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Édito
par drapher

#BalanceTonPorc : l'économie sexuelle libérale détournée au profit du star system

Pourquoi parler sur Reflets d'un hashtag twitter qui fait le buzz, alors que tout prête à rester tranquillement dans son coin et attendre que le déchaînement se tasse ? Peut-être parce qu'à un moment un sujet est tellement malmené et simplifié qu'il en devient très agaçant. Quel est le sujet ? Celui des propositions sexuelles indécentes d'hommes de pouvoir auprès de jeunes et jolies jeunes femmes ?

Pourquoi parler sur Reflets d'un hashtag twitter qui fait le buzz, alors que tout prête à rester tranquillement dans son coin et attendre que le déchaînement se tasse ? Peut-être parce qu'à un moment un sujet est tellement malmené et simplifié qu'il en devient très agaçant. Quel est le sujet ? Celui des propositions sexuelles indécentes d'hommes de pouvoir auprès de jeunes et jolies jeunes femmes ? Le fait qu'il y ait des "porcs" dans les milieux du showbiz, de la politique, des affaires, du sport, des médias, qui abusent de leur position pour harceler le sexe féminin, les soumettre sexuellement en échange d'une carrière, d'une meilleure place professionnelle, d'avantages — ou à l'inverse de menaces sur leur travail si elles ne se pliaient pas à l'échange sexuel ? Oui, en partie, mais ce phénomène des propositions de "gros porcs" n'est en aucune mesure suffisant pour expliquer le problème — bien plus vaste — qui se cache derrière cette dénonciation de certains hommes par des femmes, sur Twitter.

Un système économique et social "bien pensé"

Ce que renvoient les femmes de #BalanceTonPorc est une pratique bien connue et ancrée dans les sociétés capitalistes occidentales : l'abus de pouvoir. Ce ne sont pas des hommes de toutes conditions qu'elles dénoncent majoritairement, mais avant tout des "hommes de pouvoir". Pouvoir économique et par delà, pouvoir politique et social. Le hashtag incitant à balancer les comportements de ces hommes n'est pas venu de nulle part, il apparaît à la suite de l'affaire du plus grand producteur d'Hollywood qui abusait ou tentait d'abuser — sexuellement — d'actrices de par son statut de faiseur de stars.

"Tout le monde savait", et comme dans l'affaire Strauss Khan, "tout le monde s'indigne" après qu'une femme l'eut balancé, puis deux, trois, etc… Le fond du problème est-il abordé dans cette indignation d'une hypocrisie dont personne ne doute un seul instant ? Sont-ce les pratiques indignes ou criminelles — dans le cas des viols — de Weinstein seules qui sont le cœur du problème, ou bien de façon plus large, le fait que ces pratiques soient communément acceptées, voire incitées dans ce milieu socio-professionnel ?

Hollywood est une industrie, l'une des plus grosses de la planète. Y réussir, ne serait-ce qu'un peu, est le rêve d'une vie pour ceux qui tentent d'y pénétrer. Oui, y pénétrer. Souvent par tous les orifices, puisque la règle depuis que cette industrie existe est la transaction sexuelle. Particulièrement pour les femmes. Les belles femmes, qui éblouiront les spectateurs de leur stupéfiante beauté. Cette règle est connue. Des romans, des articles décrivent la grande machinerie hollywoodienne et ses "passages presque obligés". Ce phénomène est malsain, il est inconvenant, il est moralement condamnable, mais ce qu'oublient tous ceux qui s'en indignent c'est qu'il est consubstantiel du système économique américain, devenu le nôtre en l'espace de quelques décennies. Un système basé sur la transaction. Entre celui qui possède le capital, l'argent, et celui qui veut en gagner par son travail. Socialement, le premier est décideur, il domine, c'est lui qui peut dire oui ou non, faire s'élever ou au contraire abaisser, et le second en est tributaire. Pour aller là où il veut aller, sur les plateaux de cinéma, en jouant la comédie par exemple. Ou sur des plateaux de télévision, dans des compétitions, à un meilleur poste. Accepter ce phénomène de pouvoir excessif dans le cas d'Hollywood et vouloir — malgré tout — ne pas le subir tout en profitant, est fortement risqué et en tout cas très difficile. Ce qu'une partie des actrices dénonçant les pratiques de Weinstein ont vécu. Avec plus ou moins d'acceptation des demandes du producteur de la part des futures ou presque stars, mais avec certaines lui ayant mis des baffes dans sa gueule et qui n'ont rien concédé du tout, c'est encore heureux. Ce système économique et social est monstrueux depuis son origine. Cette industrie du spectacle est monstrueuse. Elle est donc tenue et alimentée par des monstres.

Plus loin dans la séduction et la transaction

Le jeu capitaliste moderne, basé sur la consommation et l'élévation matérielle, est simple, connu du plus grand nombre. Les publicités télévisées l'entretiennent du soir au matin, regardées par 90% de la population, les mêmes qui achètent et lisent la presse féminine ou masculine, regardent du porno quotidiennement, et plébiscitent dans leurs achats les articles à la mode, qui "les mettent en valeur". Du gadget techno-branché aux voitures de courses, en passant par les fringues de marque, les coupes de cheveux branchées, les bijoux, manucures, soins corporels et autres services-beauté, le capitalisme accapare les esprits. Les existences. Et la séduction est un marché central pour ce système économique et social. Séduire, que ce soit pour un homme ou une femme est fondamental puisque c'est le moyen central pour "s'élever", pour "gagner", ou encore pour être aimé (ce qui signifie "être consommé", en réalité, dans ce système là). Tout cet ensemble de facteurs conjugués mènent les individus des sociétés industrielles — et industrieuses — à s'engager dans une grande compétition que chacun peut observer et tranquillement apprécier sur les écrans : on appelle ça la réussite. Et pour réussir, la séduction est primordiale, que ce soit professionnellement ou sexuellement, pour une vaste majorité d'humains. C'est ainsi que se croisent en entreprises des gens cherchant à plaire. Une partie est en demande — ils et elles n'ont que leur travail pour réussir — et d'autres ont à offrir — ils ou elles sont en position de pouvoir. La plupart effectuent des transactions conscientes ou inconscientes pour parvenir à leurs fins. Et bien entendu tous et toutes ne sont pas à l'abri de sombres manipulations.

Il est une question qui reste fascinante et que chacun peut poser à quelqu'un de son entourage. "Jusqu'où serais-tu prêt ou prête à aller en échange d'un million d'euros ?" Les réponses sont souvent surprenantes : la majorité pourrait aller très loin. Si ce n'est qu'une seule fois, si la certitude qu'ensuite le million est acquis, de nombreux hommes se mettent à quatre pattes sous le bureau de leur directrice avec un collier de chien autour du cou et les femmes à genoux devant leur directeur, déguisées en lapin rose. La transaction, même sexuelle et non "désirée"  — mais consentie — si elle peut mener à la réussite est souvent acceptée par les personnes "soumises socialement". C'est-à-dire sans avoir une position de force économique. Et preneuses du jeu de la réussite capitaliste.

Changer de système ?

Ce que révèle #BalanceTonPorc est simplement l'aboutissement d'un système qui ne se préoccupe plus que d'une seule chose : la consommation. Consommation des corps, des esprits, des biens, des services, des personnes. Un supermarché de la rencontre sexuelle Internet, où les femmes choisissent majoritairement leur "proie" d'un soir, qu'elles consommeront en se basant sur des critères physiques ne semble pas intéresser les indigné(e)s du #BalanceTonPorc. Il est plus simple, il est vrai, de "balancer" les propositions indécentes de gros types pleins de fric à de jeunes et jolies femmes qui font carrière, plutôt que d'aller dénoncer les pratiques indignes des possédant(e)s envers les possédé(e)s. Puisque c'est la société dans son entier qui est prise dans cet étau, et que s'il était acquis que dans le cadre professionnel l'usurpation de pouvoir n'était pas plus tolérée que la recherche d'avantages par séduction ou manipulations, nous n'en serions pas là. Pour qu'il y ait des victimes il faut des bourreaux, mais pour que les bourreaux trouvent satisfaction dans leurs actes, il faut aussi une part de victimes consentantes. Asia Argento témoigne de son viol par Weinstein, à 21 ans, puis des rapports sexuels qu'elle a eus avec le producteur pendant 5 ans. Ces rapports étaient "consentis mais non désirés". Consentis mais non désirés ?

Où se situe la limite entre désir et envie, économie sexuelle et prostitution ? Comment apprécier un monde où tout est orienté autour de l'assouvissement des désirs, où la sexualité est centrale, mise en avant de façon permanente, la beauté vendue comme une marchandise haut de gamme, où ceux qui réussissent sont soit beaux soit riches ou les deux ? Peut-on admettre que la seule réponse à des problèmes d'abus d'autorité par un pouvoir quelconque et orientés autour de la sexualité n'aient que pour seule réponse des hashtags de dénonciations d'une partie infime de la population qui s'exprime sur Twitter et fait partie majoritairement — d'une classe sociale française souvent privilégiée ? Le problème n'est-il pas bien plus important et profond et n'est-il pas en lien avec la société que nous avons laissé se créer, que nous continuons de cautionner par nos actions quotidiennes ? Le porc qui utilise son pouvoir n'est-il pas le résultat d'un système ? Monstrueux, à son image ?

Le harcèlement sexuel n'est pas admissible et dans ce cas là, une seule voie existe pour y mettre fin : la loi. Si chaque harceleur, dans le monde professionnel sait qu'au moindre mot ou geste il peut se retrouver au tribunal, les choses changeront. Mais attention, dans ce monde là, les transactions par séduction de types sexuelles ne pourront plus avoir lieu. La suspicion entre les sexes régnera et dans une équité toute moderne, cela signifierait que toute tentative de séduction d'un côté ou de l'autre pourrait être pénalisée. A ceux et celles qui ne participent pas à ce jeu transactionnel, la donne ne pourrait qu'en être améliorée, quant aux autres, il n'est pas certain qu'ils s'y retrouvent.

Après, il reste une solution : changer le système, sortir de la civilisation capitaliste pornographique de la consommation. Mais qui le veut vraiment ?

 

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