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Dossier
par Jacques Duplessy

A Kourou, on fait la queue une journée pour une bouteille de gaz

Un cadre du centre spatial en Guyane témoigne

Si la Guyane semble peu touchée par le Covid-19, les conséquences de l'épidémie se font sentir sur le ravitaillement de ce territoire lointain. Au centre spatial où trois lancements ont été annulés, on s’inquiète du départ de certains clients.

Décollage d'une Ariane 5 depuis Kourou. - Spotting973 - Wikipedia - CC BY-SA 2.0

En Guyane, à 7500 km de la métropole, dans ce territoire de moins de 300.000 habitants, comment vit-on à l’heure du Coronavirus ? Un cadre du centre spatial de Kourou a accepté de parler à Reflets sous couvert d’anonymat. Nous l’appellerons Paul.

« Ici, une personne sur deux à moins de 25 ans, un tiers de la population est étrangère, originaire du Surinam, du Brésil, d’Haïti ou de la République Dominicaine explique Paul. On a beaucoup d’habitats précaires, exigus. Alors ici le confinement est relatif… Pour certains, la loi française est même très relative. » Le préfet a instauré un couvre-feu entre 21 h et 5 h du matin qui peine à être respecté dans certains quartiers.

En Guyane, c’est surtout l’approvisionnement qui inquiète. Ici, tout est importé de métropole ou de l’étranger en dehors de quelques produits alimentaires. « Avec la pandémie, les livraisons sont perturbés. Les bateaux sont plus rares. On a un avion par semaine qui assure les livraisons urgentes, le transport de personnes essentielles avec un accord du préfet et les évacuations sanitaires. Des produits manquent régulièrement, comme les médicaments ou les bouteilles de gaz. Ici, beaucoup de gens cuisinent au gaz, et comme ils n’ont pas beaucoup d’argent, ils n’ont qu’une seule bouteille. Le 20 avril, un bateau est arrivé avec un chargement. Il y a eu une répartition de 900 bouteilles par municipalité. Alors il y avait des queues immenses qui duraient la journée. Et parfois, les derniers n’en avaient plus. Alors les esprits s’échauffent et la police est obligé d’intervenir... »

Queue pour acheter une bouteille de gaz le 21 avril.

Masques vendus uniquement sous le manteau

Le nombre de malades du Covid-19 est très faible : 111 cas officiellement recensés, dont un décès. « Je ne crois pas du tout à ces chiffres, déclare Paul. On dépiste très peu, et beaucoup de gens n’iront pas à l’hôpital s’ils ne sont pas gravement malades. On a deux villages complètement confinés qui sont des foyers épidémiques. Les autorités craignent aussi l’arrivée de cas par le Brésil où il y a beaucoup de malades. Le contrôle de la frontière a été renforcé. Mais c’est compliqué car les gens traversent facilement par le fleuve. »

Gel hydroalcoolique et masques sont des denrées très rares. « C’est simple, le gel, je n’en ai jamais vu en vente depuis le début de l’épidémie, raconte Paul. Au centre spatial, on nous a donné de l’alcool et on a produit un peu de gel qui ont été donné aux hôpitaux. Les masques sont introuvables, sauf au marché noir. Même les médecins de ville, les sage-femmes, les dentistes n’en ont pas. Au centre spatial, des stocks de masques ont disparu au tout début de l'épidémie. Depuis, ils sont sous-clef et distribués à l’unité. Il paraît que des commandes de masques doivent arriver. »

Pour ne rien arranger, c’est la grande saison des pluies qui dure jusqu’à fin juin. « Le nombre de moustiques a explosé, la dengue atteint un niveau épidémique et il y a des inondations, dit Paul. Mais on a l’habitude, c’est toujours comme ça. »

La pluie provoque des inondation à Kourou

Ce qui l’inquiète plus, c’est que les plus pauvres n’ont plus aucun revenu et commencent à avoir faim. « Il y a beaucoup de travail informel ici, raconte Paul. Avec le confinement, ils ne gagnent plus d’argent, donc ne peuvent plus acheter à manger. En ce moment, il y a de plus en plus de vols et d’agressions. Moi-même, je me suis fais voler des bricoles dans ma cour. Je sais que ce sont des personnes qui vont les revendre pour acheter de quoi manger. »

Centre spatial à l'arrêt

Le centre spatial est à l’arrêt. Trois lancements ont été annulés depuis le début du confinement. La reprise est annoncée avec un tir le 10 juin. « C’est une perte énorme pour Arianespace, notamment pour son image de marque. Les Russes, les Américains, les Chinois lancent toujours des satellites. Je crains que des clients partent à la concurrence, surtout qu’ils sont moins chers. Il va falloir rattraper les lancements d’ici la fin de l’année ».

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