Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Eric Bouliere

1.281.151 vaccins jetés à la poubelle

De si précieuses doses qui ne seront jamais utilisées…

A l'heure où les vaccins manquent, la consigne gouvernementale demeure formelle: on vaccine, on vaccine, et surtout on accélère ! Farce scandaleuse ou sinistre gâchis, les autorités sanitaires ont-elles seulement conscience d'avoir potentiellement fichu en l'air plus d'un million de doses?

Et si nous faisions le bon tri .. - © Reflets

1.281.151 doses… juste de quoi vacciner la moitié des Parisiens ou la presque totalité des habitants de la métropole Aix-Marseille-Provence. Grâce à ce million de seringues supplémentaires, l'ensemble des Lyonnais auraient également pu bénéficier d'une double vaccination. Mais non, poubelle. Explications…

L'affaire n'est pas nouvelle et Reflets s'est déjà longuement penché sur le sujet de la contenance des flacons. Rappelons que les solutions vaccinales anti-covid nous parviennent en conditionnement multidoses et que chaque laboratoire fixe un nombre de doses maxi à extraire d'un seul flacon. Sur le terrain, les infirmiers chargés de cette manipulation se sont vite aperçus qu'on pouvait en soutirer davantage. Certains parviennent même à faire mieux encore à la condition d'utiliser des seringues spécifiques et dédiées à cet usage: jusqu'à 7 doses possibles chez Pfizer (contre 6 autorisées), 11 voire 12 doses pour Moderna et AstraZeneca (contre10 autorisées).

Quand c'est flou, c'est fou…

Ce flou procédural et ces différences d'extraction des vaccins génèrent pourtant de considérables écarts comptables. Face à cette diversité de résultats, nous nous sommes résolus à projeter le nombre potentiel de doses disponibles depuis l'arrivée des vaccins sur le marché Français. Le calcul est simple et rapide. Exemple avec le cas Pfizer: il suffit de soustraire les vaccinations réalisées jusqu'à présent avec des flacons à 6 doses aux vaccinations induites avec des flacons qui auraient pu compter pour 7.

Le fossé se creuse naturellement au fil du nombre effectif des injections. Hélas, ce surplus de vaccins ne possède qu'une valeur virtuelle et purement mathématique tant les autorités sanitaires n'ont pas considéré ces pertes comme une tangible réalité. Les ARS (agence régionale de santé) se sont retranchées derrière les normes établies par les labos afin de discrètement sommer les médecins de ne pas utiliser ces doses de contrebande.

Pourtant, toutes marques confondues, entre le total de vaccins déclarés "autorisés" et celui des doses dites "non autorisées", les chiffres se gonflent singulièrement d'importance...

Plus d'1,2 millions de doses, vous disait-on en préambule, selon nos calculs. Quand on pense que le bon Dr Hamon s'étranglait (ici) de devoir jeter quelques 50 vaccins !

Le Dr Hamon: on a balancé 50 vaccins depuis hier soir! - Capture écran
Le Dr Hamon: on a balancé 50 vaccins depuis hier soir! - Capture écran

Sa colère ajoutée au questionnement des sénateurs Olivier Rietmann et Jean-François Longeot (ici) auront au moins servi à porter l'éclairage sur le décalage entre théorie régalienne et pratique infirmière. Tous s'irritent de ne pouvoir utiliser ces vaccins "en plus", sous prétexte d'une réglementation jugée stupide et aveugle. Pour autant ces coups gueules, locaux et très ponctuels, ne semblent pas avoir troublé les esprits en profondeur. En effet, depuis ces louables interventions, le covid a suivi son cours d'un variant à l'autre, l'information en continu a fouetté l'actu d'après en continu, et nos ministres ont pagayé de Boulogne-sur-Mer à Dunkerque en colmatant les trous de la barcasse gouvernementale.

Cette atonie généralisée parait toutefois ne pas convenir à Olivier Rietmann qui relance le débat au Sénat en ces termes: " Le 3 mars dernier, la ministre déléguée auprès du ministre de la santé annonçait que l’État mettait à disposition des établissements de santé et des centres de vaccination du matériel adapté pour récupérer la onzième dose du vaccin Moderna. Elle ajoutait anticiper cet enjeu, qu’elle qualifiait de primordial afin de maximiser le nombre de personnes vaccinées dans les meilleurs délais. Depuis cette déclaration attendue, force est de constater qu’elle n’a été suivie d’aucun changement de doctrine sur le terrain et d’aucune mise à disposition du matériel idoine…". Il y aurait pourtant bien là matière à tirer bruyamment du canon car 1.281.151 p'tites doses, ce n'est pas rien tout même. Eh bien non, mer d'huile et seringue de bois du côté des autorités. Mais après tout pourquoi s'alarmer puisque, quoi qu'il arrive, les soignants font consciencieusement le boulot de leur côté...

Des flacons à contenance variable ?

Sous couvert d'une note à caractère confidentiel (ici) ou d'un appel à la mobilisation urgente, les praticiens doivent périodiquement ajuster à la hausse le nombre de doses à extraire des différents flacons : un jour 5, l'autre 6, et verra qui vivra pour après-demain ! C'est ainsi que Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, les a enjoint d'utiliser une 6ème dose avec le flacon Pfizer le 18/01/21, avant de venir se prononcer en faveur de l'extraction d'un 7ème vaccin en date du 12/03/21.

Les jours passent, les doses changent... - Reflets
Les jours passent, les doses changent... - Reflets

C'est donc avec audace, courage, et anticipation que la DGS vient d'avertir en mots choisis qu'il serait "parfois possible d'extraire une 7ème dose (...) qu'il revient aux professionnels (...) sur le terrain (...) au cas par cas (...) d'estimer (...) en respectant les bonnes pratiques applicables (...)" . Bref, on n'aurait pas fait mieux s'il s'agissait de faire endosser la responsabilité de cette opération au personnel soignant... En cas d'éventuels problèmes, les piqueurs seront les payeurs, car enfin, ne les avait-on pas mis en garde à propos de ces dérangeantes énièmes doses !

 A croire que la DGS ne serait responsable de rien.... - © Reflets
A croire que la DGS ne serait responsable de rien.... - © Reflets

L'autorisation qui cache la seringue

Mais ces petites mesurettes consenties du coin des lèvres, ces conditions d'usage qu'on accepte sans accepter ou que l'on tolère sans légiférer, ne sont qu'un modeste replâtrage de vieux murs. Se prononcer pour une X+1 dose sans considérer la X+2 à venir n'est pas à la hauteur de la situation. Cela permet surtout d'éviter de soulever le problème à bras le corps. Car au-delà des grands discours et des grands secrets, c'est bien de la petite seringue qu'il s'agit. Le gain en nombre de vaccins demeure intimement lié aux instruments fournis aux soignants par Santé Publique France. Mais là, bien sûr, on devine de suite : que le matériel manque, qu'il s'avère très difficile de fournir l'ensemble du territoire, qu'a priori ces fameuses pompes à "aiguilles serties" et à "faible volume mort" proviendraient de la Chine lointaine, que les stocks arriveraient ici ou là sans trop de cohérence ni véritable certitude…

Évidemment rien n'est simple en cette étrange époque de Com'vide. Mais cerner les petits maux avant de s'attaquer aux grands remèdes pourrait peut-être s'avérer judicieux. Ne serait-il pas plus raisonnable de débattre de ce problème de seringues en place médicale publique plutôt que de laisser infirmiers, médecins et pharmaciens œuvrer en toute discrétion à l'arrière boutique de leurs officines ?

La science avance, on sait des choses... - Capture d'écran
La science avance, on sait des choses... - Capture d'écran

Mais haut les cœurs, vaccinons, vaccinons, accélérons pied dedans et tâchons d'apprendre de nos erreurs ! Après tout, pourquoi s'inquiéter de ce menu souci algébrique alors qu'au bout d'un an de covid, Monsieur Castex se tient aux faits des choses et des avancées de la science : "on sait aujourd'hui qu'on se contamine infiniment moins quand on se promène en plein air, qu'en étant regroupé, sans masque, en intérieur…". Alors là, oui, nous voici bien rassurés, nul ne doute que ce dossier des doses fantômes devrait être rapidement résolu.

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