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par Antoine Champagne - kitetoa

Richard Ferrand : une certaine éthique

Illustration de l'article du Canard Enchaîné sur Richard Ferrand Depuis mercredi 24 mai et la parution d'un article du Canard Enchaîné sur les petits arrangements de Richard Ferrand — ministre de la Cohésion et des Territoires — les commentaires vont bon train. La première question a été celle de la légalité de l'opération immobilière de sa compagne. Ce point réglé (de l'avis de la majorité, il n'y a rien d'illégal), est venu ensuite le temps des questions morales.

Illustration de l'article du Canard Enchaîné sur Richard Ferrand

Depuis mercredi 24 mai et la parution d'un article du Canard Enchaîné sur les petits arrangements de Richard Ferrand — ministre de la Cohésion et des Territoires — les commentaires vont bon train.

La première question a été celle de la légalité de l'opération immobilière de sa compagne. Ce point réglé (de l'avis de la majorité, il n'y a rien d'illégal), est venu ensuite le temps des questions morales. Peut-on, moralement, lorsque l'on est patron d'une entreprise, laisser ladite entreprise passer un contrat avec sa propre compagne ? La question est assez mal posée. Il ne s'agit pas de morale, mais d'éthique. La morale, c'est une chose partagée assez largement, une lecture du bien et du mal. L'éthique est quelque chose de plus personnel. Elle définit ce que chacun estime acceptable ou pas. A partir de là, chacun peut analyser l'éthique de Richard Ferrand et se demander si elle est en accord avec la sienne.

Le résumé de la presse de l'article du Canard Enchaîné a sans doute orienté la réflexion des journalistes et les réponses des politiques.

Pour la plupart, les articles rapportaient qu'une SCI de sa compagne, Sandrine Doucen, avait été choisie par les Mutuelles de Bretagne, dirigées par Richard Ferrand, pour la location d'un local. Certains, plus rares, évoquaient le fait que cette décision avait permis à Sandrine Doucen d'obtenir un prêt bancaire pour acheter les locaux, le fait d'avoir un locataire permettant de rassurer les banques.

Mais rares sont ceux qui expliquaient que la société civile immobilière (Saca) n'avait pas encore d'existence légale (elle fut enregistrée un mois après la décision des Mutuelles de Bretagne) pas plus qu'elle n'était propriétaire des locaux lorsque la décision des Mutuelles de Bretagne a été prise.

Le serpent se mord la queue

Toujours pas illégal, mais le serpent qui se mord la queue commence à prendre forme. Sans l'appui des Mutuelles de Bretagne, pas d'achat de local, pas de formation de SCI. Sans la présence de Richard Ferrand à la tête des Mutuelles de Bretagne, probablement pas de décision pour la location d'un local n'existant pas encore. Sans local et sans SCI, une autre décision aurait sans doute été prise par les Mutuelles de Bretagne.

Juridiquement, ni le parquet, ni le garde des sceaux, ni les amis politiques de Richard Ferrand, ni Richard Ferrand lui-même ne voient quoi que ce soit de répréhensible ou encore, susceptible de justifier une enquête. "C'est de l'argent privé". Rien à voir avec un certain François Fillon qui s'était approprié de l'argent public en salariant sa femme pour plus de 600.000 euros à l'Assemblée Nationale, pour un travail dont il reste à prouver qu'il ait existé. Ici, la prestation, la location du local, a été fournie. Mieux, l'offre de la SCI (la Saca) était la moins-disante. Les Mutuelles de Bretagne ont donc fait une bonne affaire. Même si elles ont pris à leur charge les 184.000 euros nécessaires à la réfection des locaux (dont un tiers est en sous-sol).  Ethiquement, par contre, le petit arrangement du couple et de l'entreprise se discute largement. Juridiquement, personne, jusqu'ici, ne s'est interrogé sur un concept de droit que l'on appelle "l'abus de bien social". Oui, il est interdit de détourner de l'argent public, mais il est également interdit de détourner de l'argent dans le privé. La décision des Mutuelles de Bretagne de retenir la SCI de la compagne du patron a permis à cette dernière de multiplier par 3000 en six ans la valeur des parts de la société.

Le président qui va renverser la table

Elu confortablement sur un projet plutôt vague et en réaction à la présence au second tour de Marine Le Pen, Emmanuel Macron se présente comme le jeune président qui veut faire de la politique autrement. Répondre à l'exaspération des Français vis-à-vis des arrangements d'une classe politique minée par les affaire et les petits arrangements, est son leitmotiv. La première loi de son quinquennat sera justement un texte moralisant la vie politique. Quant à ses ministres et ses candidats aux législatives, il les a choisis en passant leur vie au tamis ultra-fin. Pas question de subir un Jérôme Cahuzac. Fort bien. Mais comment expliquer à l'électorat que Richard Ferrand... et bien, c'est différent. Ce n'est ni Jérôme Cahuzac, ni François Fillon ? N'a-t-il pas profité de sa position pour mettre un peu de beurre dans des épinards déjà bien beurrés alors que la plupart des gens dans les cercles inférieurs ont du mal à boucler les fins de mois ? Qu'ils n'auront eux, jamais la possibilité de réaliser un arrangement de ce type, pas illégal mais pas atteignable ?

Ce n'est pas un problème moral. C'est un problème d'éthique. Si les "administrés" ne peuvent pas obtenir certains "avantages", il n'y a pas de raison que ceux-ci soient monnaie courante pour ceux qui "administrent" au nom des "administrés".

Tu t'es vu quand tu te défends ?

La politique autrement. On attendait de voir ce que c'était. On a vu. La défense de Richard Ferrand est en tout point identique à celle de François Fillon. Et à force de mettre en cause le Canard Enchaîné qui aurait bénéficié des confidences d'un "corbeau" (ça change du cabinet noir) pour écrire un article sur une affaire qui n'en serait pas une, il est possible que le volatile en remette une couche... On a déjà vu le film très récemment et on sait comment il finit.

En attendant, c'est Le Parisien qui s'y colle avec cet article expliquant que la promesse de vente pour l'acquisition du local a été signée par Richard Ferrand et non par sa compagne. Toujours décontracté au niveau de la morale et du droit ?

Quant à l'avocat qui était mandaté pour vendre le bien, ancien bâtonnier, il parle "d'enfumage" de la part du ministre en évoquant sa défense. Et il précise que la promesse de vente était assortie d'une condition suspensive : la signature d'un bail entre les Mutuelles de Bretagne et une SCI devant. Décontrasté, comme disait le grand philosophe Garcimore...

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