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Édito
par Yovan Menkevick

Todd, la clique des énarques, et la fin du suffrage universel

Si en 2008, dans "Après la démocratie", Emmanuel Todd envisageait plusieurs scénarios à la crise, l'un de ceux-ci est tout à fait au goût du jour. Il faut dire que Moi-président-pépère-l'énarque et sa clique de premiers de la classe, sont des candidats tout à fait crédibles à un enterrement de ce qu'on appelle encore la "démocratie élective". "Circulez braves gens, y'a rien à voir" : c'est ainsi que l'on pourrait résumer les 10 mois de présidence Hollande.

Si en 2008, dans "Après la démocratie", Emmanuel Todd envisageait plusieurs scénarios à la crise, l'un de ceux-ci est tout à fait au goût du jour. Il faut dire que Moi-président-pépère-l'énarque et sa clique de premiers de la classe, sont des candidats tout à fait crédibles à un enterrement de ce qu'on appelle encore la "démocratie élective".

"Circulez braves gens, y'a rien à voir" : c'est ainsi que l'on pourrait résumer les 10 mois de présidence Hollande. Une guerre africaine déclenchée sans aucune consultation avec quiconque, des rapport de commissions obscures à effectuer par des copains politiques ou oligarques de longue date (rénovation et démonologie de la vie publique avec Jospin,  Pacte pour la compétitivité de l’industrie française de Gallois), des débats pipots pour occuper les foules (mariage pour tous durant plus de 3 mois), des déclarations creuses suivies de réformes qui font pschit : toute la gestion socialiste est résumée dans cette première année d'exercice du pouvoir qui s'achève bientôt.  N'oublions pas les cadeaux aux fonctionnaires, parce que la majorité de l'électorat socialiste travaille dans la fonction publique, suivis d'accords avec les partenaires sociaux qui explosent le droit du travail, avec la bénédiction du Medef, ému aux larmes de voir la "gauche" aller dans le sens des réformes que la droite libérale n'a jamais osé effectuer. C'est beau…et troublant à la fois.

L'art et la manière

Ce qui défrise une grande partie de la population, et qui risque de mener à une hargne politique grandissante est inscrit dans l'art et la manière d'enterrer le peu de démocratie qui reste dans le pays aux 450 fromages par l'équipe socialiste au pouvoir. Cette équipe de sociaux-libéraux français, en réalité. Parce qu'ils ne sont pas plus socialistes que Chavez n'était capitaliste, nos socialistes français. Sauf que lorsqu'on arrive à un degré tel d'hypocrisie, de mensonge et de déni des réalités politiques, il faut s'attendre à un retour de manivelle des plus sévères. Ou pas. Résumons l'affaire avant de parler d'Emmanuel Todd qui a, en 2008, a très bien envisagé ce qu'il nous arrive aujourd'hui et qui pourrait nous mener à des extrémités des plus inquiétantes.

Gérer la société en 2013 avec la mentalité de 1990

Les sociaux libéraux tiennent absolument toute la gestion du pays : l'Assemblée nationale, le Sénat, les régions, jusqu'à une majorité de municipalités. Tout est rose. Le problème de la vie en rose, c'est qu'elle est articulée par une technique politique et économique univoque et dépourvue d'imagination. C'est une politique administrative orientée libre-échangiste, tendance dérégulationniste et gestion des taxes et impôts à vocation de saupoudrage. On jongle avec les chiffres chez Pépère, comme tout bon élève de l'Ecole Administrative Nationale a appris à le faire : un peu de moins de ça là, un peu plus de ci ici, tout en lâchant la bride aux champions nationaux globalisés, les ogres mondiaux de l'eau, du luxe, de l'aviation et des armes de guerre, de la surveillance numérique, du nucléaire, etc… Un affaire de curseur comme le dit le maire socialiste de Lyon.

Cette mentalité politique étriquée, qui s'est développée après la chute du mur de Berlin, a pu faire illusion quelques années : à l'époque, la mondialisation libérale, que l'on doit appeler en réalité globalisation économique dérégulée, n'avait pas encore pu démontrer son potentiel de nuisances en tous genre. La politique sociale de saupoudrage des socialiste pouvait alors encore calmer les esprits et laisser croire qu'on pouvait tenir un chemin intermédiaire : entre libre-échange orienté dérégulation du commerce (et des flux financiers) et Etat providence. Mais arrivé en 2013, ces recettes sont à peu près aussi pertinentes que celle des pieds de porc offerte à un représentant d'un pays musulman pour sceller une amitié entre nations.

Pas de projet, confus, corrompus et carriéristes

Ces quelques caractéristiques pourraient bien définir l'élite politique qui a réussi, une nouvelle fois, à faire croire à la population que voter était un sacré truc qui pouvait "changer la vie". La problématique du manque de projet est ancienne, et les socialistes sont particulièrement paumés à ce niveau là : entre le "care" d'Aubry, "l'ordre juste" de Royale et le "changement maintenant" de moi-président, la capacité du parti socialiste à organiser sa pensée et son projet politique est proche du zéro absolu. Surtout depuis le référendum sur la constitution européenne avec un "oui" plebiscité par la majorité des militants et des dirigeants. Pour ensuite aller voter à l'Assemblée avec l'UMP le nouveau traité de Lisbonne de 2008, copie conforme de celui de 2005, traité qui enterre l'Europe sociale et pourtant refusé à 54% par la population française à l'époque.

Le déni de démocratie, chez les socialistes, c'est surtout une arme pour attaquer l'UMP, mais quant à la faire vivre cette démocratie, c'est une autre affaire. Ils sont confus ces socialistes, c'est un fait. Corrompus aussi, puisque l'on connaît les anciens repris de justice ou mêlés à de sombres histoires de conflits d'intérêts, de gestions malhonnêtes… Pas tous, bien entendu, comme de l'autre côté, mais pas mieux. Avec une incapacité à se débarrasser des brebis galeuses, incapacité typiquement française. Rien ne change sous le soleil. Il suffit de voir comment ils votent à l'Assemblée en fonction de leurs intérêts, au gré du vent (et des lobbies) pour bien comprendre qu'ils sont la réplique exacte de la mafia UMP. Seule la couleur change. Mais les postes dans la haute administration sont toujours distribués aux petits copains : rien ne change, on vous dit.

Todd et la démocratie de la manipulation de l'opinion

Il y a de nombreux éléments d'analyse dans l'ouvrage de Todd, "Après la démocratie" (Gallimard, 2008) : historiques, démographiques, sociaux, religieux, politiques, sociologiques, etc. Il est impossible de retraduire en un article cette démarche passionnante, d'où une incitation à lire l'ouvrage.  Mais sur l'aspect politique et la transformation qui s'opère depuis quelques années, la vision de Todd mérite d'être prise en compte, discutée et observée à la lumière de 2013 :

(…)Jusqu'à l'élection de Nicolas Sarkozy, le système a pu naviguer au jugé, en laissant coexister les contradictions. L'équation à résoudre était simple : comment éviter que les consultations électorales ne fassent apparaître ce qui préoccupe vraiment les citoyens, la gestion économique, et que soit remis en question le libre-échange ? Facteurs spontanés ou escroqueries calculées suffisaient à neutraliser le suffrage universel : auto-éviction des plus défavorisés par la montée de l'abstention ou par le votre Front national, baratin chiraquien sur la "fracture sociale", promesses socialistes de défendre l'Etat social, campagnes à grand spectacle organisant des conflits titanesques entre personnalités dérisoires.(…)

C'est entre autres dans ce chapitre intitulé "la phase populiste du système oligarchique" qu'Emmanuel Todd déroule sa vision clinique du système politique français et arrive à quelques conclusions qu'ici, à Reflets, nous soumettons aussi à la sagacité des lecteurs depuis 2 ans. Celle de la démocratie d'opinion, ou plutôt de la manipulation de l'opinion. Et cette analyse est cinglante chez Todd :

(…)Les politiciens doivent faire preuve d'un degré exceptionnel d'attention : l'électeur reste, comme dans une démocratie normale, leur souci constant, mais pour être manipulé plutôt que servi. Contrôler les médias audiovisuels, séduire les journalistes, analyser inlassablement les sondages : la démocratie non pas d'opinion comme on la qualifie parfois, mais de manipulation de l'opinion, définit un métier, avec ses virtuoses et ses tâcherons. Devenir chef de l'exécutif, en démocratie de manipulation implique que le candidat se concentre sur les moyens d'obtenir le pouvoir au détriment des fins, c'est-à-dire du programme et de l'action(…).

On ne pourrait mieux dire…

Trois scénarios, et l'un deux qui nous pend au nez

Emmanuel Todd offre trois possibilités de modification de la société et de son système politique. A l'époque, en 2008, aucun gouvernement européen ne s'était vu priver d'élections par des technocrates, comme en Italie et en Grèce avec les anciens de Goldman Sachs mis aux manettes pour appliquer les recettes de la troïka. Le premier scénario (que ne retient pas Todd) est celui de la République ethnique. Blanche, postchrétienne, islamophobe, c'est en fait le modèle proposé par Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2012. Ce scénario (avec le massacre de Merah entre les deux tours optimisant cette orientation) aurait pu voir le jour si Sauron avait remporté l'élection. Ce ne fut pas le cas, le scénario ne semble effectivement pas crédible.

Le deuxième, que Todd semble plébisciter est celui de la fin du suffrage universel.

(…)La mécanique de neutralisation du suffrage universel se détraque. Du point de vue des hommes politiques, qui ont de plus en plus de mal à se faire élire pour ensuite ne pas gouverner, une solution possible serait que cesse la comédie. Le refus d'obéir au peuple pourrait être officialisé par une suppression du suffrage universel, par l'instauration d'un régime franchement autoritaire (…)La montée invraisemblable de conflits de classes immatures, c'est-à-dire sans programme, ne pourrait qu'engendrer un climat de violence et de peur, dont le seul effet politique serait une autonomisation de l'Etat sur fond d'anarchie. (…)ce serait cependant une grave erreur d'analyse que de situer à droite de l'échiquier politique l'aspiration  la plus violente au dépassement de la démocratie (…) Une logique alarmante menace le Parti socialiste s'il persiste  dans son attachement à ce libre-échange qui attise les réactions xénophobes de la population : qu'il finisse par conclure que le peuple est par nature mauvais et qu'il faut lui retirer le droit de suffrage, ou du moins en limiter sérieusement l'exercice. (…) plutôt que de démissionner, les dirigeants socialistes humiliés préféreront peut-être un jour démettre ce peuple incapable de les comprendre.(…)

Le troisième scénario, positif selon Todd, est celui du protectionnisme, mais il semble peu y croire, tellement l'incapacité des grands partis à ce niveau là est patente. A l'heure des lois Hollande par ordonnance, où l'agacement du prince transpire très fortement, que les décisions de plus en plus unilatérales de moi-président surviennent, le scénario d'un suffrage universel supprimé ou fortement limité par la bande d'énarques socialistes arrogants au pouvoir peut se révéler tout à fait valide.

Sachant qu'en arrière plan, il y en a une qui attend son heure et reste très discrète. Elle servira certainement de prétexte à ce que Todd appelle "démettre le peuple". Nous ne sommes pas au bout du tunnel. Loin de là.

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