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par Antoine Champagne - kitetoa

Quand tu n'aimes pas un article de Reflets, n'oublie pas de jeter le bébé avec l'eau du bain

L'hystérisation de la vie politique n'est pas une tendance isolée. ces derniers jours, Reflets a vu revenir les trolls de l'UPR après un article sur l'Europe. Nous somme vite redevenu la cible des fans du parti en question comme nous l'avions été lorsque nous avions parlé des sectes politiques. Les lecteurs semblent sur-réagir à tout article qui leur déplaît, quand bien même ils sont d'accord avec un autre qui va dans le sens de leur analyse du monde.

L'hystérisation de la vie politique n'est pas une tendance isolée. ces derniers jours, Reflets a vu revenir les trolls de l'UPR après un article sur l'Europe. Nous somme vite redevenu la cible des fans du parti en question comme nous l'avions été lorsque nous avions parlé des sectes politiques. Les lecteurs semblent sur-réagir à tout article qui leur déplaît, quand bien même ils sont d'accord avec un autre qui va dans le sens de leur analyse du monde. Mais si par malheur un article leur déplaît, ils s'enflamment et n'hésitent pas à jeter le bébé avec l'eau du bain. Reflets devient vite un site proche de l'extrême-droite, conspirationniste, reptilien [ajouter ici ce qui vous plaît le plus]. Mal nous en a pris de critiquer l'initiative Decodex du Monde. Ce matin, nous avons eu droit à une charge très énervée de Samuel Laurent. Paradoxe, des trolls de l'UPR qui nous vouaient aux gémonies hier, prennent notre défense dans cette polémique, aujourd'hui. On se serait bien passés de leur appui.

Mais revenons à l'affaire Decodex.

Ce matin, Reflets publie dans sa fameuse rubrique "On s'en fout", qui marque tout l'intérêt que nous portons aux sujets des articles que nous y classons, une brève pour railler le fait que le Decodex classe en vert (bien sous tous rapports) un journal de programmes télé et en orange un site d'analyses (parfois mauvaises ou contestables) géopolitiques et économiques. L'idée que voulait faire passer cette brève est qu'il est probablement aussi idiot de vouloir classer la fiabilité d'un journal de programmes télévisés (doit-on vraiment attribuer une note de fiabilité à des horaires de programmes télévisés ?) que celle d'un blog d'analyses géopolitiques dont on imagine aisément que certaines iront à l'encontre des théories mainstream.

Bref, voici que Samuel Laurent nous interpelle sur Twitter :

Le point de départ de ce que nous aurions volontiers accueilli si cela avait été une discussion, est trompeur. Pour un roi du fact-checking, cela peut intriguer. Reflets n'a pas fait dans la brève évoquée, de panégyrique du site d'Olivier Berruyer, ou de ce dernier.

Cela nous amène au fact-checking et au Decodex. Présenté par certains comme le truc qui va révolutionner le journalisme, le fact-checking est surtout la base du journalisme. Vérifier ses informations, se les faire confirmer par plusieurs sources... Tout cela est normalement une démarche de base de tout journaliste qui fait autre chose que de donner les horaires des programmes télé ou choisir les maquillages waterproof pour la double "Etre belle à la plage cet été". Et encore...

Ceci dit, le fact-cheking consiste principalement à vérifier l'exactitude de chiffres et autres informations, pas à sortir de nouvelles informations, une autre composante du journalisme.

Le fact-checking rejoint dans les tendances à la mode, le "journalisme augmenté" ou "data-journalisme" qui un temps devait remplacer les autres journalistes (les vieux).

Le fact-checking est cependant très utile, surtout à une époque où les politiques (entre autres) racontent à peu près n'importe quoi sans être jamais contredits. Et j'avais moi-même salué il y a longtemps le travail salutaire et très utile des Décodeurs.

Prenons un exemple. Lors d'une interview télévisée ou radio, un homme politique ou un patron d'entreprise mis le dos au mur par une question d'un journaliste va immédiatement lancer un chiffre ou un sujet de polémique qui fait diversion. Etant en direct, le journaliste ne peut pas rebondir car il n'a pas le temps d'aller vérifier la véracité des assertions. Les journalistes papier ont le temps de le faire.

La labellisation pose la question de la légitimité

En revanche, la rédaction de Reflets est perplexe face à l'initiative Decodex. Classer les sites et la presse pour savoir s'il s'agit de sources sûres ou pas, c'est dangereux. Qui classe, selon quels critères, de quel droit, les lecteurs sont-ils trop bêtes pour le faire eux-mêmes, et si demain le FN lance un "DecodexFN", ou si Les Republicains lancent un "DecodexRepublicain", que fait-on ? Par ailleurs, quelles sont les chances qu'un Decodex arrive à convaincre un adepte des théories complotistes que les sites qu'il consulte sont biaisés et promoteurs de fake news ? Nulles, probablement. Nous ne sommes pas les seuls à nous poser des questions sur cette initiative. Arrêt sur Images l'a fait.

Sans pour autant, à notre connaissance, se faire traiter de "geek libertaire de l'info", ce qui dans l'esprit de Samuel Laurent semble être péjoratif.

Samuel Laurent prend comme défense le Guide du routard, estimant que classer des sites d'information est équivalent à classer des hôtels. Nous pensons que son choix est journalistiquement discutable.

La carte de presse ne protège pas contre l'amalgame

En faisant cette brève dans la rubrique "On s'en fout", Reflets devient, aux yeux de Samuel Laurent, un journal qui fait la promotion d'un site farfelu. Soit... Il est donc désormais impossible de citer les sites conspirationnistes dans le cadre d'un article sans y être associé, sans être définitivement labellisé comme une rédaction de "mauvaise foi" faisant la promo desdits sites... Le fait que nous soyons journalistes comme Samuel Laurent, (je veux bien comparer mon numéro de carte de presse avec ceux des décodeurs - les numéros sont attribués dans l'ordre d'arrivée dans la profession), que nous disposions d'un numéro de Commission paritaire (IPG), ne nous protège pas contre les amalgames. Le fait que nous soyons critiques (c'est rien de le dire) à l'égard de la droite et de l'extrême-droite (mais aussi de la gauche), ne nous protège pas contre une assimilation à des sites plutôt à droite. Le fait que nous ayons passé six ans à publier des révélations sur les systèmes de surveillance étatique repris jusque dans des journaux internationaux, le tout gratuitement, sans publicité, sans investisseurs, ne nous protège pas contre les amalgames et ne relève probablement que de la geekerie libertaire de l'info. Sans intérêt, jetons le bébé avec l'eau du bain, le savon et la serviette en prime.

Le Canard Enchaîné, lorsqu'il publie un article d'un membre de la rédaction de Reflets devrait vérifier si l'idée n'est pas de promouvoir les théories reptiliennes. Le Monde lui-même, lorsqu'il publie les mails envoyés au Front National après le 21 avril, que lui a fournis son pigiste fondateur de Reflets, devrait se méfier, il s'agit sans doute de promouvoir Marine Le Pen et ses idées.

Nous aurions bien aimé discuter de l'utilité et de la légitimité d'un outil comme le Décodex avec Samuel Laurent plutôt que de se faire traiter de toutes sortes de choses. Mais ce sera sans doute pour une autre fois.

 

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