Journal d'investigation en ligne
par Eliott Aubert

À Bois-Colombes, la mairie bénit son école catho

La municipalité vend elle son domaine public au rabais ?

Ouverte depuis 2018, l’école catholique hors contrat Saint-François d’Assise bénéficie d'un soutien appuyé de la mairie de Bois-Colombes. Rien d’étonnant à ce que cet établissement, soutenu par la Fondation pour l’école, proche des réseaux cathos tradis, prospère dans une commune où la majorité LR regroupe des figures ultra-conservatrices .

Détails de la "vie pratique" à l'école, qui inclue l'adoration et la préparation de la messe - Copie d'écran du site de St François d'Assises
Vous lisez un article réservé aux abonnés.

Une simple chaussée les sépare. Derrière sa façade de briques rouges et de pierres blanches, l’école Paul-Bert « tombe en ruine », confie un élu de Bois-Colombes. Touché par des inondations au sous-sol (2025) et une infestation de capricornes (2023), l’établissement public attend depuis dix ans les travaux promis par le maire Yves Révillon (LR). Face à elle, l’école catho hors contrat Saint-François d’Assise (SFA) mène une vie de sainteté dans cette ville cossue du 92.

Un soutien de la galaxie réactionnaire

À l’origine du projet en 2017, un groupe de parents d’élèves désireux de créer une école primaire catholique à Bois-Colombes. Très rapidement, SFA bénéficie de l’appui financier et logistique de la Fondation pour l’école proche des réseaux cathos tradis et d’extrême droite comme l'a révélé Basta!. « Bien que la Fondation pour l’école se donne pour mission « de contribuer à la diversité du paysage éducatif », son orientation idéologique est identifiable », écrit le sociologue de l’éducation Pierre Merle dans son article Une typologie des établissements privés hors contrat.

« Depuis 2022, le directeur général de la Fondation pour l’école, Michel Valadier, est membre de Renaissance catholique dont l’objectif est de promouvoir la tradition pour remédier à la déchristianisation de la société française. La Fondation finance de façon préférentielle les établissements catholiques traditionalistes ».

Certains dirigeants de Saint-François d’Assise semblent partager ces orientations idéologiques. Ces derniers likent ou commentent sur LinkedIn des contenus issus de la droite la plus droitière et de l’extrême droite. La proximité avec le milieu ultraconservateur se reflète aussi dans le projet instauré par l’établissement : la « formation intégrale ».

Un concept prôné par le milliardaire et nouveau parrain de l’école privée réactionnaire Pierre-Édouard Stérin. Dans la préface du livre La Voie de l’éducation intégrale de François-Xavier Clément, le milliardaire expliquait que « le développement d’établissements chrétiens soutenant l’éducation intégrale est un enjeu à grande échelle pour notre pays. En tant que patriote, je mesure combien la France a besoin d’hommes debout pour la redresser et la sauver ». Sollicités par le biais de sa directrice, SFA n'a pas répondu à nos demandes d'entretien.

Un coup de pouce de la mairie de Bois-Colombes

« Le boulot du maire c’est d’entretenir l’école publique. Pas de privilégier cette école catholique hors contrat », peste la conseillère municipale d’opposition Isabelle Dahan (PS). L’idylle débute en 2018 lorsque la mairie loue à Saint-François d’Assise une maison meulière pour un loyer de 1.700 euros. L’opposition critiquait alors ce loyer « peu onéreux. » Prévu pour 12 mois, le bail a été prolongé jusqu’en 2021.

L’école s’installe à cette date dans un nouveau bâtiment de 414 m², acquis auprès de la ville en 2019 pour 621.000 euros, soit 1.500 euros le m². Une véritable bénédiction pour les acquéreurs... moins pour le contribuable, dans un quartier où le prix au m2 pouvait atteindre 5.500 euros. « Certes, il y a des travaux à faire, mais la différence est énorme », s’étonnait l’élue d’opposition Myriam Petit lors d’un conseil municipal en juillet 2019. « Je ne peux m’empêcher de remarquer que le prix au m2 est beaucoup plus bas que le prix du petit appartement de 34 m2 situé à la gare [...] soit 5.882 euros le m2. »

Une chose est sûre : Saint-François d’Assise est choyée par le maire. En décembre 2024, la ville lui cède de gré à gré un terrain nu de 254 m² pour 311.500 euros, soit 1.200 euros le m². « Un prix ridiculement bas », note encore l’opposition dans un tract. Après l'école élémentaire, SFA ambitionne d'ouvrir une école maternelle en lieu et place du parking... des agents de Paul-Bert. Initialement, Yves Révillon souhaitait appliquer une décote de 10 % au prix de vente comme le permet la loi, avant de faire marche arrière sur conseil de certains élus.

Du côté de la mairie, RAS

Face aux critiques, Yves Révillon se réfugie derrière les estimations effectuées : « Allez en parler à France Domaine, ce n’est pas moi [qui fixe les prix] », répondait-il lors d’un conseil municipal en 2019. Une justification mise en avant lors des deux ventes. Un professionnel du secteur immobilier local confirme : « Ces cessions sont un scandale ». Effectivement, France Domaine fixe un prix plancher, mais « leurs évaluations sont faites au doigt mouillé », estime Gaël Barbier, ancien adjoint à l’urbanisme passé dans l’opposition début 2025 et candidat aux prochaines municipales.

La Cour des comptes a plusieurs fois alerté sur les sous-valorisations des estimations de France Domaine.

Autre critique : l’absence de mise en concurrence des biens lors de la vente. Au cours d’un conseil municipal de 2024, l’élue En Marche Caroline Vignon s'interroge : « Le problème des transactions de gré à gré, c'est qu’elles n’ont fait l’objet d’aucune publicité. On n'est pas en mesure de savoir si un acquéreur aurait pu proposer un prix supérieur. On ne peut pas totalement écarter l’idée qu’il aurait pu y avoir un peu de favoritisme ».

L’investissement du maire et de son successeur

Du favoritisme ? Présent à toutes les inaugurations de l’école, le maire semble en tout cas investi d’une mission divine sur ce dossier.

L’édile de Bois-Colombes n’hésite pas à soutenir publiquement SFA : « Une telle initiative est une occasion pour Bois-Colombes de diversifier l’offre éducative proposée aux familles ».

De quoi ravir la directrice de l’établissement, Valérie Thibaudon : « J'en profite pour vous remercier pour toute l'aide que vous nous apportez », écrit-elle au maire en juillet 2024 dans un échange de mails que Reflets a pu consulter. u*Un ancien élu de la majorité enchaîne : « À chaque fois que SFA demandait quelque chose, il fallait répondre tout de suite ».

Le successeur désigné d’Yves Révillon, le très conservateur Pierre Crosnier Leconte apparaît aussi très engagé sur le dossier. L’adjoint aux projets structurants se serait rendu à la fête organisée par SFA en octobre 2024, selon d’autres mails.

L’occasion d’échanger sur la future cession du terrain nu. « Pierre Crosnier Leconte est très proche de certains dirigeants de l’école. Il le dit lui-même », souffle un élu de la majorité sous couvert d’anonymat. Aucun des deux élus n'a répondu à nos sollicitations, pas plus que la directrice de l'école.

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée