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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Les espions se cachent pour... surveiller. Pourquoi ?

Selon un rapport secret de la CNIL allemande, les services de renseignement de notre voisin auraient violé les lois et la constitution du pays en collectant massivement des données sur des citoyens n'ayant évidemment aucun rapport avec le terrorisme. Surprise ? Pas vraiment. C'est devenu une sorte d'antienne depuis les premières révélations d'Edward Snowden. Souvenez-vous... La NSA récoltait les selfies des internautes pour faire de la reconnaissance faciale. C'est dire si le filet est large.

Selon un rapport secret de la CNIL allemande, les services de renseignement de notre voisin auraient violé les lois et la constitution du pays en collectant massivement des données sur des citoyens n'ayant évidemment aucun rapport avec le terrorisme. Surprise ? Pas vraiment. C'est devenu une sorte d'antienne depuis les premières révélations d'Edward Snowden. Souvenez-vous... La NSA récoltait les selfies des internautes pour faire de la reconnaissance faciale. C'est dire si le filet est large. On peut discuter sans fin sur l'aspect massif ou pas de la collecte, mais il reste une question en suspens. Pourquoi les espions espionnent-ils les citoyens en s'en cachant ?

Reprenons : rien ou presque de l'énorme infrastructure mise en place par la NSA pour aller chercher les selfies de citoyens à poil de terroristes n'aurait filtré sans les révélations d'Edward Snowden. L'ampleur du stock de documents fournis par le lanceur d'alerte est par ailleurs la seule assurance contre les mensonges répétés de l'administration américaine qui tente depuis le début de se murer dans un déni stérile. Plus près de nous, nos amis Allemands ont visiblement mis en place des outils très similaires et les ont utilisés sur ces citoyens n'ayant aucun rapport avec le terrorisme. Mais en secret également. En Grande Bretagne, même scénario. En France ? En France, on couvre du secret-défense les écoutes administratives réalisées avec des sondes DPI positionnées dans tous les DSLAM français. On collecte des données sur les backbones, mais sans trop en parler. On vend des systèmes d'écoute globale à des dictateurs et des Etats policiers, mais dans l'ombre. Secret on vous dit.

Pourquoi ce secret omniprésent sur des opérations d'écoutes qui, le temps l'a démontré à de multiples reprises, ne vise pas uniquement les terroristes potentiels, mais bien une grande partie de la population ?

Dura lex, sed lex, ou pas...

Bien entendu, il y a la loi.

A l'échelle de la planète, il y a par exemple, il y a la Déclaration universelle des droits de l'homme:

_ Article 12 _ Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.

En France, il y a ces articles du code pénal :

Article 226-1 du code pénal : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; (..) »

 

Article 226-15 du code Pénal : « Le fait, commis de mauvaise foi, d’ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d’en prendre frauduleusement connaissance, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende.Est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de procéder à l’installation d’appareils conçus pour réaliser de telles interceptions. »

Voilà. Saymal d'écouter aux portes les citoyens. Et c'est réprimé. Assez logiquement d'ailleurs. Pourquoi ? Parce que les citoyens ont accepté de déléguer leur pouvoir à de parfaits inconnus, les hommes et femmes politiques, pour qu'ils l'exercent en leur lieu et place. A ce titre, il attendent de ces politiques un petit peu de respect pour leur vie privée, qui ne les regarde pas et un respect entier des règles qui font partie du contrat social. En clair, on ne viole pas les règles, les lois, qui sont partie intégrante du contrat social, le même qui pousse les citoyens à déléguer leur pouvoir aux hommes et femmes politiques.

L'installation et l'utilisation des sondes DPI dans le cadre du programme IOL au sein des DSLAM français étaient quant à elles illégales à l'époque de ce projet. On comprend que les dirigeants politiques qui ont approuvé tout cela se cachent pour mener leurs projets.

Le mépris

Mais il n'y a pas que la peur du gendarme qui pousse les hommes politiques à cacher aux citoyens qu'ils mettent en place de vastes infrastructures pour les espionner. Il y a aussi le mépris. Le bon peuple n'a pas besoin de tout savoir...

Prenez l'accord Lustre. Selon la presse, qui se base sur des informations tirées des documents d'Edward Snowden, la France échange avec les Etats-Unis des informations. Lesquelles ? Concernant quelles personnes ? Dans quelle proportion ? Dans quel format ? Anonymisées ou pas ?

Lorsque Reflets a eu l'occasion de poser une question à Jean-Jacques Urvoas, à l'époque membre de la délégation parlementaire au renseignement, sur le contenu de l'accord Lustre, il a tout simplement quitté la salle sans répondre à la question. C'est une première dans une vie de journaliste. Il n'est pas rare qu'un homme politique, gêné par une question, élude, se retranche derrière on ne sait quel secret-défense... Mais quitter l'estrade, puis la salle...

Le mépris des politiques à l'égard des journalistes, c'est presque de bonne guerre... Mais il y a aussi les questions posées par les parlementaires. Les "représentants du peuple". Mandatés pour surveiller les actions de l'exécutif... Celles-là aussi restent sans réponse. Seul le mépris peut expliquer ce type de comportement. Des questions sur Qosmos, sur Amesys, sont également restées sans réponses, ou ont généré des réponses abracadabrantes.

Derrière la problématique légale et le mépris, il y a aussi, sans doute, tout au moins peut-on l'espérer, un sentiment de culpabilité inavoué.

Friture sur les éléments de langage

Imperceptiblement, quelque chose change ces temps-ci. Alors que l'on était habitués à un élément de langage unique : "en France on pêche au harpon, pas au chalut", il semble que les autorités aient décidé de se rapprocher de la vérité : oui, la France pêche au chalut, c'est à dire fait de la collecte massive.

Ce revirement est peut-être dû à la dure réalité qui s'impose chaque jour un peu plus. Comment nier l'évidence après un certain stade ? Peut-être est-il dû au fait que les autorités pensent pouvoir surfer sur l'effet terrorisme ? Il est plus simple de faire admettre à la population qu'elle est sur écoute lorsque la finalité affichée est la lutte contre le terrorisme.

Quoi qu'il en soit, Bernard Barbier, ancien responsable technique de l'infrastructure d'écoute de la DGSE a expliqué au cours d'une conférence quasiment inaudible, que la France faisait de la récolte massive. Dans un article dans Libération, Amaelle Guitton laisse également entendre que les éléments de langage des autorités ont changé.

Le pourquoi derrière le pourquoi

Pourquoi se cacher pour espionner ? Nous l'avons vu, parce que c'est interdit et parce que l'on méprise ceux que l'on espionne, y compris ses propres concitoyens. Mais pourquoi collecter des informations en masse sur ses concitoyens ? Voilà une question qui restera sans réponse jusqu'à ce que Paul Bismuth et François Hollande écrivent, peut-être, leurs mémoires, aux alentours de leurs 85 ans...

Dans quel esprit torturé, pour ne pas dire dérangé, naît l'idée de fouiller avec autant de détermination, avec des outils aussi puissants, dans la vie privée de ses concitoyens ? Dans la vie privée de citoyens qui n'ont commis aucun délit ou crime ? Qu'est-ce que cela dit sur une société dans laquelle  se côtoient des surveillés qui ne demandent pas de comptes à ceux qui surveillent, et des surveillants qui ne veulent pas rendre de comptes à qui que ce soit ?

 

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