A votre santé !
Il s'en passe de bien belles au Sénat en ce moment lors de l'examen du projet de loi "santé" de Marisol Touraine. Sur le front du tabac, Bluetouff nous a déjà fait un bel exposé sur les tirages de ficelles du lobby des buralistes pour s'octroyer l'exclusivité de la vente des vapoteuses.

Sus à l'anorexie professionnelle!
Parlons d'abord de quelques nouveautés plutôt courageuses qui ne manqueront pas de déclencher les foudres de lobbys bien placés. (Se reporter à la "petite loi", rédigée au fur et à mesure des discussions.)
Commençons par la "lutte contre la maigreur excessive" (sic), un aspect qui n'était pas inclu dans le projet initial de la ministre. On s'attaque là à l’anorexie professionnelle, à savoir celle en vigueur dans les agences de mannequins. Introduite en commission des affaires sociales au mois de mars, la formulation première était la "prévention précoce de l’anorexie mentale" et la "lutte contre la valorisation de la minceur excessive". Il est question d'exclure de la profession "toute personne dont l'indice de masse corporelle, établi en divisant son poids par sa taille élevée au carré, est inférieur à des niveaux définis, sur proposition de la Haute Autorité de santé, par arrêté des ministres chargés de la santé et du travail". Et plus loin : "toute personne qui exploite une agence de mannequins ou qui s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un mannequin, veille à ce que l’exercice du métier de mannequin et les exigences propres à celui-ci ne mettent pas en danger la santé de l’intéressé." Et les proxénètes de la mode qui joueraient un peu trop les empêcheurs de manger risqueront un séjour à l'ombre avec menu pain sec et eau tiède:
"Le fait pour toute personne qui exploite une agence de mannequins (...) de ne pas veiller au respect de l’interdiction (citée plus haut) est puni d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 75 000 €."
Les snipers de photoshop à l'amende
C'est plus loin que c'est moins drôle pour les agences de pub:
"Toute image publicitaire sur laquelle apparaît un mannequin (...) et dont la silhouette a été affinée par un logiciel de traitement d’image (sic!) doit comporter une mention qui indique que cette image a été retouchée. L’obligation prévue au premier alinéa s’impose à toute promotion, destinée au public, par voie d’imprimés et de publications périodiques."
Ah non, merde! Ça ne marche pas pour une star du ciné ou de la politique qui aurait été "retouchée" en Une d'un grand hebdomadaire! Ouf, doivent se dire certains du côté du groupe Lagardère! L'obligation de la mention "retouché" s'applique aussi aux "messages publicitaires sur internet ou télévisés (...) émis et diffusés à partir du territoire français et reçus sur ce territoire". Et là, on entend d'ici les râles des créatifs horrifiés: « Le fait pour tout annonceur ou promoteur de se soustraire à cette obligation est puni d’une amende de 30 000 €". Et le tout devra "entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2017". Les syndicats des agences de com sont déjà en train de passer leurs coups de fil à leurs copains-copines du Sénat!
On a aussi croisé une mesure salutaire pour prévenir les cancers de la peau: interdire, hors raison médicale, les salons de bronzage artificiel qui pullulent un peu partout. Là aussi, les lobbys du soleil en boite vont avoir du pain sur la planche:
"Hors usage médical, la vente, la mise à disposition à titre gratuit ou onéreux et l’utilisation d’appareils de bronzage, définis comme les appareils émettant des rayonnements ultraviolets destinés à exercer une action sur la peau à des fins esthétiques, sont interdites."
On remarquera que le Sénat est moins regardant sur le tabac que sur la bronzette, car la chambre basse a été beaucoup plus expéditive que les députés: l'Assemblée s'était contentée d'en interdire l'usage pour les moins de 18 ans (tout en bannissant totalement la publicité pour cette pratique en vogue). Si cette disposition est retenue, elle devra s'appliquer 2 ans après le vote de la loi. Et le non-respect de l’interdiction sera "puni d’une amende de 100 000 €". On imagine déjà les pressions du Medef auprès d'Emmanuel Macron contre cette atteinte inqualifiable à la liberté d'entreprendre...
Le code couleur nutritionnel saboté par les géants de la malbouffe
La nouveauté du Sénat, comme l'a raconté Le Canard du 23 septembre, c'est d'impliquer, pour définir ce fameux code couleur nutritionnel, un machin nommé Conseil national de l'alimentation (CNA). Or qui sont membres actifs du CNA? Des représentants d'assos de consommateurs, certes, mais surtout ceux de toutes les branches de l'industrie de la bouffe (producteurs, distributeurs, restaurateurs, etc.), bref "un cénacle aux petits soins pour l'industrie agroalimentaire" persifle Le Canard. Son dernier colloque du mois de juin avait pour thème «Communication et alimentation : les conditions de la confiance». Son président, Bernard Vallat, s'est déjà plaint auprès de la ministre, au mois de mai dernier, qu'un tel code couleur risquait de "stigmatiser les produits emblématiques de la gastronomie française". Exactement le même discours que tient depuis des années l'ANIA, le vrai lobby des "industries alimentaires" qui a refilé aux sénateurs (selon le même papier du Canard) des textes d'amendements qui ont été repris in extenso.
L'ANIA, fin août (au lendemain de l'avis du Haut conseil), fustigeait à nouveau "tout dispositif d'étiquetage nutritionnel simpliste reposant uniquement sur un code de couleurs". C'est ce même lobby de la bouffe qui, au niveau européen, a bataillé ferme, en 2010, pour qu'un tel code ne voit jamais le jour dans un réglement de l'UE. L'ONG Corporate Europe Observatory, qui surveille les lobbys comme le lait sur le feu, a raconté en détail comment ce projet a été torpillé. Pas moins d'un milliard d'euros a été dépensé, en campagne d'influence, par le mastodonte du secteur, Food and Drink Europe (ex-CIAA), dont la liste des membres peut déclencher la nausée en moins de 2 secondes. Le lobby a mis en avant de soi-disantes "études" menées par un faux-nez de lui-même, l'EUFIC (centre européen d'information sur l'alimentation), organe financé, comme par hasard, par les géants Coca-Cola, McDonald's, Nestlé, Ferrero, Danone, Unilever, Kraft – n'en jetez plus.
Pour brouiller les pistes et se présenter sous un jour neutre, les entreprises usent de ce stratagème dans tous les secteurs. L'ancien président du CNA français est maintenant à la tête du Fonds pour l'alimentation et la santé (FFAS), autre machin qui vient de matraquer son opposition à tout "étiquetage nutritionnel simplifié". Inutile de dire qui sont ses généreux donateurs.
En 2013, lors d'un autre de ses colloques, intitulé "Ré-enchanter l'alimentation" (que c'est beau), le CNA remerciait chaleureusement le groupe Ferrero pour ses bonnes œuvres. Allez, santé! C'est un ordre!
--
A lire le dernier numéro de Zélium consacré à l'"accro-alimentaire" – avec notamment un papier sur la Semaine du goût (du 12 au 18 octobre), manif faussement collégiale téléguidée par les mêmes lobbys de la bouffe et créé il y a plus de 20 ans par le Cedus, le conclave des sucriers.