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par Antoine Champagne - kitetoa

Petit cours de diplomatie utopique

Depuis des lustres, les hommes politiques à qui les peuples délèguent leur pouvoir assènent qu'ils sont contraints d'agir sur la base de la Realpolitik. Il leur faut tenir compte de tout un tas de choses qui les mènent à faire des compromis avec des régimes détestables. Pour prendre un ou deux exemples près de chez nous (la loi de proximité, coco), on notera qu'à peine élu, Nicolas Sarkozy allait faire le zouave en Libye, qu'il invitait ensuite le colonel Kadhafi à Paris.

Depuis des lustres, les hommes politiques à qui les peuples délèguent leur pouvoir assènent qu'ils sont contraints d'agir sur la base de la Realpolitik. Il leur faut tenir compte de tout un tas de choses qui les mènent à faire des compromis avec des régimes détestables.

Pour prendre un ou deux exemples près de chez nous (la loi de proximité, coco), on notera qu'à peine élu, Nicolas Sarkozy allait faire le zouave en Libye, qu'il invitait ensuite le colonel Kadhafi à Paris. Et que disait Nicolas Sarkozy à ceux qui émettaient des réserves ? Le Canard Enchaîné de ce mercredi 23 février nous le rappelle : "S'ils ne comprennent rien à la Realpolitik, tant pis pour eux! De toutes façons, plus ils gueulent, plus je leur fais un bras d'honneur. Plus longtemps je serrerai la main de Kadhafi". Un autre exemple ? Le peuple tunisien se révolte contre le régime policier qui l'opprime depuis des années ? La ministre des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie propose d'envoyer sur place les forces anti émeute françaises dont le savoir faire est parait-il reconnu internationalement. Rien de moins. Zine Ben Ali fera ses valises quelques jours plus tard et la France perdra toute chance pour des années d'avoir des relations apaisées avec la Tunisie. Bien vue la Realpolitik. La Realpolitik, c'est également cette diplomatie de la défiance qui a prouvé son efficacité depuis des lustres dans la résolution, par exemple du conflit israélo-palestinien. Il est peut-être temps d'essayer autre chose ?

Les réactions internationales au bain de sang actuel en Libye sont toujours empreintes de cette tendance à ne pas s'aliéner l'interlocuteur, quel qu'il soit et quel que soit son niveau de folie. Il y a bien entendu des exceptions, mais elles sont peu nombreuses. Il faut un environnement particulier. Avant tout, il faut que le dirigeant soit à la tête d'un pays avec lequel nous ne pouvons avoir aucune relation commerciale. Non pas parce que l'on ne le souhaiterait pas, mais parce qu'il n'a pas de fonds pour faire du commerce. Il faut aussi que sa puissance militaire soit relativement faible.

Le Colonel Kadhafi a fait massacrer le peuple Libyen ? Réunissons-nous... Il faudra attendre quelques jours de plus parce que c'est jour de vacances aux Etats-Unis où siègent l'ONU et son conseil de sécurité... Enfin, voilà les grands de ce monde assis autour d'un table. Et que disent-ils ? Ils exigent "la fin immédiate des violences". Voilà qui devrait rassurer les populations... Les quinze membres du conseil de sécurité "ont demandé une aide humanitaire internationale pour le peuple de Libye" et "ont souligné la nécessité pour le gouvernement de Libye de respecter la liberté de réunion pacifique et d'expression, y compris la liberté de la presse", sans oublier  "la profonde inquiétude à propos de la sécurité des étrangers en Libye".

Il est intéressant de noter que ces déclarations lénifiantes tombent après le discours illuminé du colonel Kadhafi. C'est donc en connaissance de cause qu'ils appellent un dingue à la retenue. Car avec ce discours, ceux qui avaient fait mine de l'oublier, comme Nicolas Sarkozy ou Silvio Berlusconi, ont eu droit à une petite remise à niveau, le colonel Kadhafi est bien un dingue sanguinaire.

La Ligue Arabe a fait encore mieux. Elle a menacé d'exclure la Libye. On imagine la vague d'effroi qui a immédiatement déferlé sur le colonel Kadhafi.

L'Europe s'est distinguée. Appelant à la même retenue que le conseil de sécurité de l'ONU, tout en laissant entendre qu'il y avait des divergences sur l'idée de sanctions contre la Libye. Pourquoi ? Mais voyons... Simple comme bonjour, il le dit lui-même, parce que Silvio Berlusconi redoute l'arrivée massive de réfugiés sur ses terres. Un peu comme Nicolas Sarkozy qui a annoncé la semaine dernière que la France n'accueillerait pas de Tunisiens sans visas. C'est la merde chez vous ? Une révolution ? Restez-y ou demandez un visa. Comme chacun sait, la France en accorde de plus en plus. Amis Libyens, n'oubliez pas de passer par l'ambassade de France à Tripoli pour demander un visa avant de fuir les avions de fabrication française qui vous bombardent. En même temps, en France, Eric Besson renvoie bien des Afghans dans leur zone de guerre...

Amis dirigeants de ce monde, en toute humilité, Reflets.info se permet de vous donner un petit cours de diplomatie utopique. Notre petit doigt nous dit que les Libyens, comme les Egyptiens ou les Tunisiens avant eux, auraient bien aimé que vous vous laissiez aller à ce type de discours. Nous avions déjà exprimé notre avis sur la manière dont les hommes timorés devraient s'exprimer lorsqu'il s'agit de "gérer" des dictateurs. Visiblement, lesdits hommes timorés ne lisent pas Reflets (on s'en doute) mais ils ne tirent pas non plus les leçons de l'histoire en marche.

Prenons la Lybie pour notre cas d'école de diplomatie utopique. La très grande majorité du pétrole Libyen est exporté vers l'Europe. Il suffirait que l'Europe annonce la fin immédiate de ses importations pour que les finances du régime s'assèchent. A partir de 2004, les exportations vers les Etats-Unis ont également augmenté. Rien ne les empêche de mettre un terme à leurs importations.

Le pétrole n'est pas tout. La Libye est présente dans les économies occidentales via la Libyan Investment Authority. Nous en parlions hier.

Zero Hedge pointe aujourd'hui sur un intéressant câble diplomatique révélé par Wikileaks. Il ressort que des banques américaines gèrent plusieurs centaines de millions de dollars pour le compte de la LIA.

Le conseil de sécurité de l'ONU ne pourrait-il pas imposer la saisie de tous ces avoirs ? Nul doute qu'avec un tel mandat, Clearstream irait d'elle-même fouiller dans ses bases de données pour identifier les transferts effectués pour le compte de l'Etat libyen. La pêche serait sans aucun doute miraculeuse.

Londres, d'où opère la LIA et qui a eu des mots durs contre le régime libyen, n'a pourtant visiblement pas l'intention de viser le portefeuille du colonel Kadhafi. Dommage.

Dans le cadre d'une diplomatie utopique, le conseil de sécurité pourrait aussi interdire le survol de l'espace aérien lybien. Notamment par les avions et les hélicoptères de l'armée locale qui bombarde les populations. Il y a actuellement beaucoup de navires américains dans la région (comme le montre cette carte datant du 09/02). Il ne leur manque qu'un mandat de l'ONU...

La diplomatie de la défiance et de la Realpolitik, c'est aussi celle d'un Henri Guaino qui, en pleine tempête (MAM, Fillon, faillite de la diplomatie française) qualifie de "tract politique" un appel lancé par des diplomates dans le journal Le Monde. En même temps, quand on a écrit le fameux discours de Dakar, on ne peut pas comprendre autrement que comme un "tract" une tribune écrite par des gens dont le métier est justement, d'analyser les relations internationales, dans le calme, sur la base d'une culture générale un peu plus dense que celle du bling-bling.

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