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par Antoine Champagne - kitetoa

Zone euro : la semaine de tous les dangers ?

Ce n'est pas toujours aisé de jouer les marabouts lisant l'avenir. Ni confortable d'ailleurs. Tentons toutefois de nous projeter dans quelques jours, en utilisant le conditionnel, on n'est jamais trop prudents. Chypre sera-t-il l’étincelle, le déclencheur d'un monumental foutoir, créé par les décideurs de Bruxelles et du FMI ? La question mérite d'être posée.

Ce n'est pas toujours aisé de jouer les marabouts lisant l'avenir. Ni confortable d'ailleurs. Tentons toutefois de nous projeter dans quelques jours, en utilisant le conditionnel, on n'est jamais trop prudents. Chypre sera-t-il l’étincelle, le déclencheur d'un monumental foutoir, créé par les décideurs de Bruxelles et du FMI ? La question mérite d'être posée. Jusqu'ici, à chaque sommet de la dernière chance pour sauver l'euro (environ 25 depuis le début de la crise), les décideurs avaient opté pour un sauvetage des banques en utilisant les fonds publics. D'une manière ou d'une autre, le contribuable payait pour les erreurs des politiques et du système financier, par des hausses d'impôts, un credit crunch, du chômage en plus... Bref, le citoyen in fine était dans la mouise. Cette fois, avec Chypre, les décideurs ont choisi (on expliquera pourquoi plus bas) d'aller chercher l'argent directement dans la poche les comptes des déposants. Le résultat sera le même, et peut-être même pire. C'est l'objet de cet article...

En siphonnant les comptes bancaires des déposants (riches ou pauvres, peu importe), les décideurs ont tiré une balle en pleine tête du système qu'ils tentent de sauver depuis des années, envers et contre tout mais surtout, contre toute logique capitaliste. En sauvant les banques d'une faillite bien méritée, les décideurs créaient un secteur économique "à part". Hors du système capitaliste, hors de portée de sa main invisible. Une autre dimension. Ce secteur est un peu particulier. Contrairement à une idée reçue, sa matière première n'est pas l'argent, mais la confiance. Si vous n'avez pas confiance en votre banquier, vous ne lui confiez pas vos fonds.

C'est un peu pour cela que les coffres sont enfouis sous la terre, construits en acier et protégés par des mètres de béton armé. C'est pour cela que les systèmes d'information des banques sont si lourdement protégés.

Sans confiance, pas de business. Or en décidant que les fonds des déposants allaient partir en fumée avec les bilans troués des banques, les décideurs ont cassé la confiance. C'est beaucoup plus logique sur un plan philosophico-économique que d'utiliser de l'argent public, mais beaucoup plus dangereux.

Chypre est un peu un cas à part. Son économie repose quasiment exclusivement sur le secteur financier (faites clic-clic, ça vaut le coup). Brisez ce secteur et il n'y a quasiment plus de PIB dans le pays. En décidant de "saisir" l'argent des déposants, l'UE et le FMI ont brisé deux choses : la confiance des déposants (et pas qu'à Chypre...) et l'économie chypriote dans son ensemble.

Demain les banques ouvrent à nouveau leurs portes... Et celles de l'enfer ?

Demain, si tout va bien, les banques du pays rouvriront leurs portes. Que se passera-t-il ? Mystère. Soyons normand... Quasiment rien ou... L'enfer.

Depuis près de deux semaines, la population entend dire que ses économies vont s'évaporer "pouffff" par la faute de types vivant et travaillant à Bruxelles, autant dire à l'autre bout du monde, et à juste titre, elle panique. L'ouverture des portes des banques pourrait fort bien se traduire par un afflux massif des déposants voulant retirer tout leur argent. Dans le meilleur des cas cela concerne une infime partie de la population (et tout va presque bien), dans le pire des cas, c'est toute la population qui se rue aux guichets. Et là, franchement, tout va mal. Car le système bancaire chypriote serait alors dans une situation inextricable.

Les 10 milliards d'euros de l'UE et du FMI ne suffiraient plus. Quoi qu'il en soit, on imagine aisément qu'il n'y aura, à l'avenir, plus un seul oligarque russe pour aller déposer un kopeck dans une banque chypriote. Pchittt... Terminé. L'économie du pays est asséchée. La décision de Bruxelles a plongé le pays dans une crise abyssale : le chypriote moyen va souffrir terriblement.

Et l'onde de choc ira probablement assez loin : les mafieux et autres fraudeurs du fisc se poseront quelques questions aussi avant d'aller planquer les éconocroques au Luxembourg, à Malte ou dans les îlots entourant la Grande-Bretagne. D'autant que le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a expliqué au Financial Times que cette nouvelle approche était vouée à faire école. Jusqu'ici, l'idée n'était pas du tout de prendre l'argent déposé dans les paradis fiscaux pays accueillants, ouverts et généreux parce que cela ruine le business. D'ailleurs, jusqu'au mois de janvier 2013, le président de l'Eurogroupe était... Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois. C'est dire si la sauvegarde de la confiance dans les banques surtout celles qui sont discrètes, était une priorité de l'UE.

Demain, donc, les banques chypriotes rouvriront leurs portes et les masses s'entendront dire au guichet qu'un contrôle sur les flux de capitaux a été instauré :

pendant une semaine, les paiements et virements à l'étranger seront limités à 5 000 euros par mois, par personne et par banque et les voyageurs quittant l'île ne pourront pas porter sur eux plus de 3 000 euros en espèces. Les clients des banques chypriotes ne pourront pas encaisser leurs chèques en liquide, mais il leur sera possible de déposer ces sommes sur leurs comptes. Les retraits seront limités à 300 euros par jour.

En clair, les gens "normaux", ceux qui payent toujours à la fin, les 99%, les Chypriotes des couches les moins favorisées de la population ne récupèreront pas leurs économies, leurs perspectives sont inexistantes, l'économie du pays étant détruite. Bref, tous les ingrédients sont là pour mettre le feu aux poudres.

D'autant que des retraits plutôt massifs par de gros déposants, en dépit de la fermeture des banques, ont bien eu lieu. "Une commission de surveillance du Parlement a demandé mercredi à la Banque centrale de Chypre de lui fournir la liste des personnes ayant transféré des fonds hors de l'île avant l'annonce du plan de sauvetage européen prévoyant une ponction sur les comptes bancaires", relaye ce soir Le Monde.

Que feront les Chypriotes lorsque cette liste sera rendue publique ainsi que les montants retirés auprès de filiales en Grande Bretagne et en Russie, soumises elles, non pas à l'autorité de la Banque centrale de Chypre mais à celle des Banques centrales locales ? Ils vont peut être descendre dans la rue et demander des comptes à leurs banquiers et autres politiciens.

Oui, bon... Mais Chypre, c'est loin, hein...

Chypre coule ? C'est un peu comme la Grèce, c'est loin. Paulo, en marge de la conférence de la rédaction de Reflets, au Bar des Amis ce matin, nous disait justement  que tout ça, ça ne le concernait pas et que l'on n'était pas près de voir un truc pareil en France.

Oui. Mais non.

Si l'UE et le FMI ont décidé de changer de méthode et de prendre l'énorme risque que casser la confiance des déposants, c'est que vraiment, les pays européens sont à court de moyens.

Premier point, le cas chypriote n'est pas tombé du ciel du jour au lendemain. Tout le monde savait que Chypre était le prochain domino. Nous tablions depuis des mois sur le début de l'été, ce fut en mars. L'Europe a donc eu tout le temps de préparer son nouveau sommet de la dernière chance. Nous allons même vous démontrer, si vous pouvez attendre une petite semaine jusqu'où les délires des autorités de tutelles sont allées pour masquer la réalité du secteur bancaire de Chypre.

C'est donc un choix assumé et préparé pour Chypre qui déboule dans nos étranges lucarnes. Impossible d'imaginer que les décideurs européens soient assez à la ramasse pour ne pas avoir vu le problème arriver et s'y préparer...

L'annonce par le président de l'Eurogroupe que cette méthode pourrait devenir la norme a déjà commencé à faire son effet. Les marchés partent en vrille. Les taux de la dette des pays en difficulté remontent (la Slovénie approche du seuil fatidique des 7%, l'Espagne est repassé au dessus des 5%), les CDS s'envolent. L'Italie revient dans la danse... Bref, tout commence a aller franchement mal à nouveau. Quelques gros fonds d'investissements pourraient bien se délester de titres européens dans les semaines à venir. Par pure prudence, sans arrière-pensée aucune.

Par ailleurs, on n'entend étrangement plus le si médiatique et si encensé Mario Draghi. Les media ont la mémoire courte, eux qui saluaient par des applaudissements ses déclarations sur le rachat illimité de dette publique. Rachats illimités dont personne n'a jamais vu la couleur... Ses déclarations selon lesquelles il ferait "tout et n'importe quoi pour sauver l'euro" prennent un relief amusant ces jours-ci.

Paulo nous disait ce matin que de toutes façons, il y a le Fonds de secours européen (MES). Oui, mais mon bon Paulo, lui a répondu en coeur la rédaction de Reflets, tu sais qui finance le MES ?

L'Espagne est censée contribuer à hauteur de 11.9037 %

L'Italie, à hauteur de 17.9137 %

Le Portugal à hauteur de 2.5092 %

La Grèce à hauteur de 2.8167 %

L'Irlande à hauteur de 1.5922 %

Chypre, à hauteur de 0.1962 %

Le total de la contribution des pays les plus malades de l'Europe atteint donc à peu près 37,2%... En d'autres termes, le fonds censé sauver l'euro est abondé à auteur de 37,2% par ceux qui doivent être sauvés pour préserver l'ensemble. Si ce n'est pas prendre les gens pour des imbéciles, cela y ressemble furieusement.

Mais la situation réelle, pas celle qui figure en bonne place dans la presse relayant le storytelling des dirigeants est encore plus noire. Les banques européennes on un niveau de leverage près de 26 pour un. Lehman Brothers était à 30 pour un au moment de sa chute.

Les pays de l'UE sont tous à court de cash puisque l'économie tourne au ralenti et qu'ils ont accumulé des déficits tels, que même François Fillon avait parlé de pays en faillite pour la France.

La BCE a dans ses comptes, en collatéral, des tonnes de papier qui ne vaut plus rien. Bien entendu, la BCE, pour sauver tout le monde, pourrait imprimer autant d'euros que nécessaire, mais avec  avec les répercussions que l'on imagine facilement. D'autant qu'il faudrait énormément d'euros...

Le mur de la réalité n'a jamais été aussi proche et c'est un petit pays comme Chypre, dont tous les dirigeants européens, y compris Pierre Moscovici, parlent avec une étonnante condescendance, qui vient de le rapprocher à la vitesse de la lumière. Les prochaines semaines pourraient s'avérer très perturbantes pour l'euro et l'Europe.

Pop-corn, canapé...

 

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