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Édito
par drapher

Macron et l’assurance chômage

Quand tu veux te débarrasser de ton chien…

Les négociations pour une réforme de l’assurance chômage doivent débuter sous peu entre le gouvernement et les « partenaires sociaux » pour faire faire 1,3 milliards d’euros d’économies annuelles à l’Unedic pendant 3 ans. Quand on sait comment se crée ce déficit, d’où viennent les bénéfices et quelles sont les prévisions budgétaires de l'Unedic, l'entourloupe est avérée.

Muriel Pénicaud, la force rouge d'Emmanuel : les chômeurs n'ont qu'à bien se tenir ! - Détournement sur Twitter - Twitter

Macron est un président très habile. Et la presse dans sa grande majorité, peu curieuse des réalités comptables de l'Unedic, lui déroule des tapis rouges. Pour la énième fois depuis le début de son mandat, le président ni gauche ni droite va donc encore enfumer la population afin de lui faire avaler une grosse pilule : celle de la "nécessaire" réforme des allocations chômage. En résumé : le déficit cumulé des caisses de l’Unedic est de plus de 35 milliards d’euros, il faut donc le faire baisser. Emmanuel Macron, via sa ministre DRH du Travail propose donc de faire faire des économies à l'Unedic, parce que bien entendu, quand on a une grosse dette il suffit de moins dépenser. Donc, moins indemniser les chômeurs, ou en moins grand nombre, ou moins longtemps ou différemment. Cette explication de comptabilité basique peut être comprise par un écolier de CE2. Et c’est bien le problème puisque la réalité est très différente de celle que donne à avaler le gouvernement français et la presse au public, jusqu'à aujourd'hui. Une réalité bien plus complexe à décrypter que ce que les connaissances d’un enfant de CE2 nécessitent.

Le pognon de dingue n’appartient pas à Macron ou à l’Etat… et pourtant…

Un premier point mérite d’être souligné pour les foules à qui on explique que le déficit de l’Unédic « c’est grave » : le pognon de dingue de la caisse d’assurance chômage n’est pas payé par des impôts ou des taxes, ce n’est pas un budget public mais une caisse gérée par des organismes paritaires : des organisations salariales et patronales. Cet argent est payé par chaque salarié et chaque employeur pour protéger le salarié en cas de perte involontaire de son emploi.

L’Unedic, qui gère le pognon de dingue des cotisations chômages est une association, et qui plus est, indépendante de la Sécurité sociale. La ruse, au niveau de l’État, pour pouvoir venir mettre son nez dans la gestion des comptes de l’Unedic a consisté par exemple — en 1982 — à suppléer l’Unedic en cas de fin de droit : quand le chômeur arrive à la fin de son indemnisation l’Etat prend en charge une allocation spécifique minimale, l’ASS (Allocation spécifique de solidarité). L’Etat permet aussi à l’Unedic de faire des emprunts publics. L’Etat est donc garant de l’Unedic, et ce régime devient donc, de par ce fait, intégré au « périmètre comptable de l’Etat ». Alors que ce n’est pas l’Etat qui récolte le pognon, ni le gère, il a donc quand même un pouvoir sur les organismes de gestion paritaire et l’association qui gère le pognon. Un pouvoir qu’il va exercer sous peu avec cette nouvelle réforme. Avec de faux prétextes.

L’Unedic déficitaire, oui, mais comment et par quoi ?

L’Unedic est en déficit chaque année… depuis 2009 (vous savez "la crise" où l'Etat a renfloué les banques avec l'argent public). C’est un fait. Mais comment se crée ce déficit chaque année ? Par les indemnités versées aux chômeurs, comme le laisse entendre Emmanuel Macron et sa DRH ministre du Travail ? Pas vraiment. Et c’est là que le bât blesse dans l’explication sur les économies à réaliser.

Avec la création de pôle-emploi en 2008 (une fusion de l’Assedic et de l’ANPE), Sarkozy a fait un coup de maître, puisqu’il a permis qu’une nouvelle agence d’Etat reçoive chaque année 10% des cotisations récoltées par l’Unedic. Actuellement cela représente 3,2 milliards d’euros, soit 64% du budget Unedic. Quand on sait que l’Unedic accusait 4 milliards de déficit en 2017, cherchez l’erreur. Si le gouvernement veut faire économiser du budget à l’Unedic, il devrait peut-être regarder de ce côté là, surtout quand on connaît l’efficacité redoutable de Pôle-emploi pour permettre aux chômeurs de trouver ou retrouver un emploi…?

Au delà des 64% du budget Unédic grévé par le Popôle de Sarkozy, quelques indicateurs budgétaires sont à observer pour mieux comprendre d’où viennent les déficits dans les différentes catégories de contrats que l’Unedic indemnise. Il faut savoir par exemple que les CDI sont bénéficiaires :10 milliards d’euros en 2015, par exemple (calcul entre recettes des cotisations perçues et indemnisation versées pour ces contrats). Il y a autour de 85% de salariés en CDI. Comment diable les 1,4 milliards d’euros de déficit attendus en 20018 sont-ils alors fabriqués dans ces conditions ? Et bien, en partie par les CDD et l’Intérim. L’explosion de ce type de contrats en 15 ans a fait exploser les dépenses de la caisse d’assurance chômage (il y avait 94% de CDI indemnisés il y a 20 ans). 39% des inscrits au chômage sont des fins de CDD, 11% des fins de mission intérim. 6 milliards de trou dans la caisse en 2015 par les seuls CDD. Petites questions : qui a décidé d’embaucher majoritairement les salariés avec ces contrats précaires qui font des va et vient entre salaires et indemnisations chômage ? Et qui n’a rien fait pour décourager les entreprises en les taxant plus fortement sur les CDD ou en augmentant la part de cotisations patronales Unédic sur ce type de contrats ? Les PME de plus de 50 salariés embauchent quatre fois plus en CDD qu'il y a 25 ans : en 2017, 90% des embauches l'ont été en CDD.

Prévisions d’équilibre en 2019 et bénéfices en 2020 et 2021 : Macron est un farceur

Le déficit prévu par l’Unedic en 2019 est mineur : moins de 90 millions d’euros. Pour 2020 la prévision est celle d’un régime d’assurance chômage excédentaire de 1,6 milliards d’euros et enfin, 3,6 milliards d’euros d’excédents en 2021. En restant sur les bases actuelles, avec des prévisions de croissance de l'Unedic moins importantes que celle du gouvernement. Et sans super réforme macronienne. (Ce document explique très bien comment l'Unedic utilise l'argent contenu dans sa caisse, au passage).

Rapport des prévisons budgétaires de l'Unedic : perspectives financières de l'assurance chômage 2018-2021

Comment donc, dans ces conditions, le chef de l’État, son premier ministre et la ministre du Travail vont-ils arriver à faire croire qu’il faut réformer l’assurance chômage de toute urgence pour la sauver de la banqueroute alors que toutes les prévisions sont au beau fixe ? Prévisions au beau fixe comme celles de la Sécurité sociale, soit dit au passage. Pénicaud a répondu vite fait il y a peu, en déclarant qu'elle voulait "profiter du retour de la croissance pour accélérer le désendettement". Hum. Oui, mais en touchant à quoi ? A la super enveloppe donnée à Pôle-emploi ? En imposant des bonus-malus sur les contrats courts (nouvelle terminologie pour la taxe CDD de Hollande refusée par le Medef) ? Bien sûr que non ! Pénicaud voudrait mettre à la poubelle des systèmes d'allocations pour les travailleurs précaires qui conservent des allocations en travaillant : la "permitence" comme elle l'appelle, les droits rechargeables, les durées d'allocations avec conservation d'un travail partiel. Le plus drôle c'est que dans le rapport de l'Unedic, ce sont ces types de mesures qui ont permis de faire des économies. Extrait (toujours du rapprt de prévisions de l'Unedic) :

"Les mesures de la convention 2014 (introduction des droits rechargeables, suppressions des seuils de cumul allocation-salaire, allongement du différé d’indemnisation (…) se traduisent par une réduction du déficit de l’Assurance chômage. Leurs impacts respectifs sont estimés à 450 et 930 M€ d’économie par an, soit 1,5 Md€ au total".

Macron fait dans l'entourloupe avérée.

Il semble donc en réalité que le projet (au chef) pour la réforme du système de chômage français soit un peu plus tordu que l’affichage actuel. Le principe est le suivant : mentir sur la réalité comptable de l’Unedic en jouant sur le seul aspect de la dette cumulée en évitant de parler des comptes à l’équilibre et bénéficiaires qui arrivent, pour commencer « à préparer le terrain ». Éviter le sujet des équilibres avec les CDI, déséquilibres des contrats précaires, financement de pôle-emploi. Mais quel terrain ? Tout simplement celui d’un accaparement par l’Etat de l’assurance chômage. Incorporé au budget, payée par l’impôt. Ainsi, les comptes de l’État-assurance chômage seront toujours déficitaires, plomberont le budget général. L’état n’aura alors plus à négocier avec qui que ce soit puisque la caisse ne sera plus paritaire et ainsi il pourra faire disparaître à terme cette "hérésie des allocations chômage". Ou les réduire à presque rien. La mission de Macron est toujours en cours. Ses commanditaires du Medef apprécient. Le projet commence à prendre vraiment forme. Une vaste entourloupe. Mais efficace quand même.

Surtout quand les relais médiatique jouent — pour une grande partie — très bien le jeu, sans broncher. En plus Manu en avait déjà parlé l'année dernière de cette reprise par l'Etat de l'assura,ce chômage, quand il estimait que les démissionnaires et les indépendant devaient eux aussi bénéficier du chômage…

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