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par drapher

De Franco à Macron : les bégaiements de l'histoire politique à l'épreuve de la réalité

La société française est en cours de remodelage par le pouvoir politique. En réalité par le pouvoir d'un seul homme — le président Emmanuel Macron — qui dicte à la fois le tempo du gouvernement, tout comme celui des élus de son parti : La République en marche.

La société française est en cours de remodelage par le pouvoir politique. En réalité par le pouvoir d'un seul homme — le président Emmanuel Macron — qui dicte à la fois le tempo du gouvernement, tout comme celui des élus de son parti : La République en marche. Parler de remodelage d'une société n'est pas anodin, mais les ordonnances de la Loi travail, appuyées par le projet de Loi sur le terrorisme sont pourtant le signe d'une profonde modification des règles qui régissent le vivre ensemble français. C'est une nouvelle donne qui prend forme et chacun va être rapidement mis devant des réalités jusque là inconnues, réalités que ces lois vont faire émerger.

Etonnamment, les procédé utilisés par Macron ne sont pas neufs. Ils ressemblent même — jusque là — par de nombreux aspects, à ceux effectués par Francisco Franco dans la société espagnole, entre 1937 et 1975. Y aurait-il un bégaiement de l'histoire ?

Franco : fusion des révolutionnaires et des conservateurs de droite

L'Etat franquiste s'est constitué en 1937 par la fusion de deux mouvements politiques de droite que tout opposait normalement : la Phalange (mouvement révolutionnaire et antimonarchiste) et la Comunión Tradicionalista (monarchiste et absolutiste). Cette fusion politique permet alors de créer le parti-mouvement (unique) de Franco : la Phalange Espagnole Traditionaliste et des Juntes d'Offensive Nationale-Syndicaliste.

Le parallèle entre la constitution de ce mouvement de la droite espagnole franquiste et celui d'Emmanuel Macron, LREM est un trait commun des deux histoires politiques : LREM a aspiré les "socialistes de droite" et la quasi totalité de l'UMP pour se constituer en force centrale, et quasi hégémonique. Mais ces parallèle entre le franquisme et ce que nous observons aujourd'hui du remodelage de la société et de l'exercice du pouvoir de Macron ne sont pas les seuls et vont plus loin que dans la seule constitution d'une "unification de partis". Ce qu'était Franco et ce qu'est Macron est intéressant à observer. Pour Franco, nous pouvons lire les analyses d'un personnage politique et intellectuel important, qui a fui le franquisme : Salvador de Madariaga :

Francisco Franco a été le seul monarque despotique de l'histoire d'Espagne. Pendant tout le temps de sa domination, c'est toujours sa volonté suprême qui définit le bien commun, sans conseil ni recours. Ni les rois catholiques, ni les Habsbourg, ni les Bourbons n'ont atteint même de loin une identification entre la puissance étatique et la volonté personnelle , telle que celle que Franco réussit à faire pendant les 39 ans de sa domination.

C'est pourquoi il ne se manifeste pas d'idéologie formulée positivement au premier plan dans le système franquiste. La conception du monde de Franco et ses buts politiques se résument en réalité en négations. Dès son manifeste au début de la guerre civile, le futur dictateur n'ouvre que peu de perspectives idéologiques à part les formulations très courantes comme l'introduction des « fondements les plus stricts de l'autorité » ou l'incitation à l'« entière unité nationale ».

Franco, tout comme Macron ne revendique aucune idéologie politique, hormis quelques grands principes. La volonté suprême, sans conseils ni recours, caractérisent les deux personnages dans l'exercice de leur pouvoir. Le plus marquant étant le déracinement historique et politique des deux chefs d'Etat, qui s'efface parfois, pour des justifications d'échecs, causées par "des forces opposées", et que Madariaga exprime très clairement :

Le franquisme, bien qu'il ou parce qu'il attribue à l'Église catholique et au socle idéologique catholique traditionnaliste la qualité d'un élément porteur de l'État, n'est pas en soi une religion séculaire avec un tableau historique déterminé, comme le national-socialisme ou le communisme.

Franco n'explique à personne l'histoire du monde, et ne postule pas de développements sociaux conditionnés par des schémas définis ; il s'intéresse à peine à ce genre de thèmes, à part le fait qu'il reproche régulièrement la responsabilité de ses insuccès à la « franc-maçonnerie internationale ».

Dans la mesure où il faut comprendre une idéologie comme « un système d'explication du monde qui détermine le comportement politique des gens, tout en restant libre de toute influence divine », le franquisme n'est en rien une idéologie."

Domination sans faille d'un homme au mépris… olympien ou jupitérien

Il y a des similitudes frappantes entre les personnalités politiques de Franco et de Macron, entre autres dans leur certitude de supériorité les menant à décider seul des grandes orientations de la société. Le mépris qu'ils éprouvent pour la population dans son ensemble, ainsi qu'une capacité à protéger les puissances d'argent sont là aussi saisissantes par leurs ressemblances. Avec par exemple des lois sur le travail. Comme l'explique cette page sur l'histoire du franquisme, Franco promulgue sa "Charte du travail" en 1938, une loi travail qui régule et organise la vie socio-économique. On y établit les limites d'une journée de travail et les rétributions minimales, mais toutes ces concessions bien que déclarées pour "l'intérêt de la nation", sont comme avec Macron, au profit des classe dirigeantes du pays :

En 1938, Loi fondamentale sur le travail est édictée, mais elle n'est promulguée comme loi fondamentale que le 26 juillet 1947. Cette loi est dirigée, comme expression de l'ordre syndical phalangiste aussi bien contre le capitalisme que contre le marxisme. (ni droite, ni gauche, ndlr)

Depuis la  loi sur l'unité syndicale de 1940 il a été créé une espèce de syndicat unitaire comprenant travailleurs et employeurs , dont le président a rang ministériel. Cette organisation regroupe les  syndicats verticaux rangés par branches de production, et dans lesquels les travailleurs et les employeurs sont forcés de se grouper. Les syndicats doivent par définition être un outil de l'État avec lequel celui-ci peut exercer une influence sur l'économie. Ceci a lieu par des  personnes de liaison et des  conseils d'entreprise. (texte intégral sur l'Espagne franquiste : ici)

La similitude avec les ordonnances réformant les lois sur le travail est frappante puisqu'en réalité Franco est soutenu par les puissances financières, tout comme Macron :

Il faut aussi évoquer comme appuis du système les grands propriétaires et la bourgeoisie de la haute finance. Ces cercles profitent considérablement du système, avant tout lors de la phase d'autarcie qui débute en 1939. Ils parviennent de plus à conserver leur influence après la fin de cette phase, et même après la mort de Franco.Les grands propriétaires terriens soutiennent Franco dès le début, idéologiquement et avant tout financièrement. Ils sont les porteurs réels du système clientéliste ou caciquisme qui contrôle le comportement électoral de la population des campagnes. Le dictateur les remercie par des prix d'achat garantis par l'État. (texte intégral sur l'Espagne franquiste : ici)

Remerciements par des prix garantis ou une sortie de l'ISF avec des assouplissements pour les grandes entreprises, les mêmes ficelles sont là…

Salvador de Madariaga décrit Franco tout comme n'importe quel observateur actuel pourrait le faire avec Macron — après ses différentes "sorties" sur les Français, ou des catégories de personnes. Au point que le statut de "Jupiter" que revendique Macron pour l'exercice de son pouvoir — Jupiter étant le dieu romain inspiré du Zeus grec — est contenu dans la description de Madariaga qui parle dans le cas de Franco, de "mépris olympien". Troublant…

Le mépris olympien que ressentait Franco pour les Espagnols, pour ses amis et ses ennemis, s'est exprimé dès le début dans la conception de l'État à la tête duquel il se désigna. […] Soutenu par un conglomérat confus de fascistes qui se nomment "phalangistes" (c.à.d. républicains et syndicalistes), "traditionalistes" (carlistes enracinés dans la religion) et "Juntas de ofensiva nacional sindicalista" (nazis sauce à l'ail), il pétrit tout ce monde comme une pâte à pain, l'âme en paix, pour faire une "Falange Española Tradicionalista y de las JONS".

Peut-on imaginer une plus grande vexation infligée à ces trois groupes aux idéologies fondamentalement différentes ? Mais ils l'ont écouté sans frémir, puis enthousiasmés, parce qu'il s'agissait pour eux de rien moins qu'un pouvoir politique, à usage exclusif et monopoliste.

"Enthousiasmés par un pouvoir politique à usage exclusif et monopolistique"… Que font d'autre les membres des anciens partis politiques anciennement opposés et ayant rejoint en masse LREM ?

L'Espagne de Franco et la France de Macron : les sauveurs qui brisent l'état de droit au profit de  l'état d'exception

Il faut se souvenir comment Franco arrive au pouvoir. Pour des motifs sinon identiques, très similaires à Macron : ils sont tous deux des "sauveurs de la République". Dans le cas de Macron, c'est par un deuxième tour de présidentielle contre le Front national (considéré comme un danger pour la République), et pour Franco, en 1934, contre une insurrection des socialistes des Asturies qui lui permet d'apparaître alors comme le défenseur de la légalité, le sauveur de la République. L'arrivée au pouvoir de Franco sera un peu plus longue, puisque c'est un militaire, et que l'Etat franquiste n'est constitué qu'en 1937 (la guerre civile se termine en 1939), mais ces deux vocations au pouvoir, d'un point de vue strictement "philosophique" sont parallèles : Franco et Macron ne sont pas des politiques, n'ont jamais été élus auparavant, et prennent le pouvoir en "sauveurs". Ils mettent d'ailleurs entre 3 et 4 ans pour devenir chef d'Etat du moment où ils se mêlent du pouvoir politique. Pas plus.

Il y a de nombreuses similitudes d'orientations sociales, économiques, juridiques, politiques, entre les deux hommes, même si les époques sont différentes. L'Etat espagnol  franquiste s'appuie sur des juridictions d'exception, tout comme la nouvelle loi sur le terrorisme inscrit l'état d'urgence dans le droit commun et crée elle aussi des états d'exception dans la société française. D'autres "réformes" franquistes sont parlantes comme le plan de stabilisation, conçu par le catholique libéral-conservateur (oui, cette dichotomie toute macronienne existe déjà) Alberto Ullastres, membre de l´Opus Dei, instauré le 21 juillet 1959 :

Il prévoit 8 mesures simples : convertibilité de la peseta, suppression du contrôle des prix, élimination de la majeure partie des taxes douanières, ouverture aux investissements étrangers, ajustement des taux d'intérêts sur la préférence temporelle, gel des salaires, blocage des dépenses publiques et impossibilité faite au gouvernement de s'endetter auprès de la Banque [centrale] d’Espagne. (texte intégral sur l'Espagne franquiste : ici)

Franco ne se revendiquait pas du fascisme (même s'il y a été assimilé), ni d'une quelconque idéologie. Franco a créé une dictature sans le dire, sans qu'elle ne soit d'ailleurs considérée comme telle à l'extérieur, durant des décennies. Franco a profondément marqué l'Espagne. Par respect pour toutes les personnes qui ont été torturées, tuées, qui ont disparu sous son régime, il n'est pas question de dire que la France de Macron est devenue aujourd'hui l'Espagne de Franco. Bien entendu, non. Mais les personnages sont très proches, leur vision politique, leurs soutiens, leurs "remodelages" sociétaux sont similaires. Macron vient de prendre le pouvoir et l'avenir qu'il semble vouloir réserver à la France n'est pas encore parfaitement clarifié même si on le devine. Il est donc inquiétant de voir ce jeune chef d'Etat se comporter comme le Caudillo d'Espagne. Par de nombreux aspects.

Comme si l'histoire bégayait.

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