Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

#PJLoirenseignement : pourquoi les Français s’en foutent (majoritairement)

Lecteurs attentifs et assidus de Reflets, vous êtes agacés et inquiets. C’est normal. Après tout, c’est un Etat policier qui se crée sous vos yeux effarés, dans une indifférence quasi générale, hormis les quelques centaines de milliers d’Internautes ‘concernés’ qui twittent à-tout-va pour dénoncer l’horrible projet du gouvernement Valls.

Lecteurs attentifs et assidus de Reflets, vous êtes agacés et inquiets. C’est normal. Après tout, c’est un Etat policier qui se crée sous vos yeux effarés, dans une indifférence quasi générale, hormis les quelques centaines de milliers d’Internautes ‘concernés’ qui twittent à-tout-va pour dénoncer l’horrible projet du gouvernement Valls. On ne sauve pas (ce qu’il reste d’) une société issue des Lumières avec des tweets, mais c’est un beau geste, qui démontre avec brio l’innocuité savoureuse du slacktivisme. Le slackticivisme ou activisme des feignants, cette forme d’activisme de plus en plus plébiscitée pour sa formidable capacité à donner un sentiment d’importance et de « concernement » à ceux qui la pratiquent, sans leur coûter le moindre effort, pour des résultats proches du néant. La réalité est que les Français, à 90%, se tamponnent le coquillard du projet de loi sur le renseignement, quand ils sont au courant de son existence, ce qui n’est pas si fréquent qu’on le croit. Mais dans ces conditions, puisque que tout est foutu, y-a-t-il un intérêt à comprendre ce qu’il se passe ? Oui, oui. On ne sait jamais, cela pourrait servir aux générations futures — s’ils savent encore à peu près lire et penser ce qu’ils déchiffrent.

La liberté, un truc improbable ?

Quand on pose la question du sacrifice de la liberté [ou des libertés], à des sondés représentatifs de notre communauté nationale, cela donne des choses étonnantes, comme Tristan Nitot l’analyse sur son blog. Ils sont conscients de sacrifier leur liberté, les sondés, mais ils veulent de la sécurité, et pourtant ils ne font pas confiance au gouvernement pour protéger leur vie privée bientôt désintégrée par le dit gouvernement. Bref : les sondés ne semblent pas comprendre grand chose aux questions auxquelles on leur demande de répondre, mais sont « pour » un sacrifice — afin d’être mieux « protégés ».

Comme on les comprend. Le monde qui nous environne est tellement violent. « Encore hier, j’ai vu une dame âgée se battre avec une roulette de son caddy au supermarché… » pourrait dire l’observateur attentif du réel.

Laissons-nous un instant, glisser vers une compréhension objective du concept de liberté, au cœur du sondage, pour tenter de comprendre les réponses renvoyées par ces chers sondeurs. La liberté, ce truc hyper important dont tout le monde se fout au point de vouloir la sacrifier pour gagner un peu plus de « sécurité ». Quelle liberté ? Savons-nous ce qu’est la liberté, pour le Français qui répond qu’il l’offre à Valls, Cazeneuve et leurs boites noires ? Hum. Au doigt mouillé, le concept basique de liberté est simple à imaginer si l’on se moule dans le fonctionnement partagé du plus grand nombre. Il suffit d’aller voir ce qui l’active, le transmet, le pilonne au quotidien. La boite à temps de cerveau disponible. Majestueusement installée dans 99% des foyers français. Depuis la naissance, pour les générations les moins âgées.

Liberté d’observer le cynisme et la médiocrité

Ce qui détermine la capacité à la liberté d’un individu donné est contenue dans peu de choses. La principale est l’autonomie. Les enfants ne sont pas libres de faire ce qu’ils veulent, et si l’on protège les enfants en encadrant leur liberté, c’est parce qu’ils ne sont pas autonomes. Qu’est-ce que l’autonomie ? La capacité à penser et faire par soi-même sans se mettre en danger, ou les autres, dans le respect des limites d'autrui. Comment apprend-on aux enfants à devenir autonomes ? Bizarrement, en les collant devant devant un poste de télévision dès le plus jeune âge. Que fait la télévision ? Elle vend du temps de cerveau disponible. Elle montre les aspects les plus cyniques et médiocres du monde, voire, les fabrique de toutes pièces. En alternant avec des messages commerciaux récurrents et hypnotiques basés sur une unique compulsion, celle de l’achat. Pour apprendre l’autonomie, on fait mieux…

Nous avons donc une population majoritairement intéressée par la consommation, habituée à comprendre le monde via des discours débilitants et pré-fabriqués pour coller à des messages de déclenchements de réflexes d’achats. Sachant que l’autonomie, pilier de l’accès à la liberté est aussi entièrement dépendant d’une capacité à forger sa pensée en dehors d’un discours standardisé ou orienté, comment 65 ou 66 millions de téléspectateurs Français font-ils, après 4h de lavage de cerveau quotidien pour acquérir une quelconque liberté ?  La question se pose. Aujourd’hui, avec le projet de loi sur le renseignement, plus encore. Comme la télévision ne semble pas franchement creuser le sujet de la liberté, de la vie privée, et du projet de loi votée le 5 mai prochain, que les téléspectateurs attendent  surtout la suite du programme, y-a-t-il au fond une quelconque nécessité à se questionner sur le sujet de « la ou des libertés » ? Franchement… ?

Retirer quelque chose que l’on n’a pas ?

Le discours sera mal perçu, et les lecteurs de Reflets pourront s’agacer, mais au final, il semble très difficile, voire impossible de lutter contre « la boite à temps de cerveau disponible ». Un pays habité par une majorité d’individus qui ne sait même plus ce qu’est être libre, autonome, qui s’affale 4h par jour devant une succession de messages commerciaux — vaguement entrecoupés de programmes de distraction ou d’informations réduites à leur plus simple expression — ne mérite pas grand chose. Si la « liberté » de cette majorité est de regarder le monde à travers une vitre, de croire que chaque membre est « unique », que pouvoir se payer des nouveaux objets est un projet de vie en soi, sa liberté, en réalité, n’existe pas. Et comment retirer à quelqu’un, quelque chose qui n’a pas d’existence ? Vaste question, n’est-ce pas ?

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