Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
Édito
par Yovan Menkevick

Web-social : Indignez-vous ! Ca ne gêne personne…

(Et ça ne fait absolument rien avancer, voire, au contraire, ça sert l'oligarchie au pouvoir. Humeur grincheuse à propos de l'indignation web 2.0 des réseaux sociaux.) Ceux qu'on appelle les rebelles en carton plâtre sont légions. Particulièrement depuis l'essor des deux grands réseaux sociaux, Twitter et Facebook (choisis ton camp camarade). Ils luttent, les bougres. Pour plein de causes, contre plein d'injustices. Jamais sur le terrain, toujours devant leur écran.

(Et ça ne fait absolument rien avancer, voire, au contraire, ça sert l'oligarchie au pouvoir. Humeur grincheuse à propos de l'indignation web 2.0 des réseaux sociaux.)

Ceux qu'on appelle les rebelles en carton plâtre sont légions. Particulièrement depuis l'essor des deux grands réseaux sociaux, Twitter et Facebook (choisis ton camp camarade). Ils luttent, les bougres. Pour plein de causes, contre plein d'injustices. Jamais sur le terrain, toujours devant leur écran. Leurs petits doigts pianotent dur, et ils y croient. Comme si leurs indignations, leurs dénonciations, et autres énervements en ligne allait changer quoi que ce soit.

Ils signent des pétitions Avaaz : l'ONG américaine (pas vraiment claire niveau financement) qui s'indigne de la disparition des requins comme du sort des femmes du Burundi, de la fonte des pôles en passant par la politique d'austérité européenne. Parce que tout est bon dans l'indignation, comme dans le cochon. Avec un gros problème de fond : à force de s'indigner pour tout et n'importe quoi et uniquement sur un réseau informatique mondial, les luttes concrètes sur le terrain sont désertées.

Des petites choses comme le respect du code du travail, la disparition des retraites, la politique néo-libérale tendance stalinienne qui écrase tout sur son passage et paupérise une bonne partie des citoyens européens, par exemple. Les mêmes qui s'indignent devant leurs écrans sont absents d'un petit paquet de niveaux de contestations, opposition concrète au système en place : syndicats, manifestations de rue, associations militantes, collectifs ou créations concrètes (individuelles ou non).

 Le journalisme, les luttes de terrain et ton PC

Il ne faudrait pas tout mélanger au royaume de l'internaute-roi tout-puissant : si utiliser un ordinateur en ligne offre de nombreuses possibilités, ce n'est pas pour autant le gage d'une qualité créative universelle : la médiocrité du monde analogique se répercute sur le réseau, parce que les êtres humains du réseau sont ceux…du monde analogique. Un con est un con. Il reste donc un con sur Internet. Un valet du cycle systémique consommation-production-éjection/remplacement-consommation-production reste un valet de ce cycle sur Internet. La seule différence entre le monde analogique et le numérique en ligne est que, dans le monde numérique en ligne, le con n'a peur de rien. Parce qu'il ne peut pas se prendre des pains dans la tronche quand il dégueule son mépris à la face d'autrui et qu'il a l'impression de pouvoir tout savoir, tout comprendre, tout maîtriser, de pouvoir tout dire. Avec un effet de masse qui emporte ce sentiment de toute puissance. Celui fabriqué par les réseaux sociaux, qui n'ont de sociaux que le nom : avoir 3000 followers ou 10 000 like, ça développe un peu l'ego quand même. Surtout celui du con.

Il reste les journalistes, censés informer, analyser l'actualité présente ou passée, décrypter les évènements, et pour le coup, dénoncer les abus, errements, contradictions des divers pouvoirs en place. Ou de la société qui les entoure. En incluant même leur propre profession ou leur propre fonctionnement. Les journalistes ? Mais tout le monde est journaliste aujourd'hui sur Twitter ou Facebook : les internautes savent, diffusent, partagent, critiquent, invitent, incitent, pompent, traitent, déchiffrent, commentent. Une grande partie d'entre eux méprisent la profession de journaliste (profession qui contient son pourcentage de cons-valets, comme dans le reste de la population), à raison par certains aspects, mais avec aussi une mauvaise foi et une arrogance assez stupéfiantes. Il existe en France un certain nombre de journalistes qui font encore le boulot (ou tente de le faire), des titres ou média qui ne servent pas la soupe : Mediapart, Arrêt sur image, Le Canard enchaîné, Le monde Dipomatique, Reflets.info, ne sont pas des media qui nivellent par le bas. Ils sont indépendants aussi. On peut ne pas apprécier ce qu'ils produisent, mais on ne peut pas accuser ces media de ne pas faire leur travail. Qu'en est-il de celui derrière son PC ? Fait-il vraiment son travail, cet internaute qui, souvent, conchie à peu près tout et tout le monde ?

Tout le monde fait la même chose : c'est trop cool…

A force de faire dans la facilité, avec un clavier, sans prendre, la majorité du temps , de risques particuliers, (sachant qu'on peut pendre des risques avec un clavier, mais ça demande d'avoir un peu de tripes et souvent un peu de talent, ce qui n'est pas le cas de grand monde sur le web-social 2.0), en ne faisant qu'hurler sa croyance, son agacement, ses convictions, sa suffisance, l'internaute 2.0 web-socialisé fabrique une grande mayonnaise insipide dans laquelle se noie toute possibilité d'incarner un semblant de cohésion pour une contestation sociale de grande ampleur. A moins que cette contestation n'ait pas lieu d'être, que tout ne soit pas aussi grave que ce que chacun semble renvoyer ?

Il y a des espaces à créer, des actions à mener, des idées à promouvoir, des analyses à effectuer, et chacun ne peut pas faire la même et unique chose : c'est-à-dire s'indigner, partager de l'information, critiquer, commenter. L'énergie dépensée dans cette unique voie n'est pas utilisée à autre chose, et l'on peut sincèrement s'en désoler. Heureusement, ce n'est pas le cas de tous, et des initiatives voient le jour, autant basées sur des collaborations via le réseau (pas particulièrement avec le protocole HTTP, d'ailleurs) que physiques : le réseau n'étant qu'un outil de communication pour mieux travailler sur des projets physiques. Notre Dame des Landes, en termes de lutte concrète est certainement un premier signe : particulièrement si l'action dépasse la seule volonté de défendre le lieu, ce qui est déjà énorme, et passe à l'étape supérieure d'une création collective, comme les militants du Larzac ont su le faire en leur temps.

Puisque aujourd'hui, les grands enjeux ne sont pas dans la dénonciation, qui est au plus haut et trouvera toujours suffisamment de relais, mais dans l'action. Le traitement de l'information, sans concessions, oui, en toute indépendance, avec des journalistes et blogueurs qui s'y attellent (et se font dégueuler dessus par une part non négligeable d'internautes tout-puissants qui eux ne prennent pas le risque de venir soumettre leurs écrits à la plèbe), mais il y a plein d'autres choses à faire pour les autres : la biodiversité attend que des internautes sèment des variétés de plantes (chez eux, ou dans des lieux publics), plantent quelques arbres, installent quelques ruches. Le partage d'énergie attend que des smart-grid soient mis en place par des groupes d'internautes : des systèmes d'énergies alternatives autonomes, individuels ou collectifs et décentralisés. La souffrance sociale attend que des internautes fassent la grève, revendiquent dans la rue, exigent devant les institutions des changements pour du "mieux social", créent des collectifs solidaires, des fonds de soutien, de nouveaux syndicats, organisent des débats publics, montent des pièces de théâtre, des concerts…

Consommer de l'indignation comme on consomme un BigMac

Partager son mécontentement sur FaceBook est l'équivalent de défendre les petits paysans bio en allant bouffer au Mac Do tous les jours. Les mouvements des Indignés espagnols, celui des Occupy, ont tous montré leur limite via les réseaux sociaux : au bout d'un moment, le trop plein d'information et d'indignation, de revendications, tue l'information, et plus personne n'en a rien à faire. Les seuls moments de grâce où les choses ont bougé étaient les moments où des dizaines de milliers de personnes occupaient les places des villes. Mais sans projet autre que le principe des 99% qui veulent un peu de la part du gâteau que bouffent les 1%, les choses n'étaient pas prêtes de se modifier, la lutte d'aboutir.

Retweeter, partager, ne sont pas des activités militantes. Le temps passé à scruter son écran pour y chercher l'état du monde et le renvoyer aux autres devient, à terme, un temps mort. Une sorte de paralysie collective qui amuse beaucoup les élites dirigeantes, particulièrement les oligarques qui fournissent les accès au réseau ou la plupart des services en ligne les plus utilisés. Plus la population s'indigne sur Internet, moins elle a de chances d'aller s'énerver dans la rue. Plus elle passe de temps à se bouffer la gueule par claviers interposés ou se faire croire qu'elle participe à la "grande révolution du numérique" sur les web app, plus elle déserte la place publique et le champ des rapports de force politiques et sociaux réels. Ces rapports de force réels qui ont une chance de faire bouger les lignes et qui inquiètent les oligarques.

On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs.

On ne change pas sa société sans sortir dehors.

On n'obtient pas la liberté sans prendre de risques et sans efforts.

Ce serait bien de se le rappeler.

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