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par Yovan Menkevick

Pourquoi le FN a déjà gagné les prochaines élections

Le Front National est un parti d'extrême droite qui tente depuis que sa présidence a été lâchée par son fondateur, Jean-Marie Le Pen, de s'affranchir de cette étiquette qui le marginalise. La nouvelle direction incarnée par la fille, Marine Le Pen, a totalement modifié le discours du parti jusqu'à prendre une orientation dans la critique des problèmes économiques totalement alignée sur la gauche de la gauche et de l'extrême gauche.

Le Front National est un parti d'extrême droite qui tente depuis que sa présidence a été lâchée par son fondateur, Jean-Marie Le Pen, de s'affranchir de cette étiquette qui le marginalise. La nouvelle direction incarnée par la fille, Marine Le Pen, a totalement modifié le discours du parti jusqu'à prendre une orientation dans la critique des problèmes économiques totalement alignée sur la gauche de la gauche et de l'extrême gauche. D'un point de vue politique, le Front National est désormais un parti, qui sur certains points est moins "conservateur", dans le discours, qu'une bonne partie de l'UMP. Mais pourquoi imaginer que le Front National puisse accéder au pouvoir, ou ait déjà gagné les élections ?

Le FN : une idée de la société

Dans un parti politique, il y a les dirigeants, le cercle rapproché, les élus, et les militants. Il est fréquent de trouver une grande différence entre l'idée—l'idéologie entretenue au sein des hautes sphères d'un parti et les motivations de ceux qui le soutiennent, et encore plus loin, ceux qui votent seulement : les stratégies du bureau national sont souvent décalées par rapport aux désirs des électeurs qui soutiennent ce même bureau dans sa course au pouvoir. Ceux qui ont fréquenté de près les sphères dirigeantes du FN savent quelles sont leurs motivations et leurs idées "réelles" : le racisme primaire y est très présent, l'idée d'une nation française rongée par l'immigration et corrompue par des élites à la solde d'une internationale financière sont le cœur des croyances frontistes. Pour le FN, La France coule par son laxisme, sa faiblesse, se saigne pour des étrangers d'origine africaine qui viennent en masse profiter de son système social, génèrent de l'insécurité et surtout  veulent imposer l'islam aux français, chrétiens de souche et de cœur.

Les idées, ça se partage

Cette idée de la société, de ses problèmes, est partagée en grande partie par les soutiens de l'UMP.  Nicolas Sarkozy s'est d'ailleurs fait élire en 2007 en reprenant à son compte nombre de ces éléments de discours : immigration, laxisme d'Etat, problème avec l'islam, abandon des Français, fraude sociale, délinquance des étrangers, des banlieues, etc…

Sarko VS Hayate l'Algérienne par narutiba

Les électeurs français sont nombreux, lorsqu'ils ne se déclarent pas de gauche, à adhérer avec ces thèses. Mais une partie des gens de gauche commencent à partager ce discours, sans bien entendu se l'avouer : la laïcité, désormais farouchement défendue par Marine Le Pen est devenue un combat commun (à la droite populaire, UMP, et la gauche laïque) qui fait bouger les lignes. Les affaires des caricatures de Charlie Hebdo ont démontré la capacité à la stigmatisation la plus vulgaire d'une partie des "gauchistes" défenseurs de la laïcité et de la liberté d'expression. Un homme à genoux en train de prier, les fesses à l'air avec une étoile dans l'anus, et une légende : "Mahomet, une étoile est née" comme flambeau de la liberté d'expression ? Ceux qui pratiquent cette religion, déjà très sévèrement réprimée dans la réalité sociale, policière, économique, du pays, apprécieront. Le FN, lui, applaudit.

Quand on ne fait plus de politique on fait de la morale

L'espace nommé "politique" aujourd'hui n'en a plus que le nom. A l'exception d'une ou deux figures politiques qui aujourd'hui semblent s'être recentrées sur l'expression de leurs projets de société, l'ensemble de ce qui est nommé la "classe politique française" a plongé dans la défense des valeurs, du débat moral. L'avantage de ce glissement de la politique vers la morale et les valeurs,  est qu'il permet d'évacuer le vrai débat politique, l'opposition des idées (de transformation, progrès de la société), de ne pas avoir à défendre des projets : en s'opposant de cette manière, ce sont ceux qui récolteront le plus d'adhésion aux valeurs qu'ils défendent, à leur bonne morale qui l'emporteront…aux prochaines élections. Tout en laissant entendre que ces débats concernent des problèmes de fond de la société.

Le racisme anti-blanc en est un bel exemple. Mais celui du TSCG aussi. De l'insécurité, de la violence dans les cités : accords et désaccords sur la France de ceux qui défendent le vrai-antiracisme ou pas, la France qui défend ses intérêts ou au contraire qui baisse sa culotte, la France qui voit les problèmes et les traite ou pas, qui sait se montrer ferme ou faible : tous ces débats n'ont rien à voir avec ce que doit être la politique. Elle représente simplement une confrontation de "deux pensées uniques" qui se dénoncent mutuellement. Mais tout ce glissement conforte un phénomène : celui d'un espace démocratique désormais calé sur celui que le FN a tenté d'établir durant des décennies. Cet espace où il est très performant : les valeurs, la morale, et la réduction de la politique à une joute sur ces quelques points.

La droite populaire, le FN, l'UMP, le PS et des électeurs…qui cherchent ?

Les 18% du premier tour de Marine Le Pen mis en parallèle des 27% de Nicolas Sarkozy (des votes exprimés) amènent des questions très importantes sur l'état des orientations politiques électives françaises. Les études qualitatives sur les motivations des votants, adhésion aux "idées" des candidats permettent de mieux comprendre comment les prochaines élections (municipales et présidentielles) pourraient se dérouler.

Mais étrangement, sans arriver à cette échéance, les discours des représentants politiques de ces courants de la droite conservatrice et libérale (qui n'est pas la droite gaulliste et sociale historique) et du FN tendent vers une convergence des valeurs, et d'une "morale commune". Les socialistes, excessivement prudents à de nombreux égards, promoteurs d'une politique économique de droite et d'une "morale sociale de gauche" mais qui se droitisent avec un Valls au ministère de l'intérieur (sur ce dernier point), sont aussi dans ce wagon de la nouvelle donne qui se veut politique, mais qui en réalité est un simple réajustement de valeurs…électoralistes.

Le FN n'a pas besoin de gagner des élections si ses idées, sa vision de la société sont partagées par le plus grand nombre, et au delà si le débat ne se situe que sur son terrain, celui des valeurs. Si la majorité des formations politiques se préoccupent avant toute chose de décrire des problèmes, d'ajuster leur morale pour éviter la confrontation de projets de société, de vision politique au sens réel du terme, au profit d'une guerre de tranchées basée sur la seule adhésion ou rejet de leurs valeurs, le FN est déjà en train de gouverner. Si ce n'est pas l'Etat français, au moins les esprits…ou pour nuancer un peu : l'espace nommé "démocratique".

Quand la décomposition amène à une recomposition

L'UMP n'est pas un parti gaulliste. Ni libéral. Ni de droite sociale. L'UMP est un parti néo-conservateur allié aux sphères des oligarchies financières internationales. La droite sociale, gaulliste, n'est plus audible, et il est difficile de savoir qui est encore en mesure de l'activer politiquement. La gauche socialiste et écologiste n'ont de socialiste et d'écologistes que les dénominations : tout démontre leur adhésion à un modèle de gestion étatique européiste, sans aucune autre volonté que de perpétuer les politiques gestionnaires d'une technocratie bruxelloise aux ordres de ce qui est nommé par certains avec un certain à-propos "le capitalisme stalinien". Le "centre" est une nébuleuse improbable dans l'incapacité d'innover tout en prétendant le faire et qui ne sait au final que tenter d'accorder, de mixer les "valeurs"du PS et de l'UMP dans une bouillie informe.

L'extrême droite n'est plus extrême (dans les esprits de nombreux électeurs et dans les discours apaisants de sa présidente) et le FN va certainement changer de nom de parti pour basculer dans une structure de type "droite populaire" similaire à celle déjà créée par certains de ses transfuges ralliés à l'UMP : le sas de la Droite populaire est un moyen de faire communiquer le "nouveau FN" dé-extrémisé avec la droite décomplexée qui commence à se dessiner de façon plus ferme à l'UMP.

Restent la "gauche de la gauche" et l'extrême gauche, ou ce qu'il en reste : le NPA n'ose même plus avouer ses fondations révolutionnaires issues de la LCR. Ses discours anti-impérialistes, anti-capitaliste radicaux, cœur de leur vision politique ont été siphonnés par le FN, et son refus d'accepter de gouverner l'a définitivement recalé dans les périphéries des partis qui ne veulent rien faire, mais seulement dénoncer.

Les communistes, déjà assez éloignés de l'extrême gauche après les différentes tentatives d'exercice du pouvoir au sein des gouvernements socialistes sont noyés dans la récente formation portée par Jean-Luc Mélenchon. Le Front de Gauche n'est pas un parti d'extrême gauche, il est une coalition composée de divers partis et mouvements à la gauche des socialistes et de communistes "réformés". La voix du Front de gauche est peut-être la seule qui évite de participer au combat des valeurs et de la morale et s'échine à porter aujourd'hui un projet politique clair : mais si l'on est seul dans l'arène, difficile de combattre. Surtout après avoir joué le jeu de la joute des valeurs et de la morale contre Marine Le Pen et passé plus de temps à agiter des chiffons rouges, bleus, roses ou bruns plutôt que d'avoir seulement porté le combat politique là où il doit rester : dans l'affirmation d'orientations économiques, sociales, de projets de société, d'une proposition globale pour l'ensemble des habitants d'un pays. Mélenchon s'est égaré sur le terrain des valeurs et de la morale : difficile de revenir comme force de proposition et de projet par la suite…

Réduire, simplifier, et satisfaire l'aveuglement

Ces constats mènent à une réflexion inquiétante, bien plus inquiétante qu'une progression des résultats d'une formation politique comme le FN aux prochaines élections : c'est celle d'une nouvelle ère qui ne permet plus d'autre alternative que d'opposer des réductions, des simplifications de problèmes les uns envers les autres.

Il est évident qu'en temps de crise économique massive, de récession, de chômage en augmentation permanente, de réduction des protections sociales, d'élévation des prélèvements sur une population de plus en plus en difficulté, les citoyens sont toujours incités à croire que des décisions politiques importantes sont à prendre pour sortir de l'ornière. Ce qui est juste. Mais quand sur les causes établies de la crise, les dirigeants au gouvernement font exactement l'inverse et écrasent la dite population de son mépris et surtout lui fait payer leurs propres errements, la dite population se radicalise. Avec des idées de gauche, comme de droite. Et cette radicalité se positionne aujourd'hui, avant tout, sur les fameuses valeurs, la morale et donc sur une adhésion ou pas avec des "idées". Et puisque rien ne sera fait pour juguler le raz-de-marée d'austérité technocratique qui accentue les difficultés au lieu de les réduire, il ne reste pour la population que la solution de s'accorder à ces valeurs et cette morale.

Parce que bien entendu, il y a du racisme anti-blanc. Mais il y a aussi des contrôles au faciès permanents pour toute une partie de la population. Avec humiliations à la clef. Il y a des intégrismes religieux. Bien entendu. Des stigmatisations religieuses aussi. Une laïcité de combat islamophobe. De la violence. Des quartiers laissés à l'abandon. Une France du haut, une France du bas. Une France éclairée et furieuse après ses représentants. Des bons gauchistes défendeurs du service public et d'une société juste, sociale, équitable et des gens de droite ultra-sécuritaires, racistes et proche du fascisme. Des gauchistes béni-oui-oui englués dans la "pensée unique" et des gens de droite responsables, pragmatiques et attachés au respect des valeurs de la République, d'un capitalisme éclairé et social. Enfin, c'est ainsi que se dessine désormais le paysage de l'engagement politique.

Sauf que tout ça ne fait pas de la politique. Tout ça est une manière de se débarrasser du dialogue, empêche la véritable parole politique de s'exprimer, occulte les fondements de ce qui fait la vie démocratique d'un pays comme la France. Pays qui devrait discuter des choix de société, des constats honnêtes à effectuer et des réponses, elles aussi honnêtes à apporter, chacun avec sa propre sensibilité, sa vision réellement politique.

Retrouver le sens de la politique : mission impossible ?

Le FN a déjà gagné les élections. Puisqu'il n'y a pas besoin d'élus FN si une grande partie des électeurs, de leurs représentants pensent et débattent, se positionnent de la même manière que le FN. Sachant que les "désirs" du FN sont déjà appliqués dans de nombreux domaines, comme la surveillance et le contrôle social.

L'immigration est aujourd'hui un sujet clos qui appartient au passé : la lutte contre l'immigration est désormais une valeur partagée. L'insécurité est une valeur sure, qui se discute non pas en termes de causes, d'étude et compréhension des racines de cette violence mais en termes de réponse pure et de réduction de celle-ci : le FN n'a jamais dit autre chose.

Comme pour la délinquance, juvénile en particulier. Originaire des "quartiers difficiles ou sensibles" surtout, moyen de ne pas dire "issu de l'immigration maghrébine". Constat qui peut certainement trouver des "preuves" comme les pourfendeurs de la "pensée unique de gauche" (qui existe, bien entendu, comme celle de droite), les Eric Zemmour de l'analyse "savante" de la société savent en trouver : une fois qu'on a dégoté les coupables, pourquoi s'embarrasser à aller chercher les origines du problèmes ? Serait-il si gênant ce constat, mettrait-il en cause les politiques sociales et économiques de tous bords depuis plus de 30 ans au point qu'il serait plus intéressant de simplement pourfendre une "pensée unique" laxiste, qui passe son temps à chercher des excuses, alors que n'importe quel historien ou sociologue peut amener l'explications socio-économique qui se vérifie à peu près partout dans le monde ?

Le Front National  a déjà gagné les prochaines élections. Même si elles seront remportées sans qu'on sache que c'est lui le grand vainqueur. Même si une grande partie de ses idées sont déjà partagées par ceux qui prétendent le haïr. Le comble de la stupidité en politique, c'est de ne même pas se rendre compte qu'on participe à créer la société qu'on est censé refuser.

La droite gaulliste, sociale, et anti-socialiste, comme la gauche sociale et anti-libérale ont oublié quelque chose en route.

Cela s'appelle le courage. Et surtout, le sens de la politique…

Quant aux autres, ceux qui veulent agiter leurs valeurs et leur morale : leur victoire est complète.

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