Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Michel Sapin, le Panama et la Société Générale...

La finance, c'est un peu comme l'informatique. C'est "très compliqué", l'important, c'est que cela fonctionne, et peu importe de savoir comment. Qui plus est, pour bien marquer que "c'est compliqué", les acteurs de ce secteur emploient un jargon spécifique qui remplace des mots de la langue classique, généralement très précise et qui permettraient de donner un sens précis à tout ce que produit le secteur.

La finance, c'est un peu comme l'informatique. C'est "très compliqué", l'important, c'est que cela fonctionne, et peu importe de savoir comment. Qui plus est, pour bien marquer que "c'est compliqué", les acteurs de ce secteur emploient un jargon spécifique qui remplace des mots de la langue classique, généralement très précise et qui permettraient de donner un sens précis à tout ce que produit le secteur. Mais en utilisant ce jargon, la Finance entoure son activité d'un mystère et évite que le commun des mortels (la première ressource du secteur) n'y regarde de trop près. Avant de continuer votre lecture, nous vous invitons à lire ou relire cet article du 29 octobre 2008 titré "Le capitalisme peut-il être « refondé » ? Probablement pas plus que Nicolas Sarkozy…". La publication de quelques informations générales tirées des PanamaPapers montre au moins une chose : alors que l'on avait affirmé au commun des mortels que les paradis fiscaux, c'était "terminé", crise financière mondiale sans précédent oblige, les paradis fiscaux se portent à merveille, merci pour eux. Quant aux banques qui ont provoqué la crise financière mondiale, elles ont siphonné les budgets publics, créé par leur mode de sauvetage d'une crise qu'elles avaient engendré, les bases de la prochaine catastrophe. Notez que chaque crise financière mondiale est plus grave que la précédente. Celle des subprime et de la dette souveraine vous a parue terrible ? Attendez la prochaine, vous allez rigoler.

Combien de commentateurs avisés raillent les oiseaux de mauvaise augure et pensent "ces gens sont des complotistes ou des imbéciles" ? Lorsque les oiseaux de mauvaise augure ont vu les paradis fiscaux sortir un à un de la liste noire en signant des accords (souvent entre eux) de coopération fiscale, ils ont crié au loup. En vain. Les commentateurs avisés trouvaient que tout cela allait dans le bon sens. Qu'être critiques était mauvais pour l'économie, qu'enfin le capitalisme devenait vertueux, qu'il se refondait, qu'il avait appris de la crise, on en passe... Si bien que Nicolas Sarkozy aidait le Panama a sortir de ladite liste pour favoriser le business des entreprises françaises. Les PanamaPapers étant passés par là, Michel Sapin se réveille. Paf, on va remettre le Panama sur la liste infamante des paradis fiscaux. Nul doute que cela va lui faire très peur, ainsi qu'à tous les optimisateurs fiscaux et autres fraudeurs. Les commentateurs avisés, vous rediront dans quelques semaines que "les paradis fiscaux, c'est terminé". Plus un seul. Juré, craché. Tous les cabinets d'avocats spécialisés dans l'optimisation fiscale, toutes les banques qui offrent ce genre de services à des gens plus ou moins fortunés vont arrêter leurs conseils, fermer leurs filiales dans les paradis fiscaux. Ah... On nous glisse dans l'oreillette que c'était déjà le cas. Que les banques avaient juré que c'était fini. Et devinez qui l'avait juré ? Sous serment ? Devant les représentants du peuple ?

Si je mens, je vais en enfer...

A quoi ressemble l'enfer d'un grand banquier ? Sans doute à un endroit où l'on ne peut pas spéculer, un endroit où la solidarité entre les hommes régnerait. Un lieu affreux, où les banquiers ne pourraient plus compter sur les petits épargnants pour renflouer leurs établissement quand ceux-ci auraient créé les conditions de leur faillite.

Oui, devant les sénateurs, Frédéric Oudéa, président-directeur général du groupe Société générale, président de la Fédération bancaire française (FBF), avait juré de dire toute la vérité, rien que la vérité, quitte à être passible des peines prévues aux articles 434-13 et 434-15 du code pénal : "Le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d'une commission rogatoire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende."

Et que disait-il devant la commission d'enquête évasion des capitaux le 17 avril 2012 ?

"En ce qui concerne plus particulièrement notre action en France, les déclarations de soupçon à TRACFIN ont été renforcées et étendues aux suspicions de fraude fiscale et de blanchiment de fraude, puisque sont visées désormais les « infractions punissables d'une peine de prison supérieure à un an ». Le motif de fraude fiscale n'est pas nommé en tant que tel, mais, au travers de la sanction encourue, il est bel et bien identifié.

Un décret a visé particulièrement les opérations qui sont liées aux fraudes à la TVA dites « carrousel », les opérations internationales sans cause juridique ou économique apparente, l'utilisation régulière par des personnes physiques ayant une activité en France de comptes détenus par des sociétés étrangères et les transferts de fonds vers un pays étranger ; en un mot, est utilisée toute une série d'indicateurs susceptibles de mettre en avant une évasion fiscale. Depuis 2009, nous procédons à des déclarations de soupçon sur ce fondement auprès de TRACFIN.

En outre, historiquement, nous contribuons au respect de la réglementation au travers d'une gestion responsable de notre relation clientèle. Nous assurons également - ce dispositif important est spécifique à la France, il faut le souligner - la remontée d'informations à l'administration fiscale française via les déclarations annuelles de revenus de capitaux mobiliers versés aux clients et la déclaration annuelle des intérêts versés à des résidents dans l'Union européenne. Enfin, nous respectons bien sûr le droit de communication classique vis-à-vis de l'administration.

Au-delà des dispositifs concernant TRACFIN, la Société générale a participé à la mise en place du prélèvement de retenue à la source supplémentaire en cas de versement de dividendes et à l'identification des contribuables concernés. En effet, des enquêtes - deux, en particulier - ont été récemment demandées par l'administration fiscale sur tous les transferts de fonds réalisés au cours de périodes données. Nous sommes en train de traiter deux enquêtes de ce type pour les transferts de fonds effectués entre le 1er novembre 2006 - et même, désormais, le 1er janvier 2006 - et 2011, au profit de l'administration fiscale. N'est-ce pas des transferts de fonds de la France vers l'étranger ?

Par ailleurs, en matière de présence internationale, nous avons adopté un dispositif strict. Vous vous en souvenez, mesdames, messieurs les sénateurs, la Fédération française des banques avait pris, au non des établissements qu'elle regroupe, l'engagement de fermer les implantations dans les paradis fiscaux définis en référence à la liste grise de l'OCDE. Les banques françaises ont appliqué cet engagement.

_ La Société générale a fermé ses implantations dans les pays qui figuraient sur cette liste grise, mais aussi dans ceux que désignait la liste des États non coopératifs, c'est-à-dire en pratique, pour nous, à Panama. Toutefois, nous avons été au-delà et avons décidé de fermer également nos implantations dans les Etats qui ont été qualifiés de centres financiers offshore, c'est-à-dire pour nous, les Philippines et Brunei. Dans ces deux pays, nous n'exerçons plus d'activité et attendons maintenant l'autorisation du régulateur local pour entériner ces fermetures._

Par ailleurs, en interne, au-delà de la réglementation applicable et des engagements pris, nous avons établi la liste des pays sortis récemment de la liste grise et de la liste des Etats non coopératifs.

Dans ces pays, et alors même qu'ils ne figurent plus sur les listes que j'ai évoquées, toute éventuelle nouvelle implantation est soumise à une procédure impliquant la validation de la direction générale du groupe. En l'occurrence, je n'ai pas le souvenir que nous ayons souhaité rouvrir une implantation dans l'un de ces Etats, mais il s'agit d'un dispositif de prévention et de sécurité supplémentaire. Enfin, une cellule de veille placée sous l'autorité du secrétaire général du groupe, Patrick Suet, est chargée de suivre la mise en oeuvre de ces engagements.

En complément de ces différentes réglementations, nous avons adopté un code de conduite fiscale comportant des engagements en matière de lutte contre l'évasion fiscale qui a été approuvé par le conseil d'administration du groupe en novembre 2010. Aux termes de ce document, nous entretenons avec les autorités fiscales une relation transparente, nous faisons nos meilleurs efforts en matière de prix de transfert - il s'agit d'un élément important, conformément aux principes de l'OCDE - et, en ce qui concerne la relation avec les clients, nous n'encourageons pas ces derniers à contrevenir aux lois et facilitons donc toutes les déclarations et informations aux autorités fiscales.

Monsieur le président, voilà ce que je souhaitais dire en introduction, pour la Société générale, mais aussi, plus largement, au nom de la FBF. Celle-ci a pris en 2009 un certain nombre d'engagements vis-à-vis des pouvoirs publics. Toutefois, elle n'est pas une autorité de contrôle, mais une fédération rassemblant un certain nombre de banques. Il appartient ensuite à chaque établissement de respecter la réglementation."

(...)

Premièrement, je le répète, nous n'avons plus d'activité ni dans les pays de la liste grise ni dans les États non coopératifs et nous avons été au-delà de ces exigences en fermant nos activités dans les territoires qui ne figuraient pas sur ces deux listes mais qui étaient considérés comme des centres financiers offshore.

(...)

Madame la sénatrice, premièrement, nous n'avons pas de cellule de conseil fiscal. Cette activité relève fondamentalement de la profession d'avocat.

Deuxièmement, vous évoquez les effectifs et la question de l'ouverture des filiales.

Tout d'abord, nous avons des personnels qui se consacrent à la matière juridique et à ce que l'on appelle la conformité, c'est-à-dire au respect de la réglementation liée à la lutte contre le blanchiment et la fraude fiscale, notamment. Sous l'autorité du secrétariat général, travaillent environ 800 juristes et 1 500 équivalents temps plein chargés de la conformité.

A ces effectifs, qui sont spécialisés, il faut ajouter un corps de contrôle d'audit et d'inspection générale en charge non seulement des questions de conformité, mais du contrôle de tous les aspects de notre activité. Ces personnels établissent un plan de travail annuel qui leur permet de vérifier nos établissements et de passer en revue notre politique commerciale et financière, notamment. Il s'agit d'environ 1 600 équivalents temps plein supplémentaires.

Je veux le souligner, dans un groupe comme la Société générale, l'effectif des personnels impliqués dans des tâches de contrôle est donc tout à fait considérable. Et encore, je mets de côté le travail dit « de supervision permanente », c'est-à-dire celui qui est réalisé au quotidien par les collaborateurs et par les managers chargés de vérifier la qualité du travail accompli.

(...)

Pour ce qui concerne le cas du groupe Société générale, comme je l'ai déjà indiqué, nous avons un code de conduite fiscale comprenant un certain nombre de règles que nous demandons à nos salariés de suivre : par exemple, s'assurer que les déclarations fiscales sont établies en conformité avec l'ensemble des lois locales ; ne pas mettre en place ou proposer des opérations à but exclusivement fiscal ; maintenir une relation professionnelle et de coopération avec les autorités fiscales, bref tout un ensemble de principes permettant d'entretenir de bonnes relations avec ces dernières.

(...)

Quatrième question : comment fonctionne notre conseil d'administration ? Tout d'abord, nous disposons d'un comité d'audit et des risques, qui est une émanation du conseil et qui se réunit pour examiner l'ensemble des comptes du groupe Société générale, l'ensemble des dispositifs de contrôle et, bien entendu, l'ensemble des risques auxquels nous sommes exposés.

Outre les risques financiers et de réputation, le risque fiscal fait partie des risques régulièrement étudiés par ce comité d'audit, selon des règles de gouvernance très strictes. Le fameux inspecteur général que j'ai évoqué, de même que les commissaires aux comptes - nous avons deux cabinets - rencontrent seuls ce comité d'audit, en dehors du management. Ces corps de contrôle sont donc parfaitement libres d'indiquer au comité en question : « Nous avons identifié tel ou tel problème qui nous préoccupe. »

Deuxièmement, comme je l'ai déjà précisé, cette question a fait l'objet de discussions explicites en conseil d'administration. La validation de notre code de conduite fiscale - document qui ne relève pas d'une exigence réglementaire mais bien d'une initiative du groupe Société générale -, qui a été discuté en conseil, en offre une illustration. Bien entendu, il s'agit donc de risques dont le conseil d'administration assure le suivi de manière régulière.

(...)

La lutte contre la fraude, la capacité à détecter les anomalies, ce n'est pas si simple : il faut former les personnels, et les compétences s'acquièrent avec le temps. On n'est donc pas certain à 100 % d'identifier toutes les fraudes commises !

En tout cas, l'attention ne s'est certainement pas relâchée au cours des dernières années, bien au contraire. Non seulement au sein du groupe Société générale mais au niveau des banques françaises en général, on ne cesse de renforcer les organisations, les savoir-faire, la formation, tout en restant conscient que la fraude existe et que nous devons faire face à des schémas qui sont de plus en plus sophistiqués !

C'est beau. Ce qui nous rassure, en tout cas, c'est que selon Michel Sapinle PDG de la Société générale s’est engagé à la transparence » sur les « Panama papers ». Ouf... On a eu peur.

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