Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

A la recherche du sens dans le jargon du Web

L'histoire est connue de ceux qui s'intéressent à ce réseau depuis assez longtemps. Mais il n'est pas inutile de la rappeler en préalable. Peu avant 2000, les entreprises liées au Net étaient tellement recherchées, les promesses de bénéfices tellement élevées que tout investisseur qui se considère comme tel se devait d'investir dans ce secteur. Deux petits grains de sables virent doucher les espoirs.

L'histoire est connue de ceux qui s'intéressent à ce réseau depuis assez longtemps. Mais il n'est pas inutile de la rappeler en préalable. Peu avant 2000, les entreprises liées au Net étaient tellement recherchées, les promesses de bénéfices tellement élevées que tout investisseur qui se considère comme tel se devait d'investir dans ce secteur. Deux petits grains de sables virent doucher les espoirs. D'une part les entreprises étaient valorisées sur du vent, au doigt mouillé, sur des promesses improbables. Les unes se vantaient de recevoir des millions de visiteurs. Les autres se rêvaient en pionniers d'une technologie qui allait révolutionner la vie. L'univers même, peut-être. Ce qui nous avait conduit, par exemple, avec l'ami Zipiz, à créer un site pour expliquer que les statistiques, sur le Web, ne voulaient absolument rien dire. En outre, il suffisait d'avoir un peu de vision historique sur les quelques années d'existence du Net pour le grand public, pour comprendre que les technologies déployées étaient surtout, temporaires. A peine implémentées, à peine adoptées par les utilisateurs, un nouveau "standard" était adopté. Le chemin habituel était inversé. Ce n'étaient plus les entreprises qui imposaient un standard, mais les utilisateurs. Et l'utilisateur est fluctuant. Bref... L'autre grain de sable tient en un phrase que les investisseurs connaissent bien, se répètent inlassablement en l'oubliant immédiatement : "les arbres ne montent pas au ciel". Si quelqu'un expose publiquement que tout repose sur du vent, ce que tout le monde sait mais que personne ne disait jusque là, la bulle spéculative explose. Ce qu'elle fit au milieu de l'an 2000. Catastrophe mondiale, bien que nettement moins impactante que la crise financière de la dette souveraine que nous connaissons aujourd'hui. Les crises qui secouent la finance mondiale ont tendance à être chaque fois plus importantes. Mais c'est un autre sujet. Comment faire pour sortir de ce mauvais pas ? Le secteur des NTIC a trouvé la parade. Pur marketing, mais diablement efficace.

Fin 2004, Tim O'Reilly invente le concept du Web 2.0. Un nouveau Web, donc, mais cette fois, participatif, permettant l'autopublication de manière facile, non technique, à la portée de n'importe qui. L'utilisateur du Net devient acteur.

Sur cette base, nombre d'entreprises et de personnes, vont construire une maison, un immeuble, peuplé de termes tout aussi ridicules uns que les autres, mais auto-réalisateurs.

The Social networking

En 2005, quelques temps après l'apparition du concept de Web 2.0, qui relance le secteur moribond des NTIC, Jonas Luster crée la surprise au sein d'une conférence (dans laquelle intervenait également Jacob Appelbaum) de plusieurs jours sur ce que l'on appelait encore les "Webzines", c'est à dire les projets d'autopublication indépendante sur le Web. Jonas a fait un discours remarquable et remarqué à propos du "social networking" : "Social networking' is a non-existent, overused and over hyped concept". Jonas, qui en a vu d'autres, explique de manière relativement énervée, l'évidence. On ne crée pas de relations "sociales" en discutant via Twitter ou Facebook (qui n'existent pas encore) avec de parfaits inconnus que l'on qualifie d'amis. Pour lui, l'amitié est quelque chose qui se construit sur la durée, en face à face, dans des dîners, lors de sorties, en vivant des expériences en commun.

Et pourtant, le concept s'est imposé et les utilisateurs croient avoir des milliers d'amis, hypertrophient leur ego en consultant régulièrement leur nombre d'amis ou de followers.

En attendant, sur un concept inepte, Facebook ou Twitter sont devenus des empires, des machines à cash. En attendant qu'une nouvelle technologie les détrône. Vous doutez ? Qui aurait anticipé à l'époque que Yahoo ou Altavista allaient être détrônés ou sombrer dans l'oubli quelques années après la naissance d'un certain Google ?

The Internet of things...

Nouvelle époque, nouveau mot ajouté au jargon, nouveau concept qui permettra de créer un nouveau business, une nouvelle activité lucrative liée à Internet : l'internet des objets, les objets connectés.

Réfléchissons deux minutes.

Ou plutôt, laissons parler Waren Ellis, créateur de Spider Jerusalem (entre autres choses). Son discours d'ouverture de ThingsCon15 à Berlin est frappé au coin du bon sens : on parle d'internet des objets, mais Internet toujours été un truc peuplé d'objets, il n'a jamais été quelque chose d'organique.

Bien sur, le fait que les têtes pensantes des tendances marketing inventent des mots vides de sens ou ayant un sens inapproprié n'est pas une nouveauté. Quand on vous a vendu la "télé-réalité", vous vous doutiez, même inconsciemment que c'était tout sauf de la "réalité". Les personnes enfermées dans un hangar (Le Loft par exemple) faisaient toutes sortes de choses, sauf ce qu'elles faisaient dans la "vraie" réalité de leur vie de tous les jours.

Il en va de même pour les "tendances" du Net. A chaque année, son wagon de nouveau termes à la mode. Vides de sens, mais générant de l'activité. Jusqu'à la fin de la prochaine bulle.

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