Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par bluetouff

Affaire Orange Vs Megaupload : HADOPI a de quoi être fière de son bilan

Dans le large éventail d'impacts d'HADOPI sur Internet en France, le cas Megaupload n'a pas fini de faire causer. C'est quelque chose que nous avions très tôt dénoncé, les gros malins de la rue de Valois qui pensaient terroriser les internautes en poliçant l'usage du peer to peer, sont directement responsables d'une migration massive des téléchargeurs sur des services de téléchargements "sales", centralisés...

Dans le large éventail d'impacts d'HADOPI sur Internet en France, le cas Megaupload n'a pas fini de faire causer. C'est quelque chose que nous avions très tôt dénoncé, les gros malins de la rue de Valois qui pensaient terroriser les internautes en poliçant l'usage du peer to peer, sont directement responsables d'une migration massive des téléchargeurs sur des services de téléchargements "sales", centralisés... Et pire que tout, situés outre atlantique, quand ce n'est pas à l'autre bout de la planète. La majorité des tuyaux des opérateurs français ne passant pas les frontières il faut bien passer par des intermédiaires, des gens qui vendent du trafic transatlantique ou vers l'Asie, empruntant souvent de grosses fibres sous marines, et avec des tarifs qui se font "à la tête du client".Avant HADOPI, les internautes téléchargeurs étaient surtout ceux qui avaient pris la peine d'installer un client peer to peer et qui s'étaient un minimum cassé la tête pour comprendre comment cela fonctionne. Comme il commençait à y avoir trop de téléchargements, on évoque le chiffre de 500 000 films échangés chaque jour (source : Le Fouquet's, Paris), le gouvernement a eu la superbe idée de s'attaquer à ce qu'il pensait être la source du problème : le peer to peer. Grand mal lui a pris... et c'est pas faute d'avoir prévenu, le direct download a pris la relève avec tout son flot de pratiques, toutes ses implications en terme de centralisation et de cout d'infrastructure... alors qu'on avait avec le peer to peer, un truc qui fonctionnait bien et ne coûtait pas un rond. Revenons sur le dernier épisodes des chroniques apocalyptiques Hadopiesques.Megaupload opère un service en ligne de partage de fichiers lourds. Il s'agit d'un service très utile, pour les particuliers comme pour les professionnels, permettant d'uploader d'énormes fichiers à des fins de partage avec des tiers.  De nombreux services de ce type existent, même en France, celui de Free connait lui aussi d'ailleurs un certain succès. Premier constat, il est impossible pour ces opérateurs de service de vérifier chaque fichier envoyé. En outre, ceci serait parfaitement inefficace et aboutirait à la même chose, mais en version chiffrée, donc impossible à surveiller. Deuxième  constat, ce genre de service est bien pratique et historiquement, pour les communautés du Warez, il marque une régression particulièrement rentable pour quelques uns. En effet, de nombreux services de monétisation des liens, de débrideurs et autres outils permettant de parfaire le kit du petit téléchargeur, ont fait leur apparition ces deniers mois. Il sont plus ou moins directement liés à Megaupload et les autres sites de direct download (comme Rapidshare, Filserve, Uploading, Deposit, HotFile, etc...).

Comprendre l'écosystème qu'HADOPI encourage

Avant de vous expliquer ce que je pense de la risible attitude d'Orange et des accusations de Megaupload sur le fournisseur d'accès, je vais vous dresser un petit panorama simplifié et rapide de la petite mafia à qui HADOPI assure de confortables revenus. Le service centralisé de téléchargement : les internautes qui ont besoin de partager un gros fichier peuvent la plupart du temps se créer un compte gratuit sur ces sites pour bénéficier d'un espace de stockage et ainsi produire une URL nécessaire à l'échange qu'ils transmettront à qui ils le désirent (à un proche comme à tout l'Internet). Pour l'uploadeur, non seulement c'est gratuit, mais en plus, dans certains business models, ce dernier se voit récompensé par un système de jetons lorsque les fichiers qu'il a placés sont beaucoup téléchargés. Ces avantages lui donneront droit à plus d'espace de stockage, le déblocage de certaines limitation de téléchargement, et dans certains cas, une rémunération. En clair, on est plus incité à uploader le dernier blockbuster hollywoodien que les photos HD du dernier repas de Noel en famille. Le plus souvent, on paye pour faire sauter les limitations sur les téléchargements. Les liens de téléchargement sont par défaut "bridés" : vitesse de téléchargement faiblardes, nombre de téléchargements simultanés limités, temps d'attente avant le lancement du téléchargement qui vous oblige à vous taper quelques pubs au passage... Pour télécharger plein pot, c'est à dire au maximum de ce que permet sa connexion, il faut donc passer à la caisse... ou utiliser un débrideur de liens, lui aussi payant...

L'offre Megaupload

Le cas de Megaupload est souvent cité lorsque l'on parle de direct download. Il s'agit d'une société plutôt opaque, domiciliée à Hong Kong dont les serveurs se trouvent en Hollande (chez Leaseweb), en Russie (chez Carpathiahost), aux USA et en Asie. Megaupload est leader sur ce marché et la société est très consciente que son réseau doit une part non négligeable de son succès aux contenus soumis à droit d'auteur échangés illégalement. Elle n'hésite d'ailleurs pas à décliner toute une palette de services autour de ces contenus (comme Megavideo, son site de streaming).

Le débrideur de liens : pour les gros téléchargeurs et les impatients, nous avons vu qu'il fallait payer les services apportant le confort attendu. Techniquement, les services centralisés de téléchargement utilisent un système propre de réécriture d'url, il y a donc des liens "normaux", c'est à dire bridés, et des liens "premiums", c'est à dire des liens débridés. La hantise du téléchargeur étant de payer pour un service x, alors que ce qu'il recherche se trouve chez y ou z, ce dernier se retourne naturellement vers ces services de débridage de liens qui ont le bon goût de supporter le décodage d'url premium sur plusieurs services de téléchargement. Pourquoi payer Megaupload et Rapidshare alors que j'ai un autre service qui me propose de tout débrider pour pas cher ? Les débrideurs sont donc une activité très rentable, ils fleurissent sur le réseau, tel FastDebrid, Megadebrideur ou ALLDebrid... Le monétiseur de liens : nous allons ici prendre l'exemple d'Awsclic. Awsclic se décrit comme "un service de raccourcissement d'URL qui vous permet d’être payé lorsque vous partagez vos liens sur Internet!". En clair, je me balade sur Google News, je tombe sur un article sympa, je souhaite le partager, j'écris donc un billet sur mon blog, et au lieu de mettre un lien direct sur l'article, je place un lien réécrit par Awsclic qui va me permettre de me faire du pognon en partageant le travail d'un autre. Awsclic est un véritable cancer qui fait maintenant même son apparition sur Twitter, certains utilisateurs n'hésitent pas à utiliser ce service pour retweeter des liens d'autres utilisateurs, ou pour leurs propres contenus. Résultat pour l'internaute, non seulement il se mange la pub du site initialement ciblé, mais voilà qu'il se tape en plus maintenant une pub, avec une étape supplémentaire entre le site d'origine et le site hébergeant le contenu. Appliqué aux contenus soumis à copyright, on a ici un service providentiel pour certains wareziens plus soucieux de leurs profits que du sort du partage culturel désintéressé entre internautes. Awsclic ne peut pas ne pas savoir que son service sert aussi et surtout, à monétiser des contenus illicites. D'origine française, ce service est doté des conditions d'utilisation amusantes à lire quand on a déjà un peu surfé sur l'un des innombrables site de warez qui utilisent ce machin. Si vous avez envie de vous renseigner sur les pratiques de certains, je vous recommande chaudement la lecture du paragraphe "Utilisations interdites d'AwsClic.com". La partie visible de l'iceberg : elle prend souvent la forme d'un blog ou d'un forum (bref n'importe quoi qui peut aider les neuneus qui ne savent pas faire une recherche sur Google), sur laquelle les liens monétisés comme décrit ci-dessus, sont publiés par un staff, ou par des uploadeurs. Les uploadeurs sont rémunérés (une poignée de centimes) à chaque fois que les fichiers qu'ils ont mis en ligne sont téléchargés. Dans certains cas, les accès aux liens sont vendus (il faut payer pour se créer un compte), les administrateurs iront également se rémunérer sur la vente de compte de débridage (quand ce n'est pas eux-même qui opèrent aussi le service de débridage de lien) ou toucheront leur petite commission sur la vente d'accès VPN. Tout ceci bien évidemment vient en complément des publicités affichées sur les pages web. Je vous épargne donc le couplet sur les régies publicitaires véreuses qui mériteraient un billet à elles seules. HADOPI semble un intarissable fond de commerce, ce juteux business n'en serait surement pas là aujourd'hui sans son concours. C'est quelque chose qui n’apparaît pas dans le premier bilan de l'autorité, c'est pourtant bien réel. Il faut bien comprendre qu'en tuant les échanges peer to peer, HADOPI est la cause directe d'une migration massive vers ces solutions. L'Autorité peut se cacher derrière son petit doigt en arguant du fait que grâce à ses 100 000 mails envoyés, 4% d'internautes ont pour le moment arrêté de télécharger (comprenez qu'ils sont en recherche d'une solution de contournement).

Tout le monde a intérêt à ce que ça fonctionne mal

Dans cet univers de faux-culs, ce qu'on ne vous raconte pas, c'est que tout le monde a un intérêt à ce que Megaupload "rame". - Le fournisseurs d'accès Orange qui paye sa bande passante à Cogent, le transitaire - Cogent le transitaire qui a tout intérêt à louer une nouvelle fibre à Orange - Et plus surprenant, mais logique... Megaupload qui trouve aussi son intérêt car ceci décide les utilisateurs à passer à la caisse, c'est à dire à l'offre premium qui promet un meilleur débit. Depuis quelques années, qui coïncident avec l'apparition du phénomène massif de téléchargement, les FAI, se plaisent à prophétiser l'apocalypse. "Le réseau est saturé", "les sites de vidéo comme Youtube ou Megapuload devraient payer la bande passante utilisée par nos abonnés pour y accéder", "on est arrivé au bord des Internets, on va tomber dans le vide", "on va tous mourir", etc, etc... Selon le théorème "pleurnicheries = perfusion de brouzoufs = rentabilité", testé et approuvé par les moines copistes de CD et DVD, plus ça va mal, plus on a d'arguments pour partager le gâteau du voisin... mais jamais le sien. On a eu l'exemple en image l'année dernière à l'occasion des débats sur la neutralité du Net organisés par l'ARCEP avec Free qui voulait partager les revenus de Dailymotion parce que ce dernier consomme beaucoup de bande passante et Dailymotion qui voulait partager les revenus de Free au prétexte que lui au moins, il fournit du contenu (même si ce dernier est généré par les utilisateurs).

L'affaire Orange Vs Megaupload

Maintenant que nous sommes à peu près au point sur le contexte, nous allons nous intéresser à l'affaire qui motive ce billet. Je vais ici vous expliquer pourquoi j'ai envie d'en prendre un pour taper sur l'autre. Voici le résumé du feuilleton (version courte) : - De nombreux internautes se plaignent, les captures d'écran et les mesures comparatives de débit fleurissent. Et il n'y a pas photo, chez Orange, c'est lent, très lent, anormalement lent... - Megaupload accuse Orange de brider l'accès vers son site ; - Orange dément : "quoi moi filtrer!?... mais que neni!" ; - Orange a trouvé un responsable (surement sans même avoir pris soin d'auditer le problème), il accuse donc Cogent ; - Cogent qui doit se souvenir qu'Orange a refusé sa dernière offre de transit à la hausse, il accuse à son tour Orange ; - Megaupload en remet une couche ; - ... bref, les trois méritent des baffes. Cette histoire est au bas mot trollogène. La position de l'un comme de l'autre sont des chefs d'oeuvres d'hypocrisie. Megaupload s'offre un superbe coup de pub, et pour Orange, c'est l'occasion rêvée d' un petit coup de lobbying à aller expliquer aux politiques que "c'est pas normal que des sociétés étrangères exploitent les ressources de notre réseau à nous sans payer". Sauf que voilà, monétiser l'accès à son réseau pour délivrer un service, c'est une atteinte manifeste au principe de neutralité du Net. Les opérateurs ont ce que l'on appelle une peering policy, c'est à dire des accords d'interconnexion avec d'autres opérateurs de service. Sans rentrer dans le détail, ce qu'il faut savoir concernant ce business, c'est que les opérateurs échangent du trafic - soit par le biais d'un peering, - soit par le biais d'un transit. Le peering présente l'avantage d'être le fruit d'un accord de bonne entente entre les deux opérateurs, le transit lui, souvent payant implique un tiers. Dans notre affaire, le transitaire, c'est Cogent, et c'est sur ce dernier qu'Orange pointe son doigt accusateur en expliquant que c'est lui qui fait mal son travail. Orange n'ira pas avouer que depuis HADOPI, sa facture de transit a explosé. Pourquoi ? Tout simplement parce que les teraoctets de bande passante qui s'échangeaient en peering entre internautes situés en France ne coûtait rien aux opérateurs. Depuis qu'HADOPI a déplacé le problème de l'échange en dehors de nos frontières et de nos accords de peering, les internautes vont chercher leur consommation culturelle chez des opérateurs avec lesquels leur fournisseur d'accès n'a pas de peering. Sachez qu'on parle aujourd'hui d'Orange mais il faudrait que je prenne le temps de vous parler de la peering policy de Free qui dans le genre débile n'a pas de leçons à recevoir d'Orange... mais c'est un autre débat et Benjamin Bayart le fait d'ailleurs bien mieux que moi..

Une histoire de neutralité

Certes, Orange ne va pas couper l'accès à Megaupload, ce serait un peu trop voyant. Il perdrait la poignée de clients de moins de 65 ans qui lui reste et Christine Albanel serait obligée de plancher sur une "Carte Musique Vermeille". Pour ne pas que ça se voit de trop, on opère donc un doux "trafic shaping", on hiérarchise le trafic et on le prioritarise (MPLS... retenez bien ces 4 lettres, car si vous échappez au DPI, vous n'échapperez pas au MPLS...) en fonction de sa rentabilité. Les équipementiers comme Qosmos, Alcatel ou Cisco qui commercialisent les routeurs de service présentent d'ailleurs cette fonctionnalité comme un argument de vente "économisez de l'argent en prioritérisant le trafic"... voir en le filtrant. Orange cherche bien ici à masquer une discrimination d'accès à un contenu, une atteinte à la neutralité par omission : "ça rame, on le sait, Meagupload ne veut pas payer, donc on laisse ramer, aucune raison de faire en sorte que ça fonctionne mieux"... c'est aussi simple que ça. Nous sommes à un tournant historique. Non pas que la pratique de "discrimination par omission" soit nouvelle, mais à l'époque où les appétit des uns et des autres étaient moins féroces, pour palier le problème de consommation de bande passante transatlantique coûteuse sur les gros fichiers, on s'orientait vers des stratégies de cache des gros fichiers les plus téléchargés. Il y a un peu moins d'une dizaine d'années, Orange déployait des infrastructures de file caching en Hollande pour soulager la charge de certains réseaux peer to peer. Aujourd'hui, les opérateurs sont très tentés de briser le tabou de la rémunération de l'accès à leurs infrastructures. Le président d'Orange, de son propre aveu, ne connait pas grand chose à Internet. Il a par exemple zappé qu'Internet s'est construit sur cette neutralité, sur ces accords d'interconnexion entre opérateurs... d'ailleurs comme l'explique aujourd'hui Orange dans sa pub, aujourd'hui, il y a l'Internet ouvert, neutre et bien interconnecté... et l'Internet par Orange. L'orientation prise par l'opérateur parle très bien à l'étudiant en marketing que j'étais, mais elle est parfaitement inaudible au technicien que je suis devenu.

Merci HADOPI !

Il ne faut pas s'y tromper, HADOPI est bien la cause directe de cette foire d'empoigne, ou au moins un superbe accélérateur. Ce triste épisode est appelé à se reproduire, c'est mathématique. Je m'étais déjà posé la question : "l'HADOPI va t-elle dédommager les FAI"... le titre était peut être provocateur mais ça ne retire rien au caractère prémonitoire de ce billet. Et ce qui me met le plus en colère aujourd'hui, c'est que nous avions prédit tout ça. Autant de questions balayées à coup de "anéfé rejeté' par de parfaits incompétents que l'on remercie avec une belle place au chaud chez Orange à plus de 300 000 euros par an. HADOPI peut créer les Labs qu'elle veut, elle a déjà opéré une nauséabonde transformation du Net... plus policé, plus fermé mais pas plus civilisé. En plus du coût de cette mascarade pour le contribuable, il faudra maintenant compter le coût pour les opérateurs et l'impact que créerait une brèche à la neutralité sur les modalité d'accès aux infrastructures. Il deviendrait alors impossible de voir émerger un nouveau Dailymotion. Mais ça aussi l'État s'en bat l'oeil. Pour preuve : on perfuse de millions l'HADOPI en raclant un bon coup sur l'innovation.

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