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par Antoine Champagne - kitetoa

Amesys : #LesDix passés à la question confirment l'implication de Philippe Vannier

Amesys est une véritable Saga sur Reflets. Le 22 février 2011, Bluetouff lance l'affaire sur Reflets avec un tweet et un court article titré "Probablement pas …" puis présente le fameux Eagle (GLINT) d'Amesys dans un article du 31 mai 2011 titré "Deep Packet Inspection : « il suffit de mettre des gros ordinateurs… les chinois l’ont bien fait » J.Myard". En juin 2011, Olivier Tesquet publie sur Owni le nom de l'entreprise dont nous parlions alors : Amesys.

Amesys est une véritable Saga sur Reflets. Le 22 février 2011, Bluetouff lance l'affaire sur Reflets avec un tweet et un court article titré "Probablement pas …" puis présente le fameux Eagle (GLINT) d'Amesys dans un article du 31 mai 2011 titré "Deep Packet Inspection : « il suffit de mettre des gros ordinateurs… les chinois l’ont bien fait » J.Myard". En juin 2011, Olivier Tesquet publie sur Owni le nom de l'entreprise dont nous parlions alors : Amesys. Cette entreprise a vendu un système d'écoute à l'échelle d'un pays, la Libye de Kadhafi en l'occurrence. Vient ensuite la confirmation par l'image. En effet, peu après la chute du colonel Kadhafi, le Wall Street Journal découvre à Tripoli un des centres d'écoutes mis en place par Amesys et publie des images le 30 août 2011, avec le logo de l'entreprise affiché au mur.

Depuis le début de l'affaire, Reflets a publié pas moins de 333 articles qui évoquent cette société. Et ce n'est pas fini. En février 2016, les enquêteurs qui planchent sur l'accusation de complicité de torture concernant Amesys, dans le cadre d'une instruction ouverte auprès du Pole Crimes de guerre du Tribunal de grande instance de Paris, ont réalisé une opération d'interpellations coordonnées. Elle visait des personnes impliquées dans le développement de la solution Eagle, le système vendu au colonel Kadhafi par Philippe Vannier, à l'époque patron d'Amesys.

Au moment où Bull, dépité par l'image négative que provoque l'évocation du nom de sa filiale Amesys décide de se séparer de l'activité Eagle, Philippe Vannier évoque une dizaine de personnes concernées et seulement 0,5% du chiffre d'affaires de Bull. Reflets décide donc de désigner les personnes qui ont travaillé sur Eagle, "#LesDix".

Le 26 février 2016, #LesDix ont donc été cueillis par les gendarmes pour une garde à vue et des perquisitions. En réalité, les enquêteurs et le juge s'intéressaient à vingt et une personnes. Une douzaine de personnes sont entendues.

Toutes ont confirmé l'implication majeure de Philippe Vannier, alors patron d'Amesys, puis dirigeant et propriétaire de Bull, aujourd'hui Directeur Exécutif, Big Data & Sécurité et Directeur de la Technologie du Groupe Atos, dans la vente de l'Eagle à Kadhafi.

Philippe Vannier était en charge de la partie contractuelle. C'est lui, avec Stéphane Salies, en charge de la partie commerciale, qui créent l'équipe des #Dix dès 2006. Vincent Grimaldi est le responsable technique et Renaud Roques le chef de projet.

Vincent Grimaldi est un ancien de la DST, créateur de la société Serpikom. Les anciens des services sont visiblement les bienvenus chez Amesys version 1 puisque Rudy Richard, autre membre des #Dix, qui accueille tout ce petit monde à Tripoli lors des déplacements chez le client, est un ancien de la DRM (Direction du renseignement militaire). Il s'occupe principalement de l'intendance sur place, prenant ainsi la suite d'un autre ancien de la DRM, Louis Azard.

#LesDix qui se déplacent à Tripoli sont accueillis dans une villa puis un appartement loué par Amesys, roulent dans un 4X4 acheté sur place et placent leur liquide pour les menues dépenses dans un coffre... Nous avions d'ailleurs révélé qu'à la veille de son dernier voyage à Tripoli, Philippe Vannier emportait 3000 euros en liquide.

Abdallah El Senoussi, un terroriste très sympa

Philippe Vannier, selon #LeDix, discute avec les Libyens de leur projet de mettre sur écoute les flux Internet du pays, recrute les équipes, reçoit à Boulogne-Billancourt et à Aix une délégation libyenne dont fait partie Omar Salem, responsable de de la direction des renseignements militaires de son pays, et qui dépend du fameux Abdallah El Senoussi, condamné en France par contumace pour son rôle dans l'attentat du DC 10 d'UTA. C'est encore Philippe Vannier qui discutera d'un upgrade de la solution, utilisation grandissante d'Internet dans le pays oblige. Las, la révolution libyenne mettra fin à ce beau deal. Le système Eagle était ainsi pleinement opérationnel en 2009 en Libye où il a fonctionné jusqu'à la chute de Kadhafi.

Sur le plan éthique, #LesDix ont expliqué aux enquêteurs qu'il n'y avait pas de discussions sur le projet Eagle en interne jusqu'à la parution d'articles dans la presse. Pourquoi ? Simplement parce que tout le monde savait que le gouvernement français et les militaires étaient au courant de ce projet et l'approuvaient, résument-ils. Quant à la direction, elle balayait les objections d'un revers de main, en mode "si c'est pas nous ce seront d'autres boîtes". Du coup, tout cela était très naturel. Visiblement aucun des #Dix n'avait de notions d'histoire contemporaine et ne connaissait le passé sanglant du colonel Kadhafi... Pour autant, Amesys comprend bien qu'il y a quelque chose qui cloche et que toute cette affaire est mauvaise en termes d'image. Car le 12 septembre 2011, la direction envoie un courrier aux salariés et anciens salariés, leur rappelant qu'aux termes de leurs contrats, ils n'ont pas le droit de parler de leur travail, et surtout pas à la presse.

Parmi #LesDix, certains ont quitté Amesys, l'un d'entre eux travaille désormais chez Criteo, spécialiste du ciblage intrusif pour la publicité en ligne, d'autres ont été intégrés dans la nouvelle version d'Amesys (Nexa et AMESys) par Stéphane Salies qui a repris l'activité. Et comme le montre l'article d'Oliver Tesquet paru aujourd'hui dans Télérama, l'activité se porte bien puisque le nouvel Amesys a vendu un Eagle (rebaptisé Cerebro) à l'Egypte d'El Sissi, un autre spécialiste de la chasse aux opposants. L'histoire risque donc de se répéter, même si la France est au mieux avec l'Egypte, surtout sur un plan commercial.

De la même manière, comme nous l'indiquions il y a quelques jours, le Eagle qui tourne à Rabat doit être très bien employé par la police du Roi du Maroc, dont ont connaît le tact et la douceur avec les opposants. La contestation dans le Rif n'a qu'à bien se tenir et ferait bien d'utiliser, entre autres, des outils de chiffrement et d'anonymisation.

Inquiète, la rédaction de Reflets s'est enquise du sort des dix :

  • Nicolas Deckmyn est aujourd'hui Directeur marketing et avant-vente chez Nexa Technologies
  • Amadou Barry est aujourd'hui Oracle Architect & DBA chez Advanced Systems Dubaï UAE
  • Talal Diab est aujourd'hui Telecommunications Engineer chez OneAccess
  • Lionel Flandrin a quitté Amesys en 2011
  • Hugo Giguelay est aujourd'hui RSSI chez Nexa Technologies
  • Philippe Job était, aux dernières nouvelles, toujours dans la galaxie Amesys
  • Vincent Le Ligeour est désormais Ingénieur chez Key Consulting
  • Emmanuel Peroumalnaik est désormais Escalation Engineer chez Criteo
  • Thomas Franciszkowski est aujourd'hui Vice President R&D chez Intersec
  • Vincent Grimaldi s'est retiré du paysage
  • Renaud Roques est désormais Pre-Sales Director & Co-Founder de Nexa Technologies

 

  • Philippe Vannier est désormais Directeur Exécutif, Big Data & Sécurité, Directeur de la Technologie du Groupe Atos
  • Stéphane Salies est CEO de NEXA Technologies

Rassurez-vous, tout le monde semble donc aller bien. Mieux en tout cas que ceux qui ont été torturés et entendus par les juges du Pole Crimes de guerre du Tribunal de grande instance de Paris, sur la base des écoutes réalisées avec le Eagle, créé vendu et déployé par la fine équipe.

La responsabilité de Alten qui a prêté main forte à Amesys au moins par deux fois sur des projets Eagle n'est pas recherchée.

La responsabilité des politiques qui ont soutenu à bouts de bras Philippe Vannier dans ses différentes entreprises, Amesys, prise de contrôle de Bull, revente de Bull à Atos, vente des Eagle à la Libye, au Maroc, à l'Arabie saoudite, au Quatar, au Gabon, on en passe..., n'est pas recherchée.

Reste une inconnue : pourquoi diable Thierry Breton, patron d'Atos, a-t-il offert une sorte d'asile politique à Philippe Vannier au sein du Comité exécutif de l'entreprise avec tous les risques d'image qu'impliquent sa mise en cause dans une instruction ouverte pour complicité de torture ?

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