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par oliver stein

Les coulisses de la Finance - Acte 1

On parle beaucoup de la Finance dans les discussions de comptoir. « La Finance est responsable de tous nos malheurs. Les financiers sont responsables de la crise. Et les banquiers, n’en parlons pas : "des bons à rien et des arnaqueurs".  Cette même Finance, qui est dénoncée par tous, est mon environnement quotidien. Et ça tombe bien car vous allez pouvoir rentrer dans cet univers bien particulier. Pour ce premier acte, je vais vous raconter la vie interne d’une société financière.

On parle beaucoup de la Finance dans les discussions de comptoir. « La Finance est responsable de tous nos malheurs. Les financiers sont responsables de la crise. Et les banquiers, n’en parlons pas : "des bons à rien et des arnaqueurs".  Cette même Finance, qui est dénoncée par tous, est mon environnement quotidien. Et ça tombe bien car vous allez pouvoir rentrer dans cet univers bien particulier. Pour ce premier acte, je vais vous raconter la vie interne d’une société financière.

Le machisme bien ancré

Les non-initiés se représentent souvent les financiers comme des Gordon Gekko en puissance, avec costume hors de prix, cigare et chaussures italiennes. Ils n’en sont pas très loin, même si les bretelles portées par Michael Douglas dans Wall Street sont laissées au placard… Mais le cliché le plus présent reste tout de même le machisme. Et on peut dire qu’il est ancré dans la culture d’entreprise. Ce n’est pas pour rien si la quasi-totalité des financiers « high-level » sont de sexe masculin. Non, c’est tout à fait normal car voyez-vous, dans ce milieu, c’est le sexe dominant. Et les répercussions sont multiples.

Bien sûr, le recrutement est orienté. Les postes à responsabilité sont confiés aux hommes, le reste est ouvert aux femmes. J’ai pu entendre lors de la création d’un poste d’assistant analyste financier :

Il nous faut une fille. Elles sont meilleures dans le rôle d’assistante. Leurs capacités de mémorisation et de rédaction sont clairement un atout.

Oui, cette phrase est misogyne. Et elle ne vient pas d’un salarié lambda. C’est le directeur financier himself s’adressant au directeur général… Le poste fut attribué quelques semaines plus tard à une jeune femme au physique attrayant.

Car le physique est une donnée essentielle. On sait tous qu’une employée sexy a des compétences beaucoup plus importantes qu’une femme au physique banal… Je me souviens que lors d’un autre recrutement, pour une autre assistante évidemment, les CV des candidates avaient été épluchés par le DG, non pas pour étudier les compétences mais pour analyser la photo et les hobbys.

Moi je te conseillerais celle-ci plutôt que celle-là car elle est quand même plus sexy. Elle est peut-être moins compétente mais au moins tu pourras la baiser…

Dixit le DG s’adressant au futur responsable de la personne en question.

Je vous passe les multiples réflexions sur les stagiaires de passage, les regards lourds de sens sur certaines salariées, je pense que vous avez saisi le message. Si l’on était dans un autre secteur d’activité, on appellerait ça du harcèlement et de la discrimination. Ici, on appelle ça le quotidien…

Ce machisme d’un autre temps peut également affecter les hommes. Les pères qui ont la folie de demander un congé paternité sont souvent bien mal considérés. Je me souviens m’être entendu dire :

Pourquoi tu veux prendre tes 14 jours ? Tu serais le premier ici à le faire. X les a pris lui mais il est venu travailler pendant ce temps-là. Au moins, ça nous a même rapporté un peu de thune.

Oui, dans la finance, nous ne sommes pas à une arnaque près mais nous aurons l’occasion d’en reparler plus tard. Et lorsque vous avez tendance à privilégier votre famille plutôt que votre sainte entreprise, le DG vient vous dire solennellement que c’est très mauvais pour votre couple. Il vaudrait mieux passer plus de temps le soir au bureau pour résoudre tous vos problèmes… La vie de famille vue par le financier. Un très grand moment !

Lux(ur)e et inégalités

Un autre point très important dans ce milieu est l’argent bien évidemment. Notre métier consiste à gérer une énorme masse d’argent afin d’en tirer le maximum de cash possible. Voilà l’explication la plus simple du métier de financier. Et bien souvent, vu que nous bossons dans cette montagne si haute de billets, les dirigeants ont tendance à se perdre un peu à une certaine altitude…

Dans ce milieu, les apparences ont une importance phénoménale. Si vous n’avez pas le dernier iPhone assorti avec l’iPad qui va bien, vous êtes soit un has been, soit un loser. Dans les deux cas, vous ne ferez pas affaire avec le client en face de vous qui, lui, a ces beaux gadgets entre les mains. Alors, souvent, c’est la course folle au « m’as-tu vu ». Et les limites sont dures à poser. Quand je regarde dans la cour de ma société, je vois une voiture avoisinant les 150 000 € servant de voiture de fonction au DG, aux frais de l’entreprise. Un autre véhicule, celui du PDG, est estimé quant à lui à plus de 200 000 €. Je vous passe les autres voitures tirées aussi de grandes marques allemandes.

Et je ne suis pas dans une multinationale, loin de là… Vous n’avez même surement jamais entendu le nom de la société dans laquelle je travaille. Et les véhicules ne sont qu’un exemple. Les frais de restaurant chez les étoilés au guide Michelin, les remboursements d’achats chez Hermès ou Dior, les derniers gadgets Apple, les « œuvres d’art » payées le prix fort… Tout cela bien sûr au frais de la princesse ou devrais-je dire, sur le dos du client.

J’ai pu aussi constater que même la limite de la décence n’était pas respectée. Après certaines soirées bien arrosées des meilleurs crus, il arrive que les portes de certains clubs d’effeuillage parisien s’ouvrent à nos financiers. Mais tout cela n’est pas gratuit bien sûr. Bouteilles de champagnes, pole dance et lap dance privées se retrouvent ensuite dans les comptes de la société. Certaines soirées peuvent ainsi revenir très cher, allant de 50 000 € pour le simple week-end, à plus de 300 000 € pour une soirée de gala en grande pompe. Et je vous le redis, nous ne sommes pas une multinationale.

Mais pour bien asseoir sa supériorité, le financier se doit d’écraser certains salariés. Et tous les avantages dont il dispose seront bien évidemment refusés aux salariés lambda. Les salaires font le grand écart (de 1 à 30, voire plus). Mais comme le financier se doit de montrer sa générosité, il s’efforcera de cacher cette misère bien orchestrée par des cadeaux distillés, de-ci, de-là, pour faire espérer les basses mains qu’un jour, eux aussi auront un vieil iMac de cinq ans dont le directeur ne veut plus, et dont, même ses proches, n’ont pas voulu…

Le roi et sa cour

Avec ce système bien entretenu par la caste dirigeante, certains salariés deviennent très envieux de leur réussite sans gros efforts. Survient alors ce que j’appelle l’effet "cour du roi". Je m’explique.

Les employés dans la finance ont très souvent les dents longues. La montagne, l’altitude, tout ça, on l’a déjà évoqué. Les dirigeants ne sont pas les seuls à perdre pied, sauf que pour obtenir ce qu’ils veulent, les envieux ne peuvent décider d’un coup de s’attribuer une prime ou des dividendes exceptionnels. Non, eux n’ont qu’une possibilité : travailler leur visibilité. Et pour cela, tous les moyens sont bons. Bien sûr, il y a les after work en compagnie des dirigeants. Il n’y a pas de meilleur moment pour une bonne séance de cirage de bottes. Autour d’un bon verre, payé par son N+1 bien sûr, enfin, par la carte corporate de son N+1… En fin de journée, on assiste très souvent à ce spectacle désolant des sujets voulant attirer l’attention du roi. Et souvent, ce stratagème fonctionne. Quand vous êtes visible, vous êtes récompensé. Avantages en nature, augmentations salariales, bonus divers… Car le financier, même s’il dispose de tout l’argent voulu, adore se faire lécher les chaussures italiennes et avoir de la compagnie pour raconter ses bonnes blagues bien grasses et misogynes.

La vie quotidienne dans une société financière est donc palpitante : jamais un moment pour s'ennuyer. Mais ce n'est pas tout, il reste encore bien des choses à découvrir, que nous évoquerons lors du prochain acte, le côté Judge Dredd de la Finance : "La loi, c'est nous"...

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