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Édito
par Yovan Menkevick

Petit manuel du radicalisé islamiste français : un peu de questionnement, ça peut pas faire de mal…

Il y a beaucoup de monde pour venir, qui trouver l'origine du mal, qui expliquer le processus de radicalisation dans le détail, mais au fond, dans la grande majorité des commentaires et analyses, personne ne veut vraiment voir — le plus souvent — une réalité plus large et peut-être un peu trop déprimante pour être partagée. Allons enfants de la Patrie, le Jour de Gloire est arrivé… Le projet ? Etre compétitif…

_ Il y a beaucoup de monde pour venir, qui trouver l'origine du mal, qui expliquer le processus de radicalisation dans le détail, mais au fond, dans la grande majorité des commentaires et analyses, personne ne veut vraiment voir — le plus souvent — une réalité plus large et peut-être un peu trop déprimante pour être partagée. Allons enfants de la Patrie, le Jour de Gloire est arrivé… _

Le projet ? Etre compétitif… à tout prix

Les sociétés modernes industrielles sont toutes confrontées depuis la première crise de 1974 aux même problèmes : chômage, ennui, manque de projet, règne de l'argent, domination des classes possédantes, destruction des repères collectifs, entretien et augmentation des inégalités.

Ces phénomènes, tout à fait orchestrés par les ténors du système mis en place depuis la mise en place du nouveau système de financiarisation de la planète (lire les articles sur les origines de la crise dont celui-ci qui parle de la crise de 73-74) va croissant et crée — à de nombreux moments — des mouvements de contestations, de remise en question, d'indignation —  plus ou moins violents et plus ou moins récupérés. Le punk, en 1977 est une réponse de la jeunesse au système abrutissant capitaliste. D'autres suivront, plus ou moins tranquilles : d'extrême gauche, ou d'extrême droite, basés sur une critique du système politique et parfois économique, avec comme propositions… pas grand chose de très concret ni de très réaliste.

La crise sociale française dure depuis le milieu des années 80, et elle s'amplifie dans les années 2000. Elle n'est pas le seul fruit d'une perte de vitesse économique causée par la désindustrialisation et le manque de "compétitivité" comme la plupart des ténors de la politique essayent en permanence de l'expliquer. La crise sociale française est complexe, multiforme et malheureusement entretenue par des politiques épouvantablement aveugles à celle-ci. Ou bien volontairement entretenue ? A chacun de se faire une opinion sur le sujet, le résultat reste là : paupérisation massive d'une partie de la population en l'espace de 15 ans, une défection des services publics essentiels, dont les services sociaux dans les zones les plus pauvres et les plus exclues. Ces zones qui accueillent les descendants des immigrés des années 50, 60 et 70, importés par la France qui manquait de main d'œuvre.

Bien entendu, la malaise social n'est pas cantonné aux ghettos post-immigration, puisque depuis les années 2000, la mondialisation libérale s'est donnée comme mot d'ordre la casse sociale aux fins de participer à la grande compétition économique et financière mondiale : pressions managériales, délocalisations, changements de méthodes de travail, optimisation de la gestion des ressources, optimisation fiscale, de rendement, de dividendes. Le tout recouvert par une somme de lois, règlementations, systèmes, automatisations plus étouffantes les une que les autres. La population devient un bétail pressé de se mettre en ordre et de faire tourner la roue, à n'importe quel prix, même celui de ne plus avoir de quoi vivre décemment tout en travaillant d'arrache-pied.

Une société du drive, du fun… et du vide

Tout cet enchainement socio-économique a été accompagné par la "révolution numérique" [des communications] et sa formidable capacité au pire… comme au meilleur. Passée la période excitante de découverte et de consommation des outils en ligne, le cobaye continue à tourner dans sa roue : commander sa bouffe avec un ordinateur, défoncer des ennemis dans des dédales en pixels, acheter les derniers hochets numériques à la mode et baver devant un écran ultra plat a ses limites. Le désert culturel, social, politique, économique post-moderne français devient béant. Le vide a besoin d'être rempli. C'est humain.

Là où les groupes "religieux", sectaires, fondamentalistes ont une option importante à jouer est justement ce moment du vide, du néant sociétal.  Quand plus rien, dans une société, ne tire en avant les individus, ne les relie — particulièrement pour ceux les plus faibles, fragiles, désorientés ou simplement les plus hargneux — l'appel à participer à quelque chose déclaré comme "grand", "collectif" et supérieur est un appel qui fonctionne. Relier, reliare : la religion…

Et quand ceux qui lancent l'appel ont en plus un territoire réel, conquis, et peuvent faire la promotion de leur "projet"… la tentation est grande.

Ainsi, le Califat, nommé l'Etat islamique, propose-t-il de le rejoindre afin d'effectuer plusieurs choses, dont l'une, centrale, est de vivre une expérience. Mystique, physique et politique.

Les milliers de jeunes européens s'étant convertis, souvent à la va-vite, partent pour de nombreuses raisons, toutes plus différentes les unes que les autres. Mais l'une d'elle, centrale, est de vivre une aventure, d'avoir (enfin) un projet, quelque chose à quoi se raccrocher. Prendre les armes. Oui. Tuer des gens. Comme les nations l'ont demandé à leurs populations durant des siècles. Au nom d'un dieu, qui les protège et les récompensera une fois morts. C'est effrayant, mais ce fut pourtant le lot des nations conquérantes… comme la France très longtemps.

De l'adolescente catholique au français de culture musulmane en passant par les enfants de gauchistes

La radicalisation est un processus varié, parfois complexe, mais connu. Des gens, très éduqués, peuvent du jour au lendemain rentrer dans une croyance délirante et se mettre à donner la quasi totalité de leur énergie et de leurs finances à une organisation "religieuse". La scientologie est l'exemple le plus parlant. Démonter l'invention d'un auteur de science-fiction est malheureusement bien plus simple que les prêches de sectateurs se revendiquant d'une religion du Livre.

Toutes les religions monothéistes sont des religions du Livre. Le poids des monothéismes est important dans la plupart des sociétés pauvres, et bien moindre dans les pays riches. Quand une société n'a plus aucun repères, ni projet, ne laisse aucun espoir de changement, la tentation de se replier vers une croyance est grande. Si cette croyance se révèle  être simplement une réunion d'individus, sans plus de défis que ceux d'écouter des prêches et de prier, alors que d'autres, se revendiquant de la même religion, mais en plus "vrai", en plus pur, proposent d'agir, de participer à une prophétie, de changer de comportements, pour être élu, il y a de fortes chances que les jeunes désireux de se raccrocher à "quelque chose", aille vers la deuxième solution.

Ainsi, des jeunes gens, filles ou garçons, commencent par se tourner vers une croyance qui semble encore vivante et active, l'islam — religion souvent connotée comme religion des opprimés —  puis, ne trouvant pas obligatoirement là quelque chose de suffisant en termes d'excitation ou d'"aventure", trouvent les salafistes. Le salafisme permet de se rebeller contre la famille, la société, puisque pour les femmes il faut porter la burqa et pour les hommes,  se déguiser en barbu portant des pantalons larges. Comme les punks de 77 : le déguisement, le doigt à la société, à la famille, au pouvoir établi.

Ensuite, c'est un moyen de donner la leçon, parce que les contraintes que s'appliquent les convertis au salafisme, sont visibles et renvoient leur capacité à la pureté, à s'astreindre à un ordre, une loi divine super chiante : pas de musique, pas de rires, pas de représentations du vivant. Juste les prières, et la… désolation sociale : travailler est difficile déguisée avec une burqa ou en barbu salafiste…

Quand l'appel à aller vivre cette "religion" là où elle a établi ses quartiers, c'est-à-dire le Califat, survient, il est assez tentant, pour celui ou celle qui a plongé dedans, de passer le cap. Là-bas, au moins, il pense qu'il ne sera pas ostracisé, et puis en plus il pourra lutter avec ses "frères et ses sœurs" contre les méchants qui veulent les détruire, Allah, d'après eux, étant en plus présent là-bas à 130%…

Ce témoignage, extrait de l'émission "Un jour en France" de ce mercredi, est poignant. L'émission entière amène quelques réponses sur la démarche de radicalisation. Il reste que les jeunes gens qui plongent dans cette croyance sectaire — le salafisme — ne sont pas tous issus d'une culture musulmane, loin de là. Cette mère de famille a élevé ses enfants dans la tradition catholique.

Ecouter sur Soundcloud.

L'état de la société n'est pas innocent, comme les terroristes

"No one is innocent" : comme le nom du groupe en question, il n' y a pas à trouver des excuses, ou à dédouaner ceux qui commettent des actes irréparables, les djihadistes en l'occurrence.

[Attention cher lecteur, chère lectrice, article multimédia : envoie-toi donc ça dans les oreilles à fond, avec un casque, de préférence et tu reprends ensuite (Silencio, album : Propaganda - No one is innocent - 2015)] :

 

Mais il n'est pas possible non plus de se cacher les yeux, se fermer les oreilles, en refusant de comprendre ce qu'il s'est passé pour qu'on en arrive là. Exactement comme les tueries commises par des adolescents dans des campus aux Etats-Unis, croire que le ralliement idéologique, physique, d'une partie de la jeunesse à des structures violentes et totalitaires est une simple coïncidence avec laquelle la société n'a rien à voir est un mensonge aux conséquences terribles.

Ce que Valls a résumé en expliquant qu'il ne "voulait pas entendre d'explications sociologiques" aux attentats du 13 novembre. Si l'Etat islamique avait été une organisation politique pure de "destruction du capitalisme et de défense des opprimés" qui promettait un avenir glorieux à ceux qui les rejoindraient, il est probable qu'il aurait aussi bien fonctionné. Quand on sait que Manuel Valls, maire d'Evry a laissé les salafistes racoler dans les rue de sa ville durant des années, aux vues et au sus de tout le monde, et n'a jamais rien fait pour les stopper, tout en se félicitant récemment des contrats passés avec la monarchie d'où émane ce dogme…

 

France-Arabie Saoudite : 10 milliards € de contrats ! Le Gouvernement mobilisé pour nos entreprises et l'emploi. MV pic.twitter.com/T7anHumCW3

— Manuel Valls (@manuelvalls) 13 Octobre 2015

Mais la couche de promesse religieuse, de vérité universelle que la croyance salafiste amène est un "plus", et le nier est un aveuglement très inquiétant.

Que l'Etat islamique soit détruit ou non, cela ne stoppera pas l'emballement des jeunes gens qui se raccordent à la croyance sectaire qui le constitue. Ce dont nos sociétés ont besoin, c'est "d'air pur", de projets, d'espoirs, de justice sociale et de promesses tenues. Sans cela, nous continuerons à entretenir le mal-être dans nos murs, avec comme seuls objets, l'opposé de ce qui constitue une société digne de ce nom : le ressentiment, et la haine.

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