Solarsud (racheté entre-temps par la société Essor Group). Il a reçu nos demandes par mail mais n’a jamais daigné nous répondre.

Laurent Giraud dément avoir contrevenu à ses obligations d’ex-gérant, eu égard aux dispositions du code du commerce, qui s’appliquent autant à lui qu’à des membres de sa famille. Alcima, dit-il, était actionnaire de Solarezo à ses débuts, soit avant la reprise du site de Sony ; il n’a rien acquis, affirme-t-il, « après la liquidation ».

Reste une question à laquelle il n’a pas répondu : qu’est-ce qui justifiait qu’Alcima, une « TPE exclusivement familiale » comme il le dit lui-même, détenait 49% des sociétés devant exploiter de futures centrales solaires ? Les autres actionnaires et les salariés en ont-ils été informés ? Et en tout état de cause, la société familiale gérée par son fils a profité de ces transactions.

Capture écran d'un article de Sud-Ouest (4/01/2013): Laurent Giraud (1er plan) et Laurent Labatut (PDG de DRT) - DR
Capture écran d'un article de Sud-Ouest (4/01/2013): Laurent Giraud (1er plan) et Laurent Labatut (PDG de DRT) - DR

Les militants de la Sepanso l’ont d’autant plus mauvaise que les chantiers se sont poursuivis malgré les recours judiciaires sur la propriété des fameux permis de construire. Et cela sans aucune entrave des services préfectoraux. « Le défrichement des parcelles d’Ygos a même débuté en plein confinement, en mars 2020 », se souvient Jean Dupouy. « On a aussi attaqué les arrêtés de défrichement : ça n’a été jugé que début décembre 2021… On a même obtenu l’annulation de ces décrets… Alors que les centrales fonctionnaient depuis le mois de juillet ! Nous venons d’apprendre que le décision du TA de PAU est frappée d’appel : nous reprenons le même parcours que pour les permis» »

La Sepanso a également repéré une belle opération réalisée par le PDG de DRT, Laurent Labatut : les centrales d'Ygos se sont érigées sur des terrains lui appartenant (voir ci-dessous).

La belle rente foncière d'un ex-actionnaire

Sur les deux tranches de la centrale d’Ygos-Saint-Saturnin, un autre acteur de ce mauvais film a fait une belle opération personnelle. Les terrains cédés pour réaliser les deux centrales de Ygos-Saint-Saturnin, sur 50 ha au total, appartiennent au groupement forestier Lou Hapchot, dont le représentant est un certain Laurent Labatut. C’est le patron de DRT, l’industriel de la chimie qui détenait 47,5% de Solarezo. DRT, racheté en 2020 par le groupe suisse Firmenich, est un acteur important du tissu économique local, employant encore 900 salariés dans les Landes (sur un total de 1.500 dans le monde). Laurent Labatut a donc profité à titre personnel — en tant que propriétaire privé de terrains forestiers — de l’engagement industriel de la société qu’il dirigeait. La promesse de vente des centrales d’Ygos à Solaire Direct (Engie) fixait le prix de la location de ses terrains à 1.300€ par ha et par an. Soit, pour les 50 Ha des deux tranches de la centrale, une rente potentielle de 65.000€ par an. Les observateurs locaux assurent que le prix d’une telle location a très bien pu se négocier davantage, autour de 2.000 ou 2.500€ par hectare.

Extrait de la promesse de vente de la centrale Ygos-1 à Solaire Direct (décembre 2018) - DR
Extrait de la promesse de vente de la centrale Ygos-1 à Solaire Direct (décembre 2018) - DR

Le fin de mot de l’histoire, c’est sans doute le tribunal de Commerce de Dax qui pourrait le prononcer. C’est en effet le tribunal qui semble le premier lésé dans cette affaire, le liquidateur n’ayant manifestement pas pu tirer profit de tous les actifs valorisables, déclarés ou dissimulés, de Solarezo. Alertés par les découvertes de la Sepanso, les services contentieux du tribunal pourraient être amenées à saisir le parquet afin qu'une enquête soit menée sur ces détournements d’actifs.


NOTES

  1. En douze ans (2009-2020), la région recense 526 parcs ou centrales solaires (plus de 250 kW), qui occupent une surface totale de 4900 Ha, dont 3900 Ha (68%) sur des espaces naturels ou forestières, 17 % sur des zones agricoles et seulement 15 % sur des sites déjà artificialisés. Ref : « Photovoltaïque au sol en Nouvelle-Aquitaine », bulletin de la DREAL n°54, 17/09/21.

  2. « Évaluation du gisement relatif aux zones délaissées et artificialisées propices à l'implantation de centrales photovoltaïques », Ademe, avril 2019.

  3. Compter deux fois plus pour les centrales mises en service avant 2021 : la redevance est passé de 7,8€ à 3,2€ au 1er janvier 2021.

  4. En 2010, l’entreprise fait partie des dix lauréats de la « prime d’aménagement du territoire » : l’État devait lui octroyer 1M€, région et département 500.000 € chacun et l’industriel devait investir au total 6,3 millions. Selon les comptes de la région, Solarezo a touché en tout 212.000€. Quant au Conseil général, il a décidé en 2010 de maintenir la subvention tout « en supprimant la condition d’achèvement du programme d’embauche ».

  5. Aujourd’hui Laurent Giraud avance le chiffre plus modeste de 35 millions de carnet de commandes.

  6. Activité que Fonroche a revendue en 2017 au fonds Eurazeo et à d’autres investisseurs, aujourd’hui propriété du groupe Reden Solar.

  7. Néanmoins de nouveaux dossiers de candidatures à la CRE ont du être déposé en 2014, et validés en 2016, concernant Ygos 1 et 2 et Garein 2.

  8. Les actionnaires étaient CAM Energie, devenue CAPG Energies nouvelles (51%), Crédit Agricole Aquitaine expansion (10%) et Caisse des dépôts (39%).

  9. « Dans le Sud-Ouest, la Caisse des dépôts renforce son ancrage local », Le Moniteur, 24/06/2016.

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