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par Antoine Champagne - kitetoa

Abus sexuels dans l'Eglise : il y aurait plus de 100.000 victimes

Le rapport de la commission indépendante qui sera rendu public mardi va provoquer un séisme

La commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a recueilli 10.000 signalements de victimes sur les 70 dernières années. Mais il y en aurait en fait beaucoup plus. L'étude qu'elle a mené en parallèle sur la population générale montre qu'il faut multiplier le nombre de victimes par dix. Révélations.

La Conférence des évêques dans l'attente du rapport... - © Reflets

L’Église retient son souffle dans l'attente de la publication du rapport de la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) présidée par l'ancien vice-président du Conseil d’État, Jean-Marie-Sauvé.

Commandée par la Conférence des évêque de France et la Conférence des religieuses et religieux de France, cette enquête démarrée en 2019, porte sur les abus sexuels commis sur des mineurs et des personnes vulnérables depuis 1950. Elle doit aussi regarder comment ont été traitées ces affaires par l’Église, et principalement les évêques qui ont la responsabilité de suivre les prêtres. On sait déjà que des évêques ont cherché à étouffer des scandales sexuels dans leur diocèse et n'ont pas dénoncé le auteurs à la Justice. La commission Sauvé a réalisé un travail considérable qui représente plus de 25.000 heures de travail, selon un de ses membres. Elle a non seulement écouté les victimes, mais aussi réalisé une plongée dans les archives des diocèses de France et conduit une étude sur les violences sexuelles en population générale.

L’Église catholique prépare depuis quelques jours ses fidèles à des chiffres qui s'annoncent cataclysmiques. Le président de la conférence de France, Eric de Moulins-Beaufort a reconnu que l'ampleur du phénomène était « plus grand que ce qu'on pouvait craindre » et il a invité les prêtres et les évêques à accueillir les faits sans se braquer ou les contester.

Le contenu de ce rapport est un secret bien gardé. Jean-Marie Sauvé a promis que les victimes seront les premières informées. Même les évêques n'ont pas accès au rapport. Une visioconférence sera organisée lundi avec eux pour partager quelques tendances, mais ils seront comme tout le monde réduits à regarder la conférence de presse qui sera diffusée sur la chaine de télévision catholique KTO mardi 5 octobre à partir de 9h pour en découvrir l'intégralité.

Signe de l'importance de ce rapport bien au-delà de l'Eglise, Jean-Marc Sauvé s'est rendu discrètement mercredi à Matignon pour rencontrer le Premier ministre.

Jean-Marc Sauvé - Conseil d'État - CC BY-SA 4.0
Jean-Marc Sauvé - Conseil d'État - CC BY-SA 4.0

Deux sources, sous couvert d'anonymat, ont communiqué à Reflets les éléments les plus importants du rapport de la commission. On savait que la Ciase avait déjà recensé 10.000 victimes d'abus sexuels dans l'Eglise depuis les années 50. Mais on savait que ce chiffre n'était que le dessus de l'iceberg. Car certaines victimes n'ont pas voulu parler, d'autres sont décédées. Restait à mesurer la taille de la partie immergée de l'iceberg. C'est pourquoi la Ciase a confié à Nathalie Bajos, une sociologue démographe directrice de recherche à l'Inserm - elle a notamment codirigé enquêtes nationales sur la sexualité de 1992 et de 2006 - le soin de réaliser une enquête en population générale sur les agressions sexuelles.

100.000 victimes probables

Cette étude réalisée sur un échantillon de 28.000 personnes révèle que 5% de la population a été victime d'agressions sexuelles. La commission a ensuite demandé aux 1.400 victimes de l'échantillon de dire dans quel cadre elles ont été agressées. Leurs réponse montre, sans surprise, que la famille est le premier lieu des violences sexuelles. Mais l’Église est un des lieux favorables aux agressions. En extrapolant à partir des déclarations des victimes, la Ciase a calculé le nombre probable de victimes d'agressions sexuelles depuis les années 50 : elle arrive au chiffre astronomique de 100.000 mineurs et personnes vulnérables abusées au sein de l'Église.

L'étude met aussi en lumière qu'il y a trois fois plus d'agressions sexuelles commises dans l’Église que dans l’Éducation nationale. « Ce constat pose un grand problème aux évêques et fait tomber une de leurs lignes de défense, analyse un proche du dossier. Les évêques ont souvent dit que ce phénomène se passait dans l’Église comme ailleurs. Or l'étude dévoile que c'est beaucoup plus qu'ailleurs. Ils vont donc devoir en tirer les conséquences et réagir. »

La commission Sauvé a cherché à estimer le pourcentage de prêtres et de religieux abuseurs. Elle arrive au chiffre d'un peu moins de 3%. Des enquêtes similaires menées ailleurs en Occident, notamment aux États-Unis, en Australie, en Irlande et en Allemagne, ont établi qu’entre 5 % et 7 % des prêtres ont agressé sexuellement des enfants.

La Ciase fait également des préconisations sur la gouvernance de l’Église pour éviter de tels abus. Elle remet en cause notamment le rôle central de l'évêque et son pouvoir sans partage. Pas sûr que les prélats apprécient de se voir ainsi critiqués.

Une autre question épineuse est celle de l'indemnisation des victimes. Là encore, le rapport devrait faire des propositions. L’Église devrait s'engager à soutenir les personnes abusées. Tout cela sera à l'ordre du jour de l'assemblée des évêques qui se tiendra à Lourdes début novembre.

Les évêques de France étaient montés au créneau contre la création d’une commission d’enquête parlementaire afin de faire toute la transparence sur les crimes de pédophilie et leur dissimulation dans l’Église catholique fin 2018, et avaient mis en place la Ciase pour réaliser cette enquête. « Vu ce qui va leur tomber sur la tête, les évêques vont regretter la commission d'enquête parlementaire », conclut un proche du dossier.

Mise à jour du 2 octobre :

Contactée, la Conférence des évêques de France indique que cela fait trois mois qu'elle se prépare à accueillir ce document et que par respect pour le travail de la commission, il n'est pas question de commenter les chiffres du rapport. " Le chiffre n'est pas de 100.000 et il y a une très grosse différence" concède toutefois Karine Dalle, secrétaire générale adjointe et directrice de la communication de la Conférence des évêques. Les victimes voient arriver le moment de la publication de ce rapport avec angoisse et si ce moment leur est volé par des fuites dans la presse, c'est un manque de respect, précise-t-elle. Pour elle, c'est une erreur de diffuser des informations avant mardi. Une position que rejoint une association de victimes qui refuse également de commenter les chiffres et indique que le chiffre n'est pas 100.000.

La conférence des évêques refuse également de commenter la différence entre la proportion des abus dans l'église et dans d'autres secteurs comme l'éducation nationale, ce qui expliquerait cette spécificité. Jean-Marc Sauvé expliquera tout cela mardi, nous explique-t-on.

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