Journal d'investigation en ligne
par Ricardo Parreira

10 septembre : à Montpellier la police impose sa violence

Le préfet de l’Hérault dans le déni

Plusieurs vidéos tournées à Montpellier lors de la journée du 10 septembre ont largement circulé sur les réseaux sociaux. Elles montrent des violences illégitimes contre des manifestants, des journalistes, des Street Medics et une avocate de la Ligue des droits de l’Homme. Le préfet de l’Hérault, enfermé dans le déni, multiplie les contre-vérités, tandis que la mairie déploie son arsenal sémantique. La démocratie, elle, en souffre.

Le préfet prendrait un tour trumpien en refusant de prendre en compte les faits ? - © Reflets
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À Montpellier, une longue journée de violences policières a débuté à 6h30, avec les premières charges pour disperser des manifestants dans un des accès centraux de la ville, près des Arènes. La Compagnie départementale d’intervention (CDI), connue à Montpellier pour sa brutalité depuis le mouvement des Gilets jaunes, intervient violemment. Des coups de matraque pleuvent et plusieurs manifestants sont frappés à la tête avec des tonfas, dont l’usage est pourtant explicitement interdit par une note de service du 27 juillet 2002 et rappelé en 2009 par la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), aujourd’hui intégrée au Défenseur des droits.

En 2018 déjà, le Défenseur des droits avait « recommandé » des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un brigadier-chef à Paris qui avait frappé un journaliste avec un tonfa.

Samuel Clauzier, journaliste à Rue89, alors qu’il couvrait ces actions de blocage, a été gazé en plein visage par un agent de la CDI, violence qui l’a immobilisé un long moment. Il déplore une « journée particulièrement difficile, à cause du dispositif policier déployé et de l’attitude de certains agents ». Heureusement, ajoute-t-il, « la presse indépendante a particulièrement bien documenté ces violences, tout comme RSF pour ce qui concerne les journalistes, mais aussi la presse quotidienne régionale dans certains cas ». Dans l’après-midi, Samuel est agressé une deuxième fois, place de la Comédie, par un policier de la CDI qui tente à plusieurs reprises de l’étrangler et lui assène un coup entre les jambes. Le journaliste prévoit de porter plainte et de saisir l’inspection générale de la police nationale (IGPN).

Le journaliste Samuel Clauzier se fait étrangler par un policier de la CDI - Montpellier - 2025 - © Reflets
Le journaliste Samuel Clauzier se fait étrangler par un policier de la CDI - Montpellier - 2025 - © Reflets

L’Observatoire des libertés montpelliérain rapporte plusieurs violences, à l’instar de celles signalées par les journalistes, mais aussi l’usage illégal du LBD40 par la BAC, visant à hauteur du visage à moins de trois mètres, ainsi que plusieurs interpellations violentes, y compris de mineurs.

Sophie Mazas, avocate de la LDH de Montpellier et engagée aux côtés de l’Observatoire des libertés montpelliérain OLM durant la journée, a été victime elle-même de violences policières. Alors qu’elle filmait des coups de matraque portés contre des Street Medics en train de prendre en charge un manifestant blessé, un policier de la CDI l’a poussée violemment et menacée de lui donner un coup de matraque. Un autre agent de la CDI lui a dit : « Madame Mazas, ça suffit, ça va bien se passer, rentrez chez vous », alors même que l’avocate demandait le RIO du policier qui venait de l’agresser.

La supercherie des « armes non létales »

Sous l’étiquette d’« armes à létalité réduite », la police est parvenue à imposer l’idée que ces armes constitueraient une alternative aux armes à feu pour le maintien de l’ordre : mieux vaut blesser ou mutiler que tuer. La liberté de manifester n’a jamais été autant menacée par une déontologie policière qui privilégie l’escalade de la violence. Toutes les études démontrent un fait irréfutable : l’usage d’armes qui mutilent est devenu trop facile et souvent disproportionné.

Cannon à eau dans la place de la Comédie - Montpellier - 2025 - © Reflets
Cannon à eau dans la place de la Comédie - Montpellier - 2025 - © Reflets

Les grenades de désencerclement, aujourd’hui rebaptisées GENL (grenades à effet non létal), ainsi que le Lanceur de balles de défense (LBD) , des dispositifs dangereux classés dans la catégorie A2 (des armes de guerre) sont utilisés lors du maintien de l’ordre, non pas comme recours ultime de défense par les policiers, mais comme outils de dispersion, voire de punition « in situ » des manifestants. Cet usage disproportionné s’accompagne d’un recours massif aux grenades lacrymogènes (CS). Or, si leur emploi est interdit comme arme chimique dans le cadre d’un conflit armé par la Convention sur les armes chimiques (signée en 1993 et entrée en vigueur en 1997), cette convention ne régule pas leur utilisation dans le cadre du maintien de l’ordre public.

Lors de la journée du 10 septembre, le préfet de l’Hérault a mobilisé également un canon à eau des CRS sur la place de la Comédie, classé dans la catégorie des « armes à létalité réduite ». Après des jets de bouteilles et de pierres en direction des forces de l’ordre, la riposte ne s’est pas faite attendre. Plusieurs vidéos montrent un usage du canon à eau à une puissance qui semble disproportionnée : on y voit des manifestants projetés au sol et repoussés sur plusieurs mètres. Plus grave, le cas de Lucas, qui se trouvait à une dizaine de mètres du canon et a reçu un jet sur la tête et le torse, le projetant violemment vers l’arrière et lui causant de graves blessures. Perte de connaissance sur place et confusion ont conduit à son transfert immédiat à l’hôpital, où il a été admis dans un état grave avec un traumatisme crânien, entraînant des pertes de mémoire et des difficultés d’élocution.

unieowlgaDIOX - Amnesty
unieowlgaDIOX - Amnesty

Depuis au moins 1996, des rapports et des articles de presse documentent la dangerosité des canons à eau. Un rapport de l’Union européenne des années 2000 montre que ces armes blessent gravement et tuent dans le monde. Plus récemment, en 2024, après avoir publié des rapports sur l’usage des canons à eau à l’international, Amnesty a publié une série de recommandations concernant cette technologie.

Un préfet et un maire à la ramasse

En plus de la « sémantique de guerre » qu’il utilise dans ses communiqués de presse, le préfet de l’Hérault - qui réduit les manifestants à des personnes « hostiles et cagoulées » - n’hésite pas à stigmatiser une prétendue vague de « rumeurs colportées sur les réseaux sociaux ». Dans un de ses propres posts, il remet en cause les agressions envers les manifestants et manifestantes ainsi que les journalistes, et réfute la réalité – pourtant avérée- de la « blessure grave » de Lucas lors de l’usage du canon à eau.

De son côté, le maire a déployé la Police municipale sur plusieurs points de la ville afin d’assurer une mission de maintien de l’ordre — une action totalement hors de ses compétences, et facilement vérifiable en ligne. Pour réfuter les accusations, Michaël Delafosse a recours à une terminologie policière, présentant cette intervention illégale comme un simple dispositif axé sur le « maintien du bon ordre ». Pourtant, la Police municipale était bel et bien en contact avec les manifestants : elle a bloqué et contraint leurs déplacements, et, sur la place de la Comédie, l’un de ses agents a même poussé une manifestante.

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