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par drapher

Vouloir gérer l'Etat comme une entreprise : quelles conséquences ?

  Le management politique du nouveau chef de l'État français ne fait plus aucun doute, et les réformes par ordonnances qu'il fait passer via son subalterne en chef Premier ministre éclairent ce rôle de PDG de la France que Macron a décidé d'endosser. Mieux comprendre la stratégie managériale du "boss" n'est pas inutile mais comprendre les effets que cette nouvelle gouvernance va avoir sur la société est une nécessité.

 

Le management politique du nouveau chef de l'État français ne fait plus aucun doute, et les réformes par ordonnances qu'il fait passer via son subalterne en chef Premier ministre éclairent ce rôle de PDG de la France que Macron a décidé d'endosser. Mieux comprendre la stratégie managériale du "boss" n'est pas inutilemais comprendre les effets que cette nouvelle gouvernance va avoir sur la société est une nécessité. Un pays n'est pas une entreprise, mais si l'on décide de le gérer comme s'il en était une, il faut s'attendre à de fortes distorsions. Voire à des catastrophes. Analyse des conséquences de l'application du concept de "startup nation".

Au début, était Trump

Le premier à déclarer vouloir gérer la nation dont il devient président "comme si c'était une entreprise", est Donald Trump. Le président orange en a même fait une sorte de leitmotiv de sa gouvernance : "Je vais gérer les États-Unis d'Amérique comme mes entreprises", disait-il peu de temps après son élection.

Cette vision du chef d'entreprise qui fait fructifier ses investissements et accroît le chiffre d'affaire de son "empire financier" constitué d'une multitude de sociétés — souvent réunies en holding — est amusante, à plusieurs titres. D'une part elle est parfaitement artificielle, puisque les entreprises de l'empire Trump ne réussissent pas toutes à surmonter les difficultés économiques qu'elles peuvent rencontrer, et d'autre part, elle ne correspond à rien de concret. Un chef d'entreprise à la tête d'un empire immobilier tel celui de Trump ne sait à peu près rien de ce qu'il se passe dans chacune des structures, et surtout il ne peut prendre de décision pour l'ensemble à partir d'une seule d'entre elles. Sachant que pour préserver la bonne santé d'une activité, ou l'ensemble des structures, il peut à tout moment sacrifier n'importe laquelle d'entre elles. Réfléchir en termes stratégiques de cette manière à l'échelle d'un pays est donc tout sauf neutre.

La performance économique est le critère principal actuel d'évaluation de la qualité d'une entreprise de grande taille. Ce qui compte est donc l'augmentation de son chiffre d'affaires et en parallèle, la réduction de ses dépenses. Des profits qu'elle peut dégager. Des dividendes qu'elle peut offrir à ses actionnaires. Ces quelques critères désormais connus et acceptés comme étant devenus la règle d'or de la bonne marche des "affaires" ont mené à des choix tout à fait catastrophiques en termes sociaux-professionnels depuis une vingtaine d'années : délocalisations, "plans sociaux", gels des salaires, exploitations des mains d'œuvre les plus faibles, abaissement des protections sociales et environnementales, dégâts écologiques sans précédents, renforcements de la répression politique et des États autoritaires, etc. La logique de la performance économique basée sur l'augmentation permanente des profits a démontré qu'il n'était pas possible de faire de l'entreprise — et par ricochet du monde — "a better place". C'est même tout l'inverse. La réalité socio-économique, écologique, politique engendrée par les quinze dernières années de dérégulation financière et commerciale mondiale nous le démontre.

Vouloir gérer les finances d'un pays à la manière de celles d'un grande entreprise est l'option prise par Trump, mais aussi par Macron. Pour le premier, en l'espace de moins d'un an, les décisions allant dans le sens de la nation-multinationale ont eu des effets tout à fait visibles et concrets. Pour les citoyens-employés de Donald Trump mais aussi pour les cadres et pour les actionnaires-investisseurs de la multinationale États-Unis d'Amérique. Les handicapés venus manifester dans les locaux d'un hôpital de "l'entreprise de soins américaine" qui ne peuvent plus se faire soigner une fois le Medicaid supprimé, doivent avoir une idée assez précise de ce que signifie avoir un chef d'entreprise à la place d'un président.

Les Américains avaient eu un avant-goût de ce que signifie vivre dans une grande entreprise, et non dans un État garantissant un minimum de services publics. Ils commencent à découvrir ce que signifie vivre uniquement au sein d'une entreprise-nation. Ainsi, les exploitations d'hydrocarbures polluants, interdits dans des zones naturelles protégées, débutent avec leur concert de destruction de l'environnement, de catastrophes écologiques déjà programmées, d'habitants contaminés et voués à être sacrifiés au bénéfice de la grande entreprise du président-PDG Trump. Le règne de Trump ne fait que débuter, et malgré des résistances fédérales, judiciaires, les conséquences de la mise à disposition de ses "compétences" de chef d'entreprise au "service" de la nation sont déjà visibles. Et évaluables en termes sociaux et donc humains.

Macron : un manager de chez Rothschild

Emmanuel Macron est jeune et n'a pas une carrière professionnelle très longue : quatre ans inspecteur des finances, puis quatre ans chez Rothschild & Cie (deux ans banquier d'affaires et deux ans comme partenaire associé). Ce "job" est directement lié à la vision du chef de l'Etat-Jupiter français, comme cet extrait d'un article de l'Obs le souligne :

"Le jeune homme va conseiller de grandes entreprises dans leurs opérations de fusions-acquisitions. Il lui faut maîtriser des connaissances – juridiques, comptables, financières et fiscales – qu’il n’a pas forcément. Mais il apprend."

Très rapidement, une fois élu, le "patron de la France" confirme cette vocation à faire fonctionner le pays comme s'il était une "jeune pousse" : une entreprise pleine de potentiel qu'il faut faire croître. Ce qu'il appelle la "startup nation". Le concept est simple, comme avec les startups : vendre du rêve, de la nouveauté, attirer des investisseurs, payer le moins  possible ceux qui participent au "projet" et vendre à des acheteurs privés le plus vite possible au prix le plus haut. En cinq ans dans son cas, le temps de son mandat.

Sorti des méthodes et comportements du manager en chef, les conséquences d'une gestion entrepreneuriale de la France peuvent s'analyser sur plusieurs niveaux. Le premier est celui de la performance financière : faire rendre du jus à la boite, en tirer plus de bénéfices, en abaissant les coûts de production. On regarde combien les salariés coûtent et on calcule combien on pourrait en supprimer tout en conservant le même rendement : en premier, diminution des fonctionnaires. Puis, il faut observer ce qui coûte et qui n'est pas directement lié à la production : si les bureaux sont trop grands, on les coupe en deux, si les malades restent hospitalisés trop longtemps après une opération, on les fout dehors en pratiquant les soins ambulatoires. Pareil pour tous les services publics, avec des semi-privatisations et privatisations à la clé pour dégorger l'ensemble. Il faut nettoyer les services, racler partout où c'est possible.

Le choix du "au service de qui" est fait

L'idée de gestion "entrepreunariale" d'un pays mène obligatoirement à la question des bénéfices et de la tenue des objectifs. Pour l'entreprise France, les priorités, dans ce cadre, sont les suivantes : abaisser les dépenses pour accentuer la confiance des prêteurs (les marchés obligataires), démontrer que tout ce qui peut entraver la bonne marche des détenteurs du capital — investisseurs actifs ou potentiels — est mis au pas : licencier doit pouvoir se faire sans risques, racheter des activités, des secteurs, des infrastructures , des entreprises semi-publiques doit s'appuyer sur des garanties d'État. embaucher doit être possible au moindre coût et largement subventionné par les futurs ou ex employés : les contribuables et leurs impôts et taxes qui doivent revenir dans les caisses des investisseurs par des aides diverses et variées.

Cette réforme globale menant de la nation France à l'entreprise France, qui a débuté par les ordonnances pour la réforme du code du travail, la mise en place de la flat-tax et la fin de l'impôt de solidarité sur la fortune, est un choix politique. Celui d'être au service des actionnaires, dans le cadre de cette nouvelle vision de l'État-entreprise. Mais qui sont les actionnaires dans une nation-multinationale ? Les détenteurs du capital et des outils de production : grandes fortunes, banques, assurances, dirigeants de multinationales, détenteurs de portefeuilles d'actions et d'obligations d'État, grands propriétaires terriens, immobiliers : les 1 % les plus riches. Ceux qui n'ont pas besoin de la protection sociale de l'État, ni des services publics, et encore moins de dépenser de leur fortune pour les 67 millions de subalternes. C'est même l'inverse : l'objectif des "actionnaires de la France" est de tirer le maximum de bénéfices du travail des subalternes, par leur travail, leurs impôts et leur apathie consumériste tout en leur retirant le maximum de biens collectifs et publics. Pour qu'ils puissent à termes les monétiser une fois qu'ils auront été rachetés et seront donc commercialisés par leurs soins. Les assureurs militent par exemple depuis près de vingt-cinq ans pour une privatisation de la protection sociale.

Ainsi, l'entreprise France aura fait payer à ses contribuables des réseaux de télécommunications, routiers, autoroutiers, du traitement et du transport de l'eau, des hôpitaux, écoles, collèges, lycées, que les salariés devront racheter une nouvelle fois, aux actionnaires privés. Bien plus cher. Et sans possibilité, cette fois-ci, de négocier. Quand un pays devient une entreprise, il n'y a plus de bien collectif.

Seulement des biens privés.

Bienvenue dans la startup nation.

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