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Édito
par epimae

Petite pause sur images : La face cachée des photos présidentielles

La photographie officielle de chefs de l'Etat a une valeur bien particulière: celle de donner l'image d'un pays mais aussi d'un homme censé gouverner cette nation. Ces prises de vue donnent l'occasion de décoder de nombreux messages évidents, mais aussi de déceler des informations beaucoup plus tacites, voire inconscientes, voulues ou non par le sujet et son photographe.

La photographie officielle de chefs de l'Etat a une valeur bien particulière: celle de donner l'image d'un pays mais aussi d'un homme censé gouverner cette nation. Ces prises de vue donnent l'occasion de décoder de nombreux messages évidents, mais aussi de déceler des informations beaucoup plus tacites, voire inconscientes, voulues ou non par le sujet et son photographe.

A l'occasion d'une démarche administrative au sein d'une mairie dans un bled perdu en pleine campagne, mes yeux se sont posés sur la photo officielle de Hollande réalisée par Raymond Depardon, le photographe de nos campagnes. La secrétaire de mairie, un petit bout de femme bourrue à souhait, n'a pas ménagé ses commentaires au sujet de la représentation de notre nouveau chef d'état : "il a l'air empoté, et ses épaules, vous avez vu ses épaules? on dirait qu'il sait pas quoi faire de ses mains..." C'est en sortant du bâtiment municipal, que l'idée de cette chronique a émergé. Ces représentations officielles ont plus d'impact qu'on pourrait le croire et il est amusant et instructif d'en faire une analyse un peu plus détaillée.

La photographie officielle : us et coutumes

Contrairement à ce que tout le monde croit, se faire tirer le portrait quand on est président de la République n'est en rien obligatoire, mais, pour l'instant, aucun chef d'état n'en a fait l'économie. Quand elle est réalisée, elle est alors envoyée dans toutes les administrations et affichées sur les murs de cette dernière pendant les années de la gouvernance, rappelons que cette pratique n'a elle non plus rien d'obligatoire. Si élection à un deuxième mandat a lieu, la coutume est de ne pas refaire de shoot. Ainsi, ces images deviennent une sorte de mémoire de notre République et de notre histoire depuis que la coutume a été lancée par Adolphe Thiers, premier président de la Troisième République en 1871. Le grand portraitiste Nadar en avait réalisé la prise de vue. L'analogie avec les portraits des Rois de la Monarchie Française peut être rapidement faite, cela semble une évidence.

Le Président a le choix de son ou sa photographe. Il a aussi le choix de la mise en scène ou peut laisser le professionnel imaginer une composition adaptée à sa personnalité ou à ce qu'il veut en montrer. Le travail de portraitiste en photo est tout à fait similaire à celui du peintre, il requiert une relative bonne connaissance psychologique de son sujet, et une évaluation de ce que l'image devra en restituer ou en cacher. Au delà du shoot, est réalisé un énorme travail relationnel et de communication publique.

Une fois le tirage final réalisé, le chef de l'Etat doit alors le valider avant toute diffusion.

 

Les règles de prise de vue sont quasiment inexistantes, sauf une imposée par une circulaire en 1963 qui impose que le drapeau européen soit, si des drapeaux sont présents, toujours et sans exception, placé à la droite du drapeau français.

Si par hasard, un lecteur de reflets avait subitement l'envie d'acheter un de ces portraits, il peut se diriger vers le site de vente et ainsi afficher à la tête de son lit une de ses idoles.

De Gaulle et Pompidou : des décorations affichées de façon ostentatoire

Mettre en parallèle ces deux portraits est une obligation tant ils se ressemblent.

De Gaulle :

 

Pompidou :

Les décorations sont largement visibles dans les deux cas. Les deux hommes portent avec une fierté un tantinet hautaine la grande croix de la Légion d'Honneur et se positionnent ainsi déjà au dessus du commun des mortels. Les deux photographes Jean Marie Marcel pour le premier et François Pages (Paris Match) pour le second, ont fait le choix de la bibliothèque comme décor. Ce cadre sera repris plus tard et on peut aisément mesurer l'impact symbolique d'un tel lieu : la culture, l'enrichissement intellectuel, l'intelligence etc... L'un regarde à droite, l'autre regarde à gauche en évitant soigneusement de plonger le regard dans l'objectif, leur donnant ainsi un air important, penseur, de celui qui voit beaucoup plus loin que tout le monde, et donc évidemment qui sait.

De Gaulle s'appuie sur la Constitution, Pompidou lui, n'en a même pas besoin vu que la Constitution il doit la connaître par coeur.

Cadrage serré, flou artistique sur l'arrière plan de la photo de Pompidou, mise au point sur des mines graves et chargées de sens des responsabilités, tout y est pour rendre les images protocolaires et imposantes.

Pompidou, dont le mandat fut écourté par son décès à l'issue d'une grave maladie, se pose comme digne successeur du Général et marque par cette photographie sa volonté de ne pas incarner de changement mais plutôt de la continuité. L'histoire le contredira très vite tout le long de ces années post 68.

Giscard : jeune cadre dynamique

En 1974, Valery Giscard D'Estaing arrive avec sa jeunesse, son oeil vif, sa coupe "dans le vent" et vient dépoussiérer les vieux schnoks grâce à sa modernité et son dynamisme... Ne nous emballons quand même pas... Mais c'est ce que cette prise de vue cherche à suggérer.

Jacques-Henri Lartigue, photographe et peintre, réalise cette photo peu après la prise de fonction du nouveau président et il se démarque totalement des us et coutumes des photographies officielles passées pour insuffler un vent nouveau sur la Présidence : la modernité.

Le drapeau sert de fond à la photo, on perçoit facilement le drapeau tricolore qui a été positionné de manière à donner une impression d'envol... Envol du drapeau mais aussi envol de la Nation vers des strates plus hautes, plus riches, vers la réussite. Le visage du jeune président se détache sur le blanc du drapeau, un sourire aux lèvres, les yeux fichés dans l'objectif donnant un air de vérité et d'authenticité. Giscard ne vous ment pas : il est vrai, direct, franc, il mènera avec ses qualités exceptionnelles le pays vers d'autres sphères. On pourrait presque croire qu'il va se mettre à nous parler : Giscard est proche des gens... Tellement proche que c'est le premier Président à venir s'inviter à la table des Français pour partager le repas du petit peuple.

Petite décoration discrète : la Légion d'honneur mais si petite qu'on en vient à l'oublier.

Rien de protocolaire en apparence, même si tout photographe imagine les heures nécessaires de préparation, de mise en pose, de composition à ce shoot "naturel".

Tout le monde sait que le mandat de notre jeune cadre dynamique ne fut pas un franc succès et que la crise pétrolière et les difficultés diverses et variées sont venues quelque peu casser le mythe du jeune président moderne.

Mitterrand : la culture incarnée

François Mitterrand, premier président socialiste et ce durant deux septennats, élu pour la première fois en 1981, élection qui a créé une véritable liesse populaire et marquée par de grandes décisions telles que la suppression de la peine de mort. Bien sûr, comme pour ses prédécesseurs, le bilan de ses deux mandats n'est pas aussi rose (veuillez excuser ce jeu de mot) que prévu.

La photographe chargée de ce cliché fut Gisèle Freund, portraitiste réputée de grands intellectuels et hommes de lettres (André Malraux, Jean Paul Sartre, Marguerite Yourcenar...). Ce choix n'est certainement pas un hasard. Une femme, ce qui est assez rare dans ce domaine et pas n'importe laquelle. Gisèle Freund, décédée aujourd'hui, a un parcours de vie reflétant parfaitement les générations de la guerre et de l'après guerre. Juive, pourchassée par les nazis allemands, elle consacre sa vie entière à la sociologie de l'image et à la photographie. Elle a cotoyé les plus grands intellectuels du 20ème siècle de Borges à Virginia Woolf en passant par Cocteau, Gide et bien d'autres encore. A travers son objectif, elle sait mettre en valeur les qualités de son modèle et particulièrement les qualités d'intelligence, de philosophie et de culture; C'est ce qu'elle a parfaitement fait à travers ce cliché. Elle a su montrer ce que Mitterand était ou voulait paraître.

Ainsi, on revient au coeur de la bibliothèque de l'Elysée, et on voit le Président assis tranquillement, dans son passe temps favori : la lecture. Levant la tête, comme interrompu dans sa lecture (des essais de Montaigne), il sourit et semble vouloir entrer en conversation avec son interlocuteur, une conversation profonde sûrement, on n'en doute pas un instant.

Il incarne ainsi l'homme cultivé, érudit qui marque ainsi un changement net avec le jeune cadre dynamique proche des Français qui le précédait. Son investiture, voire son règne (car il y a quelque chose de royal dans cette image) sera marquée par la réflexion, l'intelligence et redonnera les blasons culturels que son pays mérite. Un cadrage serré donne une sensation d'intimité mais une intimité réservée et pudique.

Avec le recul historique, il est intéressant de voir cette face visible que Mitterrand a voulu mettre en valeur par ce cliché mais aussi cette face cachée découverte bien plus tard et qui a terni quelque peu son image (son passé de droite, ses aventures amoureuses, son machiavélisme...). Aucun cliché n'a été réalisé lors de son deuxième mandat, il faut dire qu'il était malade et que cela se voyait et que faire une prise de vue d'un vieux monsieur atteint par le cancer n'aurait pas été forcément une très bonne chose en terme de communication.

Chirac : détendu, avenant, rigolard et en plus il aime la Corona

Ahhhh Chirac, le président sympa et bon vivant. Combien d'images de lui en train de taper sur les épaules des paysans, de boire des coronas et de manger du saucisson bien gras? Chirac a soigné cette image sans aucune transition avec son prédecesseur. Là où Mitterrand aime la culture, Chirac privilégie la bonne bouffe et l'alcool. Quand Mitterrand se pose en homme de lettres, Chirac se montre en homme d'humour qui aime reluquer les fesses des belles nanas...

Il marque cette rupture par le choix de sa photographe : Bettina Rheims, réputée pour ses nus provocants de strip-teaseuses ou de jeunes androgynes. Cette dernière est une provocatrice, elle aime le choc des photos, elle montre des milieux glauques où le sexe, la drogue et la violence sont le quotidien de ses modèles. Le choix de cette artiste par Chirac est symboliquement fort.

Autre rupture d'us et coutumes : une prise de vue à l'extérieur qui montre l'Elysée et en arrière fond, flouté, le drapeau français. Le chef d'état semble revenir d'une promenade champêtre, mains dans le dos, buste un peu penché, ce qui lui donne un air avenant, un sourire "avec les yeux" d'où ce regard un peu "coquin" qui évidemment tend à rendre sympa et accessible ce nouveau président.

Par cette photo, on nous donne un message assez particulier : finie la culture à outrance, l'intellectualisme à tout va, Chirac va rendre sa joie de vivre au pays, venez boire un coup avec lui dans les jardins de l'Elysée, vous verrez on s'éclate. Si on regarde lucidement les deux mandats de Chirac, on peut se dire qu'effectivement cette photo ne mentait pas, il en a eu de la bonne bouffe, du bon alcool et peut être bien de la bonne baise à l'Elysée... Mais cela ne nous regarde pas...

Sarkozy : l'hyperactivité au service de tous les "bons" Français

Retour dans la bibliothèque pour ce président de la rupture (encore et toujours cette rupture, étiquette des jeunes présidents). Pas de bouquin à lire, ce qui, connaissant le personnage, ne nous étonne nullement, mais par contre intrusion du drapeau français et européen dans ce décor de culture.

Le photographe : Philippe Warrin, ami de Cécilia Sarkozy, photographe des stars mais aussi du Loft Story et de la Star Académie. Choisir un portraitiste de la télé réalité et de la Jet Set pour une photographie officielle a quelque chose de cocasse et n'a rien d'anodin surtout quand on se souvient du yacht de Bolloré, du Fouquets et j'en passe et des meilleures.

La bibliothèque n'est plus qu'un décorum de plus dans la vie hyperagitée de notre petit Nicolas. On le voit, bras ballants, faussement naturel, un sourire un tantinet agressif au visage, dominé par les deux drapeaux qui font le quotidien de nos chefs d'Etat. On le sent prêt à partir, à sauter dans un avion pour sauver le monde. On pourrait presque croire à un shoot pris à la va vite d'ailleurs les aspects techniques sont peu soignés et un oeil averti peut voir que la mise au point est faite sur les drapeaux et non pas sur l'homme lui même. On pourrait même penser que la scène a été préparée sans Sarko et qu'on l'a fait venir vite fait pour shooter tant son impatience, voire son hyperactivité étaient grandes.

Hollande : un président normal... ou presque...

2012 : le changement c'est maintenant. François Hollande arrive au pouvoir, dans un mouchoir de poche, après une campagne marquée par la volonté de redonner de la normalité là où son prédécesseur avait marqué le pays de son anormalité. On se souvient tous du "moi Président" souvent repris dans les articles de Reflets et largement analysé et parfois moqué.

Hollande a choisi Raymond Depardon pour réaliser la photo officielle. Ce dernier est un documentaliste talentueux à qui on doit de nombreux doc sur la psychiatrie, la police, le désert, les tribunaux... Depardon sait restituer à travers une caméra ou un appareil photo la vie de monsieur tout le monde et il a un véritable talent pour nous captiver avec des petits riens du quotidien. Photographe également des campagnes françaises, il a su prendre des clichés de la France avec talent.

C'est pourquoi on se demande comment un tel artiste a pu rater une telle photo, veuillez excuser ce jugement de ma part.

Techniquement : couleurs légèrement cramées dans le ciel, flou mal étudié sur le palais et sur l'arbre du second plan, drapeaux ternes et hérésie en photographie, modèle embarrassé, empoté, qui ne sait pas quoi faire de ses mains, qui a une posture inconfortable et guindée, on s'attend presque à le voir tomber en avant, aucune règle de cadrage. En clair, une photo qui pourrait être prise par monsieur tout le monde et reléguée au fin fond de la collection photographique de n'importe quel quidam qui prend une photo sans aucune recherche ni connaissances. Est ce voulu ? La question mérite d'être posée…Est-ce que photographier un président normal devait passer par un cliché sans intérêt, un cliché raté ? Connaissant bien l'oeuvre de Depardon, la question est légitime.

Montrer le palais de l'Elysée n'est jamais anodin non plus. C'est aussi redonner l'aspect républicain, solennel quasi royal du statut du chef de l'Etat et remettre cette ambiguité caractéristique du statut du Président français qui parfois fait parler de Monarchie Républicaine.

Notons aussi l'aberration incroyable au sujet des drapeaux. Non seulement, la circulaire de 63 concernant le positionnement des drapeaux français et européens n'est pas respectée et donc invalide cette photo mais aussi le drapeau français mis à la verticale est en fait un drapeau Hollandais ! Est ce un oubli ou une mauvaise blague de la part du photographe pour faire appel au nom de famille du chef d'Etat ?

Cette erreur ou volonté fait couler beaucoup d'encres dans le milieu des photographes sans qu'il n'y ait jamais eu de réponse officielle.

Analystes politiques, à vos claviers

On voit bien à travers cette petite étude que les photos portent de nombreux messages et que ni le choix du photographe, ni la composition, ni le positionnement du modèle ne sont faits au hasard dans le travail de portraitiste officiel. Il est intéressant aussi de voir toutes les informations inconscientes dont sont porteurs ces clichés qui ne manqueront pas d'émoustiller les analystes politiques de votre magazine préféré.

Cette chronique fera certainement l'objet de quelques quolibets concernant son côté "devoir de première année d'études de photographie", mais revenir aux bases de la sémiologie de l'image a quelque chose de fascinant qui j'espère vous amusera autant qu'elle m'a amusée.

En tout cas, le changement c'est maintenant !

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