Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

EuroCrise : la BCE, elle fait quoi si c'est systémique ?

(Vous entendez parler très souvent depuis quelques temps de la BCE. Peut-être bien des "prêteurs en dernier recours" pour les Etats ? De la Troïka. De la crise bancaire, mais aussi financière, économique, de l'euro, whaouuuuu : ça fait beaucoup non ? Allez, pour bien débuter le mois d'août et en rajouter quelques couches, une petite balade vers la suite de la longue agonie de l'euro, et peut-être un peu plus. Mais tout ça dans la bonne humeur et la pédagagogie.

(Vous entendez parler très souvent depuis quelques temps de la BCE. Peut-être bien des "prêteurs en dernier recours" pour les Etats ? De la Troïka. De la crise bancaire, mais aussi financière, économique, de l'euro, whaouuuuu : ça fait beaucoup non ? Allez, pour bien débuter le mois d'août et en rajouter quelques couches, une petite balade vers la suite de la longue agonie de l'euro, et peut-être un peu plus. Mais tout ça dans la bonne humeur et la pédagagogie. Parce que tout arrive à se comprendre, même le plus improbable ou le plus absurde, comme vous allez le constater. Enfin espérons-le, parce que le terrain est un peu miné, il faut bien le dire)

Il y a eu de nombreux articles sur la "crise" chez Reflets depuis un an. Sur le HFT aussi (ou Trading Haute Fréquence in french). Même sur les dark pool, c'est vous dire. La guerre des monnaies, l'eurocrise, les récessions de divers pays, les politiques budgétaires… Un petit bilan s'impose, parce que toute cette affaire, terrible à bien des égards (pour les peuples), nous mène à des réflexions de grande ampleur. Des réflexions qui laissent présager des événements surprenants. Commençons par le plus simple (enfin si l'on peut dire…), la crise européenne et celle de sa monnaie, au delà des dettes souveraines. Même si l'on doit (encore)  parler de ces satanée dettes.

Les dettes des Etats créent-elles du chômage ?

A force de tout mélanger, les commentateurs mainstream ou les politiques en viennent à raconter souvent n'importe quoi. Comme par exemple dire en un savant raccourci : "nous sommes trop endettés, c'est la crise, le chômage augmente". Ah oui ? Et alors, où est le rapport entre tout ça ? C'est la crise parce qu'on est endettés, ou bien on est endettés parce qu'une crise nous endette ? Mais quelle crise alors ? Le chômage est dû à l'endettement ? A la crise ? Mais laquelle de crise (again) ? Celle de la dette !…Ah oui, on avait oublié. Scusez-nous. Mais alors celle de l'euro de crise ? Et celle  des produits financiers toxiques, les fameuses titrisations toutes pourries, hum ? Et la spéculation sur la dette ? Pourquoi un pays qui emprunte à 1% comme la France, voire, qui emprunte à des taux négatifs (si, si, c'est le cas en ce moment même) voit son chômage augmenter ? Bizarre cette affaire non ? La plus grosse économie du monde, celle des "States" a vu son chômage décroître (un peu) entre 2009 et aujourd'hui, et pourtant ils sont super endettés. Purée, on n'y comprend plus rien. A moins que l'on ne se penche sur des réalités basiques de l'économie mondialisée, capitaliste. Et là, on trouve des causes à effets plus claires mais…qui n'amènent pas aux même conclusions. La réalité N°1 (du monde capitaliste mondialisé) a bien retenir est que ce n'est parce qu'un Etat est très endetté qu'il est obligatoirement en crise économique et que son chômage augmente. La réalité N°2 qui va suivre l'explication sur le chômage est celle qui établit qu'emprunter pas cher ne garantit rien en cas de crise économique systémique. Et c'est là que la donne change…

Dans le chouette monde des bisounours de la finance…

dérégulée (si, si, pour ceux qui ont des doutes, allez réviser vos classiques sur les différentes étapes de dérégulations des marchés financiers qui ont été mises en place par l'union européenne instiguées par le FMI, aidé de l'OMC, et de divers pays de l'OCDE, dont la France socialiste de la fin des années 80), il n'y a aucun rapport entre la valeur d'une entreprise sur le marché et sa production réelle. Comme le pognon peut circuler sur la planète à la vitesse de la lumière, toutes ces choses qui normalement définissent la qualité d'une entreprise, comme sa productivité, sa capacité à innover, la qualité de ce qu'elle produit, même parfois son chiffre d'affaire, n'ont aucun intérêt réel.

Nous pouvons donc avoir, par exemple, une entreprise qui ne crée rien mais a un potentiel déclaré important, et qui par la même va finir par valoir une fortune : sa valeur en bourse (sa capitalisation) peut atteindre des milliards alors qu'en réalité elle est une coquille creuse. Ce sont les "marchés" qui l'ont décidé.

Le meilleur exemple est celui de la bulle internet de l'an 2000. Mais à l'inverse, une rumeur sur les marchés peut causer un effet de panique : une cotation boursière peut alors s'écrouler en quelques heures. C'est ainsi que des entreprises qui ne foutent à peu près rien peuvent devenir des poids lourds de la bourse, et d'autres, très efficaces, bien gérées, productives, s'écrouler. Ca marche même avec des Etats : pas chouette la vie ?

Si tu ne croîs plus, tu perds des emplois

Une fois que l'on sait ce genre de choses, il est intéressant de se pencher sur la problématique rabâchée des dettes souveraines : l'endettement d'un Etat n'est un problème que s'il est incapable d'avoir des recettes correctes face à ses dépenses. S'il sait qu'à termes, les entreprises sur son territoire vont vendre plus, les gens mieux gagner leur vie et acheter en conséquence, alors il sait qu'il peut facilement rembourser ses dettes. Il peut aussi dépenser tranquille. Et il emprunte peu cher, parce qu'on lui fait confiance. Il peut même baisser son endettement. Si par contre les marchés estiment que "ça va pas le faire", alors, ils rechignent à prêter, ou bien avec des gros intérêts : pas confiance. Mais pas tout le temps, les marchés sont capricieux. Tout ça influence-t-il la réalité du chômage ? Heuuuuu : oui, parfois, mais non pas entièrement, parce que le chômage n'est pas directement créé par un Etat mais beaucoup par les entreprises implantées sur le territoire de cet Etat. Et le taux d'emprunt d'un Etat ne joue pas directement sur le chômage. C'est plus compliqué. Enfin essayons quand même…

Donc, l'Etat peut s'endetter (comme depuis des dizaines d'années) et régler ses factures. Et rembourser sa dette aussi. Ses factures, c'est aussi des grands chantiers en cours, tout ce qui touche à la politique des territoires, etc… Et que se passe-t-il s'il a décidé de réduire cette dette en investissant moins ? Et bien des contrats sont perdus, des entreprises n'ont plus assez pour payer leurs employés, licencient, puisque l'Etat diminue ses dépenses. Bien entendu, de nombreuses entreprises licencient sans que les contrats avec l'Etat soit en cause : parce qu'elles veulent optimiser leurs profits, baisser leurs charges pour faire augmenter leur cotation en bourse, ou simplement anticiper des pertes. Ou bien parce qu'elles ont moins de commande. Parce que la conjoncture est mauvaise.

Ou qu'une crise systémique s'amorce et que l'argent s'échappe ?

Il y a par ailleurs un effet de vases communiquants entre entreprises et Etat : plus l'Etat s'endette, plus il a besoin de recettes, mais plus les entreprises sont performantes, embauchent, augmentent leurs chiffres d'affaires, plus l'Etat peut baisser sa dette. Et donc, il faut savoir qu'un Etat qui baisse ses dépenses pour diminuer sa dette alors que les entreprises ne sont pas performantes est un Etat qui accentue le chômage, empêche la croissance. Ce qui donne : moins de recettes, moins d'investissements, moins d'activité…donc moins de pognon. Sachant qu'un Etat peu endetté qui est pris dans une crise systémique voit son chômage exploser quand même : ses entreprises ne vendent plus assez et licencient ou arrêtent d'embaucher. Pour compenser, en général, l'Etat peu endetté, s'endette, pour compenser le manque de dynamisme de son économie. Amusant non ?

Le PIB…la croissance…

Pour parler du chômage et de sa courbe, les facteurs sont très nombreux. Il est par contre un facteur qui ne trompe pas, c'est celui de la croissance : il y a de plus en plus de monde sur le marché du travail chaque année (2,1 enfants par femmes en France), la population croît, il faut donc que plus de pognon soit généré chaque année. Donc une augmentation du PIB. Et quand il n'y a plus asse de pognon généré, (un PIB tout ramollo, voire une baisse, donc une récession) il y a moins d'emplois à créer, plus de monde qui en cherche. Voire, il en disparaît. Dans le cas d'une crise de confiance généralisée, d'une économie qui se grippe, la problématique n'est donc pas celle de l'endettement de l'Etat, mais bien celle de trouver des moyens de faire travailler plus les entreprises, pour que plus de gens aient du travail, consomment plus (globalement), payent plus d'impôts, que les recettes augmentent. Pas en désendettant, mais au contraire, en investissant. Si il n'y a qu'une grippe passagère, ça peut vraiment aider. Enfin de manière concertée dans le cadre de l'Europe. Pas seul dans son coin…

Et si, et si, c'était plus grave docteur ?

L'objectif de cet article n'est pas d'entrer dans la technique économique pure, mais de bien observer une chose qui est en train de survenir : l'économie est grippée. Très grippée. L'argent (en euros surtout) fuit (dans les paradis fiscaux, pour beaucoup). La spéculation sur les pays les plus fragiles (Italie, Grèce, Espagne, Portugal) fait rage, les poussant à stopper leurs dépenses puisqu'elles empruntent de plus en plus cher et que l'Union Européenne les force à revenir à une dette plus basse, en réalité un déficit plus bas, mais les deux sont reliés. La confiance (économique) est nulle. Et surtout : une crise systémique est peut-être en cours. Que personne ne veut annoncer. Et la crise systémique, on peut vous le certifier à Reflets, comme chez de nombreux spécialistes du domaine, c'est la hantise capitaliste par excellence.

Certains économistes viennent rassurer le péquin moyen dans les médias en lui expliquant que c'est avant tout un problème de prêteur en dernier ressort, et que si ça va si "bien" en Angleterre ou aux USA (d'un point de vue spéculatif, sur la dette, voire un peu sur le chômage), c'est parce leurs banques centrales sont là pour "assurer" les dettes en tant que prêteur en dernier ressort. "Que si la BCE faisait pareil, pouf, pouf, tout serait réglé". Et les entendre prédire que cela va survenir, malgré les Allemands qui y sont opposés, tout en prévoyant une résolution de la spéculation, et de facto, de la crise, grâce à cette merveilleuse assurance de la BCE. Ah oui ? Mais si la spéculation doit avoir plus de mal à s'effectuer avec une BCE qui joue à assurer les dettes, qu'en est-il du ralentissement économique mondial doublé de grosses, mais très grosses fuites de capitaux bancaires assises sur des bulles ou des produits toxiques ? Parce que même sans spéculation sur les dettes, il reste un gros gros problème : la machine est en train de s'arrêter. Et de nombreuses banques sont au bord de la faillite. Voire en faillite tout court si elle ne reçoivent pas des centaines de milliards d'euros des Etats surendettés de la zone euro.

Une crise économique systémique, c'est en gros, pour faire simple, un château de cartes qui s'écroule : les bases du fonctionnement général sont sapées, les prêteurs cherchent à récupérer un argent qui n'existe plus, les retraits massifs se généralisent : effet domino, écroulement du système financier, puis du tissu productif , là sont les réalités d'une telle crise. Comme le dit si bien Lordon "en l'espace de 5 jours, tout est joué : tu vas au guichet, il n'y a plus d'argent à retirer, c'est fini".

Heu, oui, mais on y est là ?

Et bien, on ne le sait pas encore, mais certains pensent qu'on y est presque. Des signes inquiétants proviennent de la Chine, dont l'économie ralentit fortement, par exemple. Les USA sont soupçonnés de débuter eux aussi un ralentissement qui ne va se révéler qu'à la rentrée mais risque d'être puissant, avec une remontée du chômage explosive. Les imports-exports fonctionnent nettement moins bien, c'est le moins qu'on puisse dire, et ce, un peu de partout. Le Japon commence à donner des signes de fatigue inquiétants. Aucun changement en vue au niveau d'une relance par des grands chantiers européens, ni l'encadrement des spéculateurs de tous poils ou de la fraude fiscale massive en cours en Europe vers des paradis fiscaux toujours bien actifs, pas encadrés, ni contrôlés. On parle d'une somme entre 21 000 et 32 000 milliards de dollars en 2010 dans les paradis fiscaux : soit plus que le PIB cumulé des USA et du Japon…

Une crise systémique, c'est un système économique qui a trouvé sa limite, a rentré trop d'éléments perturbateurs dans son organisme pour qu'il reste sain. Cela peut finir par dévorer tout l'organisme. Une sorte de cancer de l'économie. Alors, en dernier ressort, que peuvent-ils faire les puissants ? Oh, si peu de choses… Changer de système économique ? S'attaquer au cancer ? Oui, mais il faut faire une grosse guerre avant. Sinon, c'est pas possible. Puisque ceux qui bénéficient de façon extraordinaire de ce système, ne peuvent en imaginer un autre, et comme ils sont aux commandes, directement ou indirectement…vous comprenez bien que, bon…

Un prédicateur de l'économie, Nouriel Roubini, désormais très respecté puisqu'il avait prévu la crise de 2008 avant tout le monde (en 2007) donne de nombreuses informations sur la situation économique mondiale, le scandale du Libor, la crise de l'eurozone… (interview sur Bloomberg TV, le 7 juillet 2012).

Cette partie spéculative du début de l'interview concentre toutes les craintes :

"En 2013, la faculté des politiques de repousser les échéances va s’épuiser et le déraillement à faible vitesse va faire place à un déraillement à grande vitesse dans la zone Euro. Les USA semblent atteindre la vitesse de décrochage et la récession menace. L’atterrissage de la Chine risque d’être violent au lieu de se faire en douceur et les autres marchés émergents ralentissent aussi brutalement. Tous les BRICS, la Chine, la Russie, l’Inde le Brésil, le Mexique, la Turquie et de nombreux marchés émergents ralentissent à cause de la récession dans la zone Euro, sans parler de la Grande Bretagne et des USA qui refusent d’engager les réformes nécessaires. Et puis finalement, il y a la bombe à retardement d’une guerre possible des  USA et Israël contre l’Iran. Les négociations ont échoué. Les sanctions ont échoué. Obama ne veut pas d’une guerre avant les élections mais après, qu’Obama ou Romney soit élu, le risque est grand de voir les USA attaquer l’Iran, les prix doubler du jour au lendemain, donc c’est un ‘Perfect Storm’ qui se prépare. Vous pourriez bien avoir un effondrement de la zone Euro, un naufrage en deux temps des USA, un atterrissage violent de la Chine et d’autres marchés émergents. L’année prochaine pourrait être un Perfect Storm global… "

Alors, la fleur au fusil, le système capitaliste dérégulé et mondialisé ira certainement semer la pagaille un peu partout pour tenter de relancer sa machine grippée. Mais avant, on permettra à la BCE d'être prêteur en dernier ressort, hein : c'est promis…

Affaire à suivre, en tout cas. Par force…

 

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