Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Après, c’est la falaise…

Voilà une petite histoire bien personnelle qui permet de fixer l’esprit d’une époque. Depuis des années, je dépense une énergie importante pour passer mes vacances dans un endroit particulièrement reculé et proche de ce que je connaissais étant enfant. Loin de la société de consommation, loin des faux-semblants, loin du storytelling envahissant. Ce « bout du monde » est coincé entre un petit village qui est la porte d’entrée sur une plaine et une falaise plongeant dans la mer. Après… Plus rien.

Voilà une petite histoire bien personnelle qui permet de fixer l’esprit d’une époque. Depuis des années, je dépense une énergie importante pour passer mes vacances dans un endroit particulièrement reculé et proche de ce que je connaissais étant enfant. Loin de la société de consommation, loin des faux-semblants, loin du storytelling envahissant. Ce « bout du monde » est coincé entre un petit village qui est la porte d’entrée sur une plaine et une falaise plongeant dans la mer. Après… Plus rien.

Dans ce petit village, il n’y avait rien d’autre qu’une petite épicerie, deux cafés, un restaurant local et un bijoutier prétentieux (une incongruité). Ces dernières années, la « civilisation », qui a horreur du vide, a découvert l’endroit et l’investit peu à peu.

Le souci, c’est que je ne peux pas reculer beaucoup plus. Parce qu’après, c ‘est la falaise. Deux cent mètres de vide et la mer en bas. Il faudrait arrêter de me pousser. S’il vous plaît.

L’un des deux cafés du bout du monde existe depuis que je suis enfant. C’était un truc un peu roots, peuplé de hippies, de locaux désargentés. Un peu crade sur les bords, une déco immonde. Mais il offre ce sentiment qui vous envahit lorsque vous pénétrez dans les lieux : vous entrez dans une autre dimension, hors du temps.

Paris-plage

Jusqu’ici, c’était cool, la nourriture était simple et pas chère. Mais depuis quelque temps, de changements insidieux en changements insidieux, l’endroit a finalement perdu ce qui faisait son charme et son originalité. Ca a commencé par la déco avec des gadgets pour la mettre au goût du jour (les toilettes sont refaits à neuf avec tout plein de lavabos design). Puis la carte a changé avec des plats pseudo-sophistiqués qui collent mal avec l’endroit et sont hors de prix (trente euros pour un plat de pâtes, une sorte de tiramisu, un café mais sans vin, bref, le prix d’un déjeuner dans le VIIIème arrondissement de Paris). Les prix sont très éloignés de ce que les locaux peuvent débourser. Ne parlons pas des hippies installés depuis toujours dans ce petit coin de paradis et que le magret de canard chutney mangue laisse froids comme la banquise.

Que s’est–il donc passé ?

Réponse dans le sophistiqué magazine de l’office du tourisme du coin. Il y a quelques temps, le café devait fermer mais fort heureusement, une mannequin qui passait par là, a décidé, avec quelques amis, de le reprendre et d’y faire venir Ken©, Barbie© et tous leurs amis©.

Eugenia Silva, la top model barmaid, qui pose négligemment, explique au magazine :

« La situation économique dans laquelle se trouvent tant de gens me rend très triste (…) ce n’est pas parce que tout me sourit que je me désintéresse de la situation. C’est une préoccupation constante et très proche, c’est pour cela que j’entreprends, parce que je crois que c’est une des façons de lutter contre la crise. Même si c’est en perdant de l’argent, je pourrai donner un emploi à quelqu’un qui en a besoin ».

En même temps, ce n’est pas faux, à 30 euros le repas au bout du monde, il doit y avoir un peu d’argent à redistribuer pour les nécessiteux.

Mais s’il te plaît, Eugenia, pourrais-tu faire tes bonnes œuvres ailleurs et réembarquer Ken©, Barbie© et leurs copains© ?

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée