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Édito
par Antoine Champagne - kitetoa

Tout à cacher

Contrairement à ce que le titre de cet article pourrait laisser croire, il ne vise pas à contredire le contenu de l'article de Laurent Chemla paru sur Reflets aujourd'hui. Je n'ai jamais lu un article de Laurent Chemla avec lequel je sois en désaccord. Même pas un petit bout d'article. C'est dire...

Contrairement à ce que le titre de cet article pourrait laisser croire, il ne vise pas à contredire le contenu de l'article de Laurent Chemla paru sur Reflets aujourd'hui. Je n'ai jamais lu un article de Laurent Chemla avec lequel je sois en désaccord. Même pas un petit bout d'article. C'est dire. Au contraire, je pense que ses articles sont trop rares et qu'il devrait en publier bien plus. Non, ce titre vise à vous donner une autre perspective. Celle de quelqu'un qui pense que l'on a tout à cacher. Non pas parce que l'on se laisse aller à des activités que la loi, l'éthique ou la morale réprouvent. Mais parce que dans "vie privée", il y a le mot "privée". Et que ce qui nous différencie, nous les êtres humains, c'est justement notre vie privée. Nous départir ce cela, c'est renoncer à notre unicité.

J'avais pris il y a trois ans le thème des zoophiles à tendance teckels morts pour parler de "vie privée" à PSES.

Imaginons que vous n'ayez "rien à cacher".

Premier point, les entreprises se réjouissent que vous n'ayez rien à cacher. Elles n'ont pas pour objet central de vous fournir un bien ou un service. Ni de faire le bonheur de leurs salariés. L'éthique n'est pas une valeur fondatrice pour une entreprise. Son but premier est "de faire des profits". De là découlent pas mal de comportements qui surfent souvent avec les limites de l'éthique communément partagée. Vos données, même si vous pensez qu'elles sont personnelles, les intéressent énormément. Et dépenser des fortunes pour les protéger, une fois ces données acquises, est le dernier de leurs objectifs. Cela coûte cher et ne rapporte rien (dans les lignes du bilan annuel). En attendant, vous publiez gratuitement, volontairement ou pas, des données que ces entreprises exploitent pour s'enrichir sur votre dos. Une démarche étonnante.

Les Etats s'intéressent à vos données ou à celles de vos contacts. Laurent Chemla vient de l'expliquer sur Reflets avec clarté. Snowden l'a également fait savoir et lorsque l'on se penche sur l'étendue des données qui peuvent intéresser la NSA comme les métadonnées de Angry Birds ou de WoW, on peut être inquiets.

Donc, vous n'avez rien à cacher. Même en sachant tout cela, parce que comme l'explique Jean-Marc Manach, et nous sommes en désaccord sur ce point, la DGSE (ou la NSA) se cogne de savoir ce qui se passe à Romorantin.

Vous êtes un être humain, et donc, vous m'êtes semblable. Nous sommes fabriqués avec les mêmes "matériaux". Même chair, mêmes os... Nos squelettes sont tous "blancs", que nous soyons blancs ou de couleur. Les mêmes... Sauf... en ce qui concerne notre vie privée. Notre vie intime, nos pensées, nos données personnelles forment notre unicité. Les rendre publiques, nous en départir, volontairement ou pas, c'est se déposséder de ce qui nous distingue les uns des autres. Nous rendre tous "semblables".

Quand bien même ! Vous n'avez toujours rien à cacher.

Pourquoi pas ? Mais réfléchissons un peu tout de même. Est-ce qu'il y a une limite à ce que vous seriez d'accord pour dévoiler publiquement ?

Le sexe par exemple. C'est perso ou pas ?

En 2012, les identifiants et les mots de passe d'utilisateurs de Youporn ont été diffusés sur Pastebin.

Du coup, tout le monde peut découvrir si vous êtes fans de zoophilie, tendance teckels morts.

Bien entendu, chacun fait ce qu'il veut sous la couette, mais certains ne sont pas tolérants sur ce sujet en particulier. Une hypothétique ligue de défense des animaux morts pourrait s'offusquer.

"Je m'en fiche", nous direz-vous, "je n'ai pas de compte Youporn !".

Tu as vu mon gros sextoy ?

Prenons un exemple moins rare. Vous n'avez pas de compte Youporn, vous n'êtes pas fan de zoophilie, tendance teckels morts. Mais...

Il quelques années, alors que la vente de sextoys par Internet devenait très à la mode au point de déclencher (merci les attaché(e)s de presse) des articles dans toute la presse féminine, votre serviteur et l'un de ses amis co-journaliste à Transfert, avions regardé comment les sites de vente à distance de sextoys protégeaient les données personnelles de leurs clients.

Bingo, en cliquant sur "http://www.le-sex-shop-qui-va-mal.fr/mail.txt", vous pouviez accéder à la liste des clients, avec leurs noms, prénoms, e-mails.

Google étant déjà à l'époque notre ami, il suffisait de trois clics pour identifier les clients en question. Encore une fois, chacun fait ce qu'il veut sous la couette. Mais chacun a le droit de garder pour lui le fait qu'il achète (ou pas) des sextoys sur http://www.le-sex-shop-qui-va-mal.fr/.

Surtout si "chacun" a utilisé son mail professionnel pour passer commande...

Bien entendu, il y en a parmi nous, les êtres humains, qui ne se sentent concernés ni par le premier, ni par le deuxième exemple.

Mais parmi ceux-là, combien répondent à des offres d'emploi ou postulent spontanément, combien utilisent des dizaines d'applications kikoulol qui parlent en leur nom? Combien achètent et vendent par Internet ? Combien utilisent des "services en ligne 2.0" qui permettent de disposer d'une projection digitale de leurs êtres ? Et croyez-nous sur parole, nous les vieux dinosaures, ces projections digitale s'expriment, avec ou sans l'accord de leurs propriétaires. Enfin, ces projections ne sont pas le reflet des êtres réels. Loin de là. Elles peuvent même donner une vision biaisée de leurs propriétaires.

Qui es-tu pour prendre mon unicité ?

Une fois acquise l'idée que les entreprises ou les Etats ont une fâcheuse tendance à s'approprier nos données sous couvert de "promesse produit", de "marketing ciblé", de "lutte contre le terrorisme", on en passe, il convient de se demander si cette razzia est légitime.

Sommes-nous uniquement des portefeuilles à qui il faut vendre n'importe-quoi à tout prix, y compris celui de nos données personnelles ? Somme-nous tous des terroristes ? Les entreprises et les Etats sont-il légitimes lorsqu'ils nous dépossèdent de ce qui fait notre unicité ?

D'une part la Déclaration universelle des Droits de l'Homme pense que non (article 12) et d'autre part, nous ne sommes des terroristes que si une enquête judiciaire et un procès contradictoire viennent le prouver. Le tout sans se baser sur des écoutes partielles, pour la plupart illégales, ne reflétant qu'une vision partiale de notre personnalité.

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