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par Fabrice Epelboin

Accords Lustre : le gouvernement commence à lever le voile sur le Prism Français

Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur du gouvernement Ayrault et membre du parti Socialiste, a-t-elle commencé à déminer ce qui s'annonce comme la plus grosse affaire du mandat de François Hollande ?

Nicole Bricq, ministre du Commerce extérieur du gouvernement Ayrault et membre du parti Socialiste, a-t-elle commencé à déminer ce qui s'annonce comme la plus grosse affaire du mandat de François Hollande ?

C'est la question que l'on peut se poser, car si la gaffe de Fleur Pellerin, qui qualifiait Alcatel de 'pièce maitresse de la cyber-surveillance' n'était clairement pas volontaire, et laissait déjà apparaitre un équivalent Français au programme américain XKeyscore - qui permet à la France de faire à l'Afrique et au Moyen Orient ce que la NSA fait à l'Europe -, la sortie de Nicole Bricq sur TV5 est, elle, clairement calculée.

Première révélation : la ministre avoue clairement que les "cris d'orfraies" poussés par François Hollande et Laurent Fabius au sujet du programme de surveillance Américain ne sont que du théâtre, sans doute destinés à apaiser le petit peuple, et à initier un mensonge d'Etat à coté duquel Jérôme Cahuzac va faire l'effet d'un enfant de chœur.

Elle a, dès le début du mandat de François Hollande, demandé un rapport à Claude Revel, déléguée interministérielle à l'intelligence économique (et par ailleurs présidente d'IrisAction, une officine d'intelligence économique - qui a dit conflit d'intérêts ?). Remis en janvier dernier - il y a dix mois - la ministre concède que "depuis lors, le premier ministre a pris l'affaire au sérieux". La surprise au sujet de Prism affichée par Hollande et Fabius est donc bien feinte. Ils étaient tous deux parfaitement au courant de ce qu'il se passait.

Deuxième concession, et c'est sans doute la plus intéressante, face au journaliste qui lui demande si nous même, français, nous n'espionnons pas, elle réplique qu'au contraire, "on sait quand même ce qu'il se passe chez les autres !". Le trio de journalistes relance - c'est assez rare pour être souligné et salué - et demandent à la ministre si elle a des informations, mais celle-ci se rétracte : "je n'ai pas d'information" - que voulez-vous, elle n'est que ministre, mais "un pays comme la France doit aussi avoir son outil concernant... heu... c'est pour ça que... je vous parle de l'intelligence économique... non mais... heu... attendez... on n'est pas dépourvu en la matière".

Le Prism Français, c'est quoi ?

Hasard ou coïncidence (ou pas), au même moment, la presse Allemande (relayée par TV5) annonçait que des accords de coopération sur la surveillance entre la France et les USA avaient été passés " il y a quelques années", alors qu'il y a trois jours, Najat Vallaud-Belkacem, porte parole du gouvernement, expliquait que François Hollande voulait "que s’engage une coopération bilatérale entre les services de renseignement français et les services de renseignement américains pour y voir plus clair sur ce sujet et encadrer les choses".

Ironie du sort (qui s'acharne, décidément, sur le Parti Socialiste), Najat Vallaud-Belkacem occupait, peu de temps avant d'entrer au gouvernement Français, le poste de conseiller du roi Mohammed VI (un client de Bull-Amesys), qui l'avait nommée membre du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (qui a dit conflit d'intêrets ?).

Pour rappel, le Maroc est - outre un paradis pour pédophiles - un pays qui vient de mettre en place une censure politique de l'internet, utilisant les technologies Bull-Amesys, et s'en sert également pour traquer son opposition politique (Bull-Amesys est un leader mondial de la surveillance, dans lequelle le FSI, aujourd'hui Banque Publique d'Investissement, dirigée par Ségolène Royal, a récemment investi, et dont Orange est l'un des principaux actionnaires).

La censure au Maroc touche des sites tels que Lakome.com (un journal d'investigation et d'opinion Marocain), dont l'un des fondateurs a récemment fait un séjour en prison , ainsi que... Reflets.info. Amusant, non ?

Incoming Shitstorm

Comment Diable la France a-t-elle pu se retrouver en mesure de discuter d'égal à égal avec les USA sur un programme de surveillance globale des populations ? C'est assez simple, et la raison se trouve dans la toute première série de slides révélées par Edward Snowden, qui montre la position stratégique des USA dans le trafic mondial sur internet.

prism-slide-2-1
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Le constat fait par la NSA est simple : une énorme partie du trafic Internet mondial passe par les USA, et place ces derniers dans une position privilégiée pour écouter tout le monde. Tout le monde ? Pas vraiment. Comme le montre très clairement cette slide, le continent Africain échappe en grande partie aux grandes oreilles Américaines (seulement 11Gb de trafic)... Mais pas aux grandes oreilles Françaises (343Gb, ou presque), mettant ainsi le pays de Droits de l'Homme et du fromage dans une position unique pour intégrer le club fermé - aux cotés d'Israël - des grands maitres de la société de surveillance qui s'installe.

France Telecom ACE Karte PNG
France Telecom ACE Karte PNG

Cet accord de coopération que François Hollande prétend vouloir négocier avec Obama se nomme en réalité "Lustre", et aurait été signé par Nicolas Sarkozy il y a quelques années. Pourquoi "Lustre" ? Je vous laisse choisir... (1, 2, 3, ou plus rigolo : 4)

De quoi éclairer d'un œil nouveau certaines visites à l'Elysée et renouveler en profondeur la fameuse Françafrique. Mais c'est également une bonne raison pour que les populations Françaises comme Africaines se soulèvent contre les dirigeants d'un pays qui est devenu, en quelques années, le plus grand danger pour les Droits de l'Homme dans le monde.

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