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par Antoine Champagne - kitetoa

Bull et Amesys : la boite de Pandore que le gouvernement de François Hollande n'ouvrira pas

Souvenez-vous ! Le 26 février 2011, Reflets met son premier pied dans le plat Amesys avec cet article. Nous écrivions : "Il y a pourtant beaucoup à dire, comme par exemple sur un intégrateur français qui serait allé il y a une dizaine de jours, juste avant les premiers soulèvements de Benghazi, rendre visite aux autorités libyennes pour leur vendre un système d’écoute globale, pour une capacité réseau de 60Gbps.

Souvenez-vous ! Le 26 février 2011, Reflets met son premier pied dans le plat Amesys avec cet article. Nous écrivions : "Il y a pourtant beaucoup à dire, comme par exemple sur un intégrateur français qui serait allé il y a une dizaine de jours, juste avant les premiers soulèvements de Benghazi, rendre visite aux autorités libyennes pour leur vendre un système d’écoute globale, pour une capacité réseau de 60Gbps. Il est souvent difficile de discerner les contours de notre jeu diplomatique, ses enjeux économiques très importants et peut être aussi, de curieux mélanges de genres…" Nous passions alors le bébé à Owni qui réalisait l'enquête que nous n'avions pas le temps de faire et pouvait dès lors (après avoir croisé les informations de quelques sources) publier le nom de cet "intégrateur" mystérieux qui vendait du DPI pour écouter toute la population libyenne : Amesys. En août, le Wall Street Journal tombait par hasard sur l'un des centres d'écoute à Tripoli. Bingo, le logo Amesys ornait tous les murs. Le numéro de téléphone du responsable de l'équipe Eagle (ceux que nous avons appelés #LesDix), le désormais fameux Renaud Roques figurait sur les affiches. L'équipe des #Dix est chapeautée par Renaud Roques, aidé de Thomas Franciszkowski. Les deux compères continuent de voyager et de vendre leurs outils à des pays fâchés avec les Droits de l'Homme. Leurs salaires, rassurons-nous, sont suffisamment conséquents pour les aider à cacher sous le tapis toute apparition de questionnements moraux. Il ne s'est donc rien passé. Le livre de Jean-Marc Manach (Au pays de Candy), les dizaines d'articles de Reflets ne les a pas émus plus que ça. Tout continue. Et il y a une raison à cela, nous allons y revenir.

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Lorsque l'AmesysGate a été révélé, quelques députés de gauche se sont émus de voir le pays dit des Droits de l'Homme aller vendre des outils de surveillance globale à un pays dirigé par un dictateur sanglant, soutien notoire du terrorisme. Mieux, l'interlocuteur d'Amesys était Abdallah Senoussi, chef des services de renseignement de Kadhafi, connu de tous pour son implication dans l'explosion d'un DC-10 d'UTA (170 morts, dont 54 Français) et condamné pour cela par la justice française.

On compte au moins 8 questions (il en manque) de députés au gouvernement de Nicolas Sarkozy lorsque l'on fait une recherche sur le terme Amesys via ce formulaire.

Prenons-en une au hasard qui est resté comme la plupart d'entre elles sans réponse :

Mme Jacqueline Fraysse interroge M. le ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les exportations de matériel de communication de la société Amesys au profit du régime de Mouammar Kadhafi, livré en 2008. Il est problématique de voir que ce matériel - qui a servi à identifier des défenseurs des droits de l'Homme qui, pour certains, ont été emprisonnés et torturés - est absent des listes de matériel sous contrôle de la commission interministérielle d'étude des exportations du matériel de guerre. En application des articles 4 et 5 de la convention de l'ONU contre la torture, " tout État partie veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. Il en est de même de la tentative de pratiquer la torture ou de tout acte commis par n'importe quelle personne qui constitue une complicité ou une participation à l'acte de torture ". Il incombe donc à la France en tant que pays signataire de cette convention de prendre les mesures nécessaires afin de respecter et faire respecter ses dispositions. Dans un moment crucial pour les négociations sur le traité sur le commerce des armes dans lesquels la France joue un rôle majeur, il est essentiel de prévenir de tels transferts qui participent à de graves violations des droits humains et qui contreviennent également au critère n° 2 de la position commune de l'Union européenne.

Bien entendu, les adepte du débit de caca de taureau politique comme Claude Guéant ou l'ancien ministre de la Défense, Gérard Longuet (dont la fille Tiphaine Hecketsweiler, est à la direction de la communication de Bull), avaient fait un bras d'honneur virtuel aux poseurs de questions qui fâchent.

Le changement c'est aussi des bras d'honneur virtuels...

Mieux... Alors que François Hollande et sa majorité de gauche prenaient le pouvoir, il se trouvait encore une dangereuse gauchiste pour interroger le ministère des Affaires Étrangères sur la vente de ce type de matériel. Et que croyez-vous qu'il répondit ? Exactement le même genre de conneries que Gérard Longuet à l'époque.

Les systèmes informatiques auxquels il est fait référence n'entrent pas dans la catégorie des matériels de guerre,ni dans celle des biens à double usage. Ils ne font donc l'objet, selon les réglementations française et européenne, d'aucun contrôle préalable à l'exportation. Si un tel matériel a été exporté vers la Libye depuis la France, l'exportateur n'avait donc pas à obtenir une autorisation à cette fin, ni même à informer l'administration de cette livraison. Ces matériels de communication, développés sur la base de produits du marché grand public et sans usage militaire, n'ont a priori pas vocation à faire partie de l'une des catégories d'équipements soumis à autorisation d'exportation.

Dis donc Lolo, tu y crois quand tu dis qu'Eagle est fabriqué à base de "produits du marché grand public" ? Tu veux qu'on te montre avec quoi ils le fabriquent. Tiens, juste pour info, au Maroc, où Amesys installe un Eagle pour le copain de la France, le roi que le gouvernement est en train de choyer (Ayrault revient d'un petit voyage en ce sens, cf. le Canard Enchaîné du mercredi 19 décembre), il y en a pour près de 2 millions de dollars de gros ordinateurs IBM. Grand public, mais cher, hein. En même temps, à bien y réfléchir, il n'est pas certain que le grand public achète ces lames IBM.

Prendre les gens pour des imbéciles, c'est drôle cinq minutes, mais c'est mieux si ça ne se voit pas trop.

Attendez, ce n'est pas fini.

Néanmoins, en raison de la sensibilité éventuelle de leur usage, le Premier Ministre a demandé qu'une réflexion puisse être menée afin de proposer un classement adéquat des différentes catégories d'intercepteurs de communications et, le cas échéant, définir les modalités d'un contrôle national.

"Le cas échéant"... Les torturés et autres arrêtés à Doha, Tripoli, bientôt Rabat, ont comme l'impression que le cas est vraiment très échéant et même, qu'il faudrait se presser de "définir les modalités d'un contrôle national".

Ce "cas échéant" du gouvernement de l'ère du changement en dit long : circulez, il n'y a rien à voir.

Il n'y a tellement rien à voir que la justice qui planche depuis plus d'un an sur le cas Amesys se hâte très lentement, que Fleur Pellerin, interpellée par Reflets depuis des mois sur Amesys, ne répond jamais. Personne ne veut parler d'Amesys. Ni à droite, ni à gauche.

Silence, on fait du business

Chez Reflets, on aime bien comprendre. Et ce silence de toute la presse et de toute la classe politique nous a longtemps intrigué. Bien entendu, nous avons déjà partiellement répondu à la question. Amesys, ou plus précisément, la galaxie Amesys (notamment Elexo), est un pivot du complexe militaro industriel. Pour véritablement en prendre la mesure, Reflets a développé un Eagle-like : DaHubbleVisionPowa©, un outil de haute technologie qui permet d’écouter les communications téléphoniques, Internet, GSM, Fax ET les pigeons voyageurs de la direction de Bull et d’Amesys. Et ça marche très bien. Mieux qu'un Eagle, même.

Si la ni gauche, ni la droite ne veulent se pencher sur Amesys et Bull sa maison mère, c'est qu'il s'agirait d'une boite de Pandore. L'ouvrir, c'est risquer de dévoiler une palanquée de petits secrets que les militaires, le gouvernement, le ministère de l'Intérieur, les grosses entreprises du complexe militaro industriel européen préfèrent garder au chaud.

Car la galaxie Amesys travaille énormément avec l'Armée française. Notamment les branches liées à la guerre électronique. Par exemple la DIRISI, le CELAR, le SGDN, le 44ème régiment des transmissions, la 785ème compagnie, le 43ème bataillon des transmissions à Orléans. On en passe.

Le ministère de l'Intérieur est également un client régulier de la galaxie Amesys. Un bon client qui rapporte. Quelque 400.000 euros en 2008 en une seule commande par exemple.

Au registre des grosses boiboites qui ont commercé ou commercent toujours avec la galaxie Amesys, on trouve par exemple France Telecom, Eutelsat, Sagem, le CEA, MDBA, Atos, Air France, Veolia, Thales, Airbus, Alcatel, France Television, Bouygues Telecom  Dassault, Cassidian (filiale d'EADS). Ces deux dernières entreprises sont par exemple en plein business avec Amesys. Ce qui explique que l'on ne puisse pas taper trop fort sur la galaxie Amesys. Surtout quand celle-ci ausculte par exemple les systèmes de radionavigation du Rafale, cet avion invendable, mais présent au sein de nos forces armées. Quant à Cassidian, on parle d'une espèce de système GPS pour le Kosovo (on n'est pas très sûrs), mais DaHubbleVisionPowa© est parfois un peu flou dans ses remontées. Tout comme le membre du conseil d'administration de Bull qui nous remonte quelques informations.

Quand le lilliputien rachète Goliath

Que l'on se comprenne bien... Ce n'est pas simplement parce que la galaxie Amesys continue de faire du business avec tout le petit monde du complexe militaro industriel que le gouvernement actuel, comme le précédent se refuse à rechercher les responsabilités de ses dirigeants, en occurrence, Philippe Vannier qui se rendait armé de 3000 euros de fraîche en Libye au début de la révolution locale, pour vendre un upgrade d'Eagle à Kadhafi. Le même qui validait le versement de 130.000 euros au festival mondial des arts nègres...

Le souci, c'est que Philippe Vannier a désormais une place qui empêche que l'on vienne lui chercher des poux dans la tête.Alors que Bull annonçait en janvier 2010 avoir racheté Amesys, c'est en fait l'inverse qui se passait. Crescendo, la maison mère d'Amesys devenait le premier actionnaire de Bull. Depuis ce rachat, Philippe Vannier a pris la direction de Bull et achète constamment des actions de l'entreprise en son nom propre. Il est désormais "indéboulonnable". Le gouvernement a d'autres chats à fouetter que les Droits de l'Homme et la recherche des responsabilités éventuelles d'un Philippe Vannier, d'un Renaud Roques ou d'un Bruno Samtmann dans la vente d'un outil d'espionnage de la population à des dictatures ou des Etats policiers...

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Alors, dans un silence assourdissant, tout ce petit monde continuera à faire du business en rond, ne sera perturbé par personne, surtout pas la presse qui s'en fout comme de sa première rotative. Au pire, si le moustique Reflets fait un peu trop bzzzzzz dans leurs oreilles, les patrons de Bull lui colleront un procès pour le ruiner. Étant entendu que c'est tout de même une démarche risquée parce que nous amènerions une palanquée de preuves de ce que l'on raconte, ce qui pourrait finalement obliger un juge d'instruction à se pencher sur certaines activités d'Amesys ? Qui sait ?

En attendant, Reflets n'a toujours pas de réponses aux questions posées au gouvernement du changement de maintenant. Et nous n'en aurons pas.

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