Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Adieu la presse, on t'aimait bien malgré tout

Coronavirus et Presstalis pèsent dangereusement sur le secteur

Pendant que certains cogitent sur la batrachomyomachie entre Google et les éditeurs de presse français, le secteur s'enfonce dans une crise violente dont il ne parle bien entendu pas trop... Combien de titres émergeront après la crise ? Mystère.

La presse papier en difficulté - D.R.

Tout le monde avait l'air d'y voir une victoire énorme. C'était il y a un siècle de confinement. Début avril, l'Autorité de la concurrence enjoignait Google de négocier d'ici juillet 2020 « avec les éditeurs et agences de presse la rémunération qui leur est due pour la reprise de leurs contenus protégés » par la loi sur les droits voisins. Enfin, notre belle presse nationale allait être rémunérée par le méchant Google qui reproduit de courts extraits ou simpelment les titres de leurs articles sur Google News. Mieux, ça allait être rétroactif et les discussions devraient « couvrir, de façon rétroactive, les droits dus à compter de l’entrée en vigueur de la loi le 24 octobre 2019 ». Par ici la pluie de droits... En fait, ce qui risque de se passer, si Google peut attendre quelques mois, c'est que l'entreprise américaine sera en mesure de racheter la quasi totalité de la presse française pour une bouchée de pain (au regard de son chiffre d'affaires).

On pourrait discuter sans fin sur la mauvaise foi de la presse française qui voudrait le beurre et l'argent du beurre, sur sa façon de tout faire pour laisser Google indexer ses contenus, sur sa monétisation de ses lecteurs qui sont vendus et revendus à Google, et à d'autres, sur le bénéfice en termes de visites (et de ventes de pub et de revente profils de visiteurs) que représente l'activité du moteur de recherche et ses nombreuses filiales... Mais là n'est pas le sujet.

La presse française est dépendante. Triste constat, elle est dépendante de ses investisseurs, souvent des industriels, marchands d'armes, de luxe ou de téléphonie... Elle est dépendante des aides de l'État. De ses taux de TVA spécifiques, de ses tarifs postaux préférentiels... Elle est dépendante de ses nombreuses activités très éloignées de son métier de base parce que sans diversification, on est fichus... Le presse est dépendante. Oh, bien sûr, il est facile de lui jeter la pierre... On pourrait aussi envoyer un pavé sur la tronche des lecteurs qui pensent que la presse devrait être gratuite, qui ne s'abonnent pas, qui sont prêts à troquer leur vie privée en échange d'un article gratuit, qui ne sont ni rebutés par la pub, ni par la médiocrité des articles putaclics qu'ils consomment en masse... On en passe. Tout le monde a sa part de responsabilité dans l'état de la presse française.

Un secteur dépendant est par nature fragile. Et là, ce secteur dépendant et donc fragile, a été heurté de front par deux vagues.

Depuis des mois, Presstalis, l'une des deux grandes sociétés de distribution les titres de presse (ici toute la presse quotidienne nationale, notamment), est en grande difficulté. Ce n'est pas la première crise. Mais elle est très sérieuse. Presstalis viendrait d'ailleurs de déposer une déclaration de cessation de paiement auprès du tribunal de commerce de Paris.

Ces difficultés financières se sont répercutées sur les éditeurs de presse. « Cela fait plusieurs mois que Presstalis ne nous reverse pas le produit de nos ventes », nous confiaient plusieurs journaux ces derniers temps. « On leur a prêté de l'argent l'année dernière et on sait bien qu'on n'en reverra jamais la couleur », précisait un autre journaliste.

Depuis le confinement, le nombre de points de vente de la presse a chuté drastiquement. Les ventes sont donc en baisse. D'autre part, l'autre source de revenus habituels de presse, la publicité est menacée. Le premier poste que coupent les entreprises quand la crise est là, c'est la publicité et plus globalement, la communication. « Tout est mis en pause sur les projets. On a pu conserver ce qui était en cours, mais tous les projets sur lesquels on avait répondu sont gelés », explique le responsable d'une agence de communication.

Voici donc un secteur, la presse, souvent déjà en difficulté financière, qui est confronté à un manque à gagner en raison de la faillite de Presstalis, à une chute des ventes au numéro, à une baisse de la pub, à l'arrêt complet des salons et autres congrès qui sont une source de revenus annexes. Qui va résister au tsunami ? Quelle sera l'étendue de l'aide de l'État pour sauver les journaux de premier plan ? Mais pour les petits ? Mystère.

Une chose est certaine, sans ses lecteurs, la presse n'est rien. Et pour survivre, elle a besoin de se concentrer sur son métier : produire de l'information de qualité, des enquêtes, du contenu à base de produits frais et bios. Mediapart a coutume de dire que seuls ses lecteurs peuvent l'acheter. En fait si nos lecteurs ne nous achètent pas, nous n'existons pas. En tout cas ceux qui ne diffusent pas de pub, ne sont pas diversifiés dans les salons, les congrès, la monétisation à outrance de leurs lecteurs...

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