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par Antoine Champagne - kitetoa

Arrestation de djihadistes français en Syrie : l'épineux problème des revenants

Plusieurs djihadistes ont été arrêtés par les forces kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD) en Syrie. Pas n’importe lesquels. Il s’agit de pionniers du djihad en France : Thomas Barnouin, Thomas Collange, Romain Garnier et Emilie König.

Plusieurs djihadistes ont été arrêtés par les forces kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD) en Syrie. Pas n’importe lesquels. Il s’agit de pionniers du djihad en France : Thomas Barnouin, Thomas Collange, Romain Garnier et Emilie König. Les hommes faisaient partie de la cellule d’Artigat (du nom du hameau où réside « l’émir blanc » Olivier Corel), le fer de lance de la mouvance salafiste de la région toulousaine, avec comme maîtres à penser Olivier Corel (jamais condamné) et les frères Clain qui se sont notamment illustrés en revendiquant, au nom de l’État Islamique, les attentats du 13 novembre 2015. La cellule d’Artigat avait organisé dans les années 2000 une filière pour envoyer des djihadistes en Irak, tissant les premiers liens solides avec la communauté salafiste belge, que l’on retrouvera plus tard au cœur des attentats du 13 novembre.

Thomas Barnouin s'est converti à l'Islam en 2000. En 2002, il fréquente la mosquée de Bellefontaine à Toulouse où il rencontre les frères Clain et Sabri Essid.

L’année suivante, il fait le pèlerinage à La Mecque, en Arabie Saoudite. Sur place, il s'inscrit à l'université de Médine afin d'étudier la langue arabe. Il revient en France à l’été 2005 avant de reprendre ses cours à Médine pendant l’année 2006. De retour pour l’été 2006, il effectue des aller-retours en Belgique avec Fabien Clain où il rencontre des membres de la mouvance salafiste locale. Les services de renseignement sont sur leurs traces et immortalisent le voyage.

A Toulouse, il est hébergé par Sabri Essid. A la fin de l’été 2006, il rencontre Olivier Corel qui le convainc de retourner à Médine y finir ses études. Mais de retour en Arabie Saoudite, il décide de se rendre en Irak pour rejoindre un groupe armé luttant contre les forces américaines. Barnouin passe en Jordanie le 17 octobre 2006, rejoint la Syrie où le retrouve Sabri Essid. Tous deux espèrent passer en Irak pour y combattre. Mais les forces de sécurité syriennes les arrêtent le 12 décembre 2006 en compagnie de trois Syriens et d'un Saoudien. Des tirs sont échangés. Thomas Barnouin et Sabri Essid sont détenus en Syrie jusqu’au 13 février 2007, date à laquelle ils sont expulsés vers la France et placés en garde à vue à leur descente d'avion. Bien qu’il tente de laisser croire aux enquêteurs en 2007 qu’il est opposé à ce que des étrangers rejoignent des combattant d’un pays musulman en guerre, on retrouvera Thomas Barnouin au cœur de l’État Islamique. Quand les enquêteurs lui demandent : « Selon vous les individus qui rejoignent un pays agressé ou occupé pour participer à la résistance du peuple de ce pays, font-ils le "djihad" ? », il répond : « Non, je pense que le djihad ne peut être fait que par le peuple du pays agressé. Par exemple pour l'Irak, ceux qui ne sont pas Irakiens et s'y rendent pour faire le "Djihad" ne font qu'ajouter du malheur dans ce pays ».

Les autres membres du réseau Artigat sont interpellés à leur tour dans les régions toulousaine et parisienne dès le lendemain de l’interpellation de Thomas Barnouin. De leur côté, les autorités belges se chargent des islamistes radicaux en relation avec le groupe d’Artigat. En octobre 2007 ce sont Thomas Collange et Anouar El Mahdi qui sont arrêtés. Suivis par Fabien Clain le 20 février 2008.

Leur procès en 2009 débouche sur des condamnations à cinq ans de prison pour Thomas Barnouin, Sabri Essid et Fabien Clain. En 2014, il quitteront la France pour rejoindre l’État Islamique. En 2011, Olivier Corel avait entre-temps célébré le mariage religieux de la mère de Mohamed Merah avec le père de Sabri Essid. Ce dernier, présent à l’enterrement de Mohamed Merah, est également un pionnier de la mouvance djihadiste de la région toulousaine. On l’a vu sur des vidéos d’exécutions d’otages de l’État Islamique.

Thomas Collange, qui a fait l’objet de deux fiches S (en 2002 et 2005) a également été mis en cause dans le dossier Artigat. Il a, lui aussi, fait le voyage vers la Syrie en 2006 pour rejoindre l’Irak. Interrogé dans le cadre du dossier Artigat, il déclarait : « Moi je suis en Syrie uniquement pour mes études et parce que je voulais faire ma vie là-bas avec ma famille. J'ai pris des contacts en Syrie parce que je veux donner des cours de français. Je n'ai ni l'intention de partir pour l'Irak ni l'intention d'aider quelqu'un à partir en Irak. Je comprends que vous ayez des doutes par rapport aux gens que je suis susceptible de connaître en Syrie, mais moi mon objectif, c'est d'éviter la détention. J'ai une fille et ma femme est enceinte. Je serais disposé dans le cadre d'un contrôle judiciaire à aller à Cambo pour m'éloigner de Toulouse et des gens concernés par le dossier. Je pourrais aller pointer à la police et vous remettre mon passeport dès qu'il serait prêt ». Visiblement, ses priorités ont changé au fil des ans puisqu'il vient d’être arrêté par les forces kurdes en Syrie.

Romain Garnier apparaît quant à lui en périphérie du dossier Bataclan. Il avait envoyé 200 euros à un terroriste. On l’a vu sur plusieurs vidéos de l’État Islamique, recrutant des candidats au djihad.

Romain Garnier, originaire de Vesoul et ancien espoir de natation, avait quitté la France en 2014 avec sa femme pour la Syrie.

Emilie König est quant à elle une jeune femme radicalisée originaire de Bretagne. C’est la première femme inscrite sur la liste des terroristes internationaux par les Etats-Unis. Elle avait rejoint la Syrie en 2012 et appelait dans des vidéos à commettre des actions violentes sur le territoire français, notamment à tuer des femmes de militaires.

La gestion des « revenants » : une problématique qui va s’accentuer

Les estimations varient. Selon les noms compilés par la Justice française, consultés par Reflets, ce sont quelque 840 Français, hommes et femmes qui auraient rejoint l’État Islamique. Selon un djihadiste rentré en France, l’organisation aurait recensé 2000 Français en son sein. Avec les défaites de l'État Islamique, la problématique des « revenants », c’est à dire les djihadistes français qui reviennent sur le territoire, va s’accentuer. La récente capture par les forces Kurdes de Thomas Barnouin, Thomas Collange, Romain Garnier et Emilie König se traduira sans doute par de lourdes peines de prison pour ces pionniers du djihad. La discussion sur la meilleure réponse à apporter n’est pourtant pas tranchée : tentative de dé-radicalisation (pour autant que cela soit possible) ou prison ? Pour l’instant, l’incarcération semble la solution la plus appliquée. Emmanuel Macron indiquait toutefois en novembre que pour les femmes, il faudrait traiter « au cas par cas ».

Début janvier 2017, Nicolas Moreau était lui condamné à 10 ans de prison, pour avoir combattu aux côtés de l’État Islamique. Il avait lancé aux juges : « Si vous me mettez une lourde peine, cela va être plus dur de me réinsérer Je reprendrai les armes ». Revenant « volontaire », il avait collaboré avec la Justice française en fournissant de nombreuses informations sur les combattants français qu’il avait croisés sur place, encore vivants ou morts au combat et sur l’organisation de l’État Islamique, notamment l’EMNI, le service de renseignements du groupe.

Sa connaissance des djihadistes français et belges à Raqqa lui permettait par exemple d’affirmer aux enquêteurs en juin 2015 que Abdel Hamid Abaaoud, alias Abou Omar, était revenu en Belgique pour commettre des attentats dans ce pays ou en France. Hamid Abaaoud, mort le 18 novembre 2015 dans l’assaut de Saint-Denis, était impliqué dans plusieurs dossiers : 13 novembre, attentat contre le musée juif de Bruxelles, « Il venait déjeuner tous les jours dans mon restaurant » à Raqqa en 2014, soulignait-il. A propos de l’envoi de combattants en Europe pour commettre des attentats, « C'est Abou Omar qui a un regard sur les dossiers mais ce sont les deux tunisiens qui décident d'envoyer ou pas, de retenir le dossier ou pas », précise Nicolas Maureau aux enquêteurs. A plusieurs reprises, Nicolas Moreau demande aux enquêteurs des gages : « Je souhaiterais avoir des garanties concernant mon avenir ». Aucune garantie ne viendra, à part la prison. Aurait-il tourné la page du djihadisme s’il avait été réinséré dans la société et « protégé » comme un « repenti » ? Mystère.

Jeudi 4 janvier, la France a visiblement décidé de laisser les Kurdes s’occuper d’Emilie König. Les femmes djihadistes françaises arrêtées et détenues par les forces kurdes en Syrie pourront être jugées sur place si « les institutions judiciaires sont en capacité d’assurer un procès équitable » avec des « droits de la défense respectés », a expliqué sans sourciller Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement. Voilà une solution expéditive, qui risque de régler définitivement le problème des « revenants ».

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