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Dossier
par Antoine Champagne - kitetoa

Gilets jaunes : la politique du pire

Offrir des miettes et réprimer violemment

Incapable de voir la colère qui vient, ou trop certain de pouvoir l'éteindre à coups de LBD 40, de grenades lacrymogènes, de poursuites judiciaires et de mesurettes, l'exécutif prépare un avenir pour le moins incertain

Il y a eu le temps des annonces visant à calmer les gilets jaunes. C'est la séquence "Macron prend la parole après un long silence". Les mesurettes présentées comme des concessions énormes n'ont convaincu personne. Il n'aura fallu que quelques heures aux médias les plus respectueux de l'ordre établi pour comprendre que ces concessions ne concerneraient qu'une infime partie de la population et qu'elles représenteraient un gain de pouvoir d'achat minime. C'est dire si les gilets jaunes les plus énervés ont été déçus... Puis est venu le temps que l'exécutif, tous bords politiques confondus, connait le mieux : celui de la force. Depuis le début de la semaine, les forces de l'ordre évacuent les ronds-points.

Christophe Castaner a été limpide : "Ça suffit pour la sécurité des gilets jaunes, de nos concitoyens, pour la sécurité de nos forces de l'ordre [...] On ne peut pas continuer à paralyser l'économie française, paralyser le commerce dans nos villages, dans nos villes en embolisant un rond-point [...] Nous avons commencé dès la semaine dernière, des ronds-points ont été évacués, nous allons poursuivre cela".

C'est donc une valse à trois temps que joue le gouvernement.

Premier temps : effrayer les manifestants. Il y a eu les arrestations, les garde-à-vues arbitraires, les rappels à la loi et les poursuites devant les tribunaux, les tirs de LDB 40 massifs avec son cortège de blessés graves, les tirs de grenades lacrymogènes en masse. Nous avons pu constater lors de nos reportages les 8 et 15 décembre, que les forces de l'ordre ont massivement nassé puis envoyé des grenades lacrymogènes sur des personnes qui ne présentaient aucun danger. Plusieurs journalistes ont été visés par des tirs de LBD 40 alors qu'ils s'étaient ostensiblement signalés comme faisant partie de la presse et qu'ils ne pouvaient être confondus avec des casseurs. On imagine que si le manque de retenue des forces de l'ordre est tel face à des journalistes, il doit être encore pire face à des manifestants.

Policiers en civil non identifiables, avenue des Champs-Elysées le 15 décembre - © Reflets
Policiers en civil non identifiables, avenue des Champs-Elysées le 15 décembre - © Reflets

Pour ce qui est des arrestations arbitraires, on peut citer ce bus venant de Savoie avec une cinquantaine de personnes venant manifester à Paris le 8 décembre. A peine 200 mètres après leur descente du bus gare de Lyon vers 7 heures du matin, tout ce petit monde (entre 18 et 70 ans) était embarqué et mis en garde-à-vue dans le 19ème arrondissement jusqu'à onze heures du soir. Prise d'empreintes, photos sous toutes les coutures, entassés dans des cellules exigües et crasseuses, les manifestants ont reçu un rappel à la loi pour participation "à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destruction ou de dégradations de biens, circonstance que les faits ont été commis en réunion". Pour des gens qui n'ont pas vu le début de la manifestation, qui venaient de Savoie, qui n'avaient aucune intention de casser quoi que ce soit, l'addition est lourde.

Deuxième temps, on annonce quelques mesures, que l'on habille pour laisser penser qu'il s'agit de concessions. Dans la foulée, les éléments de langage sont repris en boucle par les politiques, les syndicats et les éditocrates : maintenant, il faut arrêter vos manifestations, si vous persistez, c'est que vous n'êtes là que pour créer du désordre puisque vos revendications ont été entendues par le président. Merci pour les 100 balles, mais ce n'est pas ce que demandaient les manifestants lui répondent les gilets jaunes...

Manu nous souffle dans l'oreillette : "mais de rien, c'est cadeau !" - © Reflets
Manu nous souffle dans l'oreillette : "mais de rien, c'est cadeau !" - © Reflets

Troisième temps, les politiques font ce qu'ils savent si bien faire. Utiliser la force publique pour faire cesser les manifestations. Voici venu le temps de l'évacuation forcée des ronds-points occupés, comme par le passé : place Tahrir, Maïdan Nézalejnosti, le parc Zuccotti, la Puerta del Sol, le parc Taksim Gezi, on en passe...

Comme si la colère pouvait être effacée d'un coup de gomme, ou plus précisément d'un coup de tonfa. Comme s'il suffisait de déloger les gens d'un parc, d'une place ou d'un rond-point pour que s'évanouissent les raisons de la colère.

Dans les faits, cette colère est mise sous le tapis, comme de la poussière. Elle resurgira dans quelques temps, amplifiée par de nouvelles déconvenues. C'est donc un jeu dangereux que joue actuellement l'exécutif en refusant d'acter la demande d'une réforme profonde du pacte social. Et pour LREM, un mouvement politique qui se targue de vouloir réformer une France qui "refuserait tout changement depuis plus de 30 ans", c'est un comble.

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