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par Antoine Champagne - kitetoa

On aimerait tant pouvoir croire les démocraties...

Les abominations du régime syrien sont patentes. Des mois et des mois de répression sanglante. Reflets qui a collaboré avec Telecomix pour l'OPSyria sait de quoi il retourne. La semaine dernière, les Etats-Unis annonçaient que Bachar El Assad avait sans doute utilisé des armes chimiques contre son peuple, ce qui pourrait "changer la donne". Avec quelques réserves (il faudra une enquête poussée pour le prouver).

Les abominations du régime syrien sont patentes. Des mois et des mois de répression sanglante. Reflets qui a collaboré avec Telecomix pour l'OPSyria sait de quoi il retourne. La semaine dernière, les Etats-Unis annonçaient que Bachar El Assad avait sans doute utilisé des armes chimiques contre son peuple, ce qui pourrait "changer la donne". Avec quelques réserves (il faudra une enquête poussée pour le prouver). Comme à peu près toute personne ayant un peu de bon sens, nous sommes prêts à croire les Etats-Unis. Et même, à approuver du bout des lèvres une intervention internationale dans le cadre du droit du même nom, contre un régime sanglant. Mais si nous aimerions bien croire les démocraties lorsqu'elles nous annoncent qu'un méchant-méchantest en phase de pétage de plomb, nous ne pouvons oublier l'histoire de Pierre et le loup. Les histoires que l'on raconte aux enfants sont là pour poser quelques principes de bon sens dès le plus jeune âge. Des petites morales à connotation psychologiques qui façonnent notre personnalité, notre mode de réflexion.

Dans l'une des versions, Pierre crie au loup pour affoler le village. Et le jour où le loup apparait réellement, plus personne ne vient à son secours.

Si l'on revient sur quelques histoires récentes, on se dit que les démocraties ont perdu tout crédit, ce qui est dommage lorsque le loup parait.

Souvenez-vous, par exemple, de Colin Powell, alors Secrétaire d'Etat américain, à l'ONU brandissant une petite fiole pour faire passer l'idée que l'Irak possédait des armes de destruction massive (ADM). Il fallait alors convaincre l'opinion internationale qu'une intervention en Irak était nécessaire. D'armes de destructions massives, personne ne trouva trace une fois l'Irak "pacifié" par la première démocratie de la planète, à grands coups de bombes. Pas même les militaires américains mandatés pour cela.

Nul doute, la Syrie possède des armes chimiques. Savoir si elle les a utilisé contre sa population est une autre affaire.

C'est une bonne chose que la première démocratie de la planète vienne expliquer qu'un tel usage changerait la donne. On sent que les grands principes, les Droits de l'Homme, sont remis sur le devant de la scène. Enfin. Et pas par n'importe qui. Par un pays guidé par la volonté de protéger les êtres humains contre l'arbitraire, l'apanage des dictatures.

Oui, on aimerait bien croire à cette fable. C'est apétant, comme disent les communiquants. Mais ça résiste mal à la réalité.

Souvenez-vous, lors de son élection, Barak Obama promettait la fermeture de Guantanamo. Ce camp de rétention hors de tout cadre légal. Où les Etats-Unis ont enfermé des gens sans inculpation, sans perspective de procès, sans perspective de sortie. Depuis le mois de mars, les détenus sont en grève de la faim. Quelque 100 détenus ont rejoint ce mouvement sur 166. Une vingtaine sont maintenus en vie par des tubes qui les nourrissent contre leur volonté.

Guantanamo pourrait être quelque chose d'isolé. Une tâche dans la démocratie américaine. Mais il y a aussi eu Abou Ghraib. Une prison où les militaires américains ont pris un malin plaisir à torturer les détenus.

La question de savoir s'il s'agit de "torture light" ou de "torture tout court" ne se pose pas. Il n'y a pas de torture moins grave qu'une autre et l'usage de celle-ci par les Etats-Unis ne fait plus de doute, comme le rappelait le New York Times le 16 avril dernier.

On pourrait continuer la liste avec les enlèvement un peu partout dans le monde de personnes n'ayant rien à voir de près ou de loin avec le terrorisme, qui se sont retrouvées sur des vols secrets de la CIA à destination de pays riants où la torture est pratiquée sans sourciller, ou à destinations de prisons sans existence. Le tout avec la gentille complicité des autres démocraties, comme l'Espagne, l'Italie, la Suède, la Bosnie, le Royaume-Uni, la Macédoine, l’Allemagne, la Turquie, quelques pays de l'Est, on en passe...

Mais divergeons, plutôt.

Toujours au crédit des démocraties qui se soucient des Droits de l'Homme, ajoutons l'aide non négligeable desdites démocraties sur le plan de la surveillance et du repérage des opposants politiques dans des dictatures ou des Etats policiers familiers de la torture.

Sur ce plan, la liste est quasiment sans fin. Pour soutenir les Droits de l'Homme, les démocraties ont exporté toutes sortes de logiciels, de savoir faire, d'experts policiers...

Pour les lecteurs de Reflets, rien de nouveau. BlueCoat en Syrie, Bull/Amesys et son Eagle en Libye, au Qatar, au Maroc, au Gabon, Qosmos en Syrie avec le projet AFSADOR.

On pourrait également citer Gamma International et FinFisher, Michèle Alliot-Marie proposant à Ben Ali « le savoir-faire de nos forces de sécurité, qui est reconnu dans le monde entier, [pour] permette de régler des situations sécuritaires de ce type ».

L'aide européenne à des dictatures dans le domaine de la cybersurveillance a été massive, comme le révèle cet article en allemand. Elle l'est encore. Amesys continuant son business mortifère sur tous les plans. Bien entendu dans les pays connus (Qatar avec le State Security Bureau ou le Maroc, à Rabat où s'installe un Eagle avec du matériel fourni par ServiWare et le soutien d’Alten), mais aussi en France. La galaxie Amesys (appartenant à Bull) continue de vendre du matériel à toutes les branches de l'armée française spécialisées dans l'écoute des signaux. Elle vend à tout le complexe militaro-industriel. Et même à Orange pour installer du DPI en coeur de réseau.

Soyons réalistes... Il n'y a pas de démocratie parfaite, pas de blanche colombe à l'horizon. Mais tout de même... En France, lire des réponses aussi abjectes à des questions pertinentes, qu'elles viennent de droite ou de gauche, car les deux derniers gouvernements ont le même discours sur le DPI et le rôle de nos deux fleurons, Bull / Amesys et Qosmos, c'est un tantinet déceptif, comme on dit dans la communication.

Aux Etats-Unis, entendre des responsables politiques conspuer des dictateurs ou des dirigeants d'Etats policiers alors que les Droits de l'Homme ont été bafoués dans ce pays depuis 2001 comme nulle part ailleurs dans la sphère "démocratique", le tout avec l'aval des juristes gouvernementaux... C'est un tantinet déprimant.

Mais que vient faire Cahuzac dans cette affaire ?

A l’échelle planétaire, la distorsion entre les  mots et les actes des politiques dans les pays démocratiques est un équivalent de l'affaire Cahuzac en France : faites ce que je dis, pas ce que je fais. Bilan des courses ? Une perte profonde de crédibilité pour les acteurs du verbe léger. Si la confiance peut se perdre à la vitesse de la lumière, elle prend énormément de temps pour être restaurée. Dans l'intervalle, nombre de citoyens basculent vers les extrêmes, celles qui ont des réponses simplistes à des questions compliquées. Ce qui est particulièrement mauvais pour la fameuse démocratie que promeuvent ses fossoyeurs, qu'ils soient les dirigeants en place ou leaders des extrêmes.

Bien entendu, on peut toujours rêver et imaginer une diplomatie utopique. Mais ce n'est pas à l'ordre du jour, semble-t-il.

 

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