Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Stanislas Jourdan

Océan de liquidités en vue !

« On y est ! » s'exclament en cœur les analystes : le mur est là, dressé devant nous.  Imminence d’un défaut de paiement de la Grèce, dégradation de la note des États-Unis, contagion de la crise de la dette souveraine à l'Italie, explosion du prix de l'or, crise de liquidités des banques françaises, blocages institutionnels, bourses en sévère dévissage...  Trois ans à peine après Lehman Brother et la pseudo rédemption de Wall Street, nous voilà de retour à la case départ.

« On y est ! » s'exclament en cœur les analystes : le mur est là, dressé devant nous.  Imminence d’un défaut de paiement de la Grèce, dégradation de la note des États-Unis, contagion de la crise de la dette souveraine à l'Italie, explosion du prix de l'or, crise de liquidités des banques françaises, blocages institutionnels, bourses en sévère dévissage...  Trois ans à peine après Lehman Brother et la pseudo rédemption de Wall Street, nous voilà de retour à la case départ.

Pourtant, si tout est prêt pour le grand règlement de comptes, personne parmi les dirigeants ne semble en mesure de proposer une solution globale, car cette crise est une accumulation de différentes crises dont l’ensemble forme une inextricable équation qui nécessite un peu de clairvoyance pour pouvoir la résoudre. Il faut penser un peu plus loin.

Les gouvernements à court de munitions

Première cause évidente du déclin de l’économie occidentale et pourtant souvent occultée, la trop faible croissance de la dernière décennie. En d’autres termes, cette crise ne date pas de 2007, mais n’est que l’aggravation de la crise latente depuis la fin des années 70 : une crise de surproduction marquée par un excès de main d’œuvre conjugué avec une trop faible demande.

Pour résoudre le problème, il a fallu développer tous les artefacts marketing possibles afin de pousser les ménages à la consommation et au crédit bancaire. Lorsque cela n’a plus suffi, on a alors tenté de stimuler l’économie par des politiques monétaires généreuses, des relances budgétaires, des politiques pro-emploi et à peu près tout ce qui était possible pour remettre l’économie sur le chemin de la croissance.

Hélas, ces politiques sont restées vaines, creusant avant tout l’endettement des états, et encourageant la création de bulles spéculatives, notamment immobilières.

Lorsque cette dernière éclate, plutôt que d’essuyer les pertes financières, américains et européens injectent des liquidités via leur banque centrale et des plans de relance budgétaires, dans une dernière tentative visant à diluer le tout et relancer la machine. Même cause, même effet : on a écarté le problème temporairement, mais le voici qui revient de plus belle. La reprise tant attendue n’est pas au rendez-vous : 1,5% de croissance en France en 2010 et 3% pour les États-Unis, c’est loin d’être suffisant pour relancer la machine à emploi et surtout, pour combler l’endettement qu’il aura fallu créer pour tenter d'éviter le désastre.

Aujourd’hui, avec des taux directeurs très bas et un endettement indécent que les investisseurs ne sont plus nécessairement prêts à cautionner, les gouvernements ont épuisés leurs munitions. Et ils doivent maintenant payer la facture...

Pas d'équilibre budgétaire sans destruction de la social-démocratie

« Je m’endette, donc je suis »

Tel est aujourd’hui le crédo des gouvernements occidentaux, pris à la gorge par leurs déficits et les marchés qui menacent leur solvabilité. Dans une forme d'instinct de survie, les politiciens au pouvoir doivent parer au plus urgent : sauver notre AAA, ce “trésor national” afin de conserver la confiance des investisseurs pour pouvoir continuer de payer les fonctionnaires, les prestations sociales et financer tout ce qui constitue les fonctions de l’État démocratique moderne. Mais pour cela, les gouvernements doivent précisément renoncer à certaines de leurs prérogatives, en découpant en petites tranches ces “acquis sociaux” qui à la faveur d’une crise financière de plus, sont subitement devenus un “luxe” : l’accès aux soins de base, les pensions de retraites, allocations chômages etc.

Mais l’austérité budgétaire et les sacrifices qui en découlent ont à peu près autant de chances de sauver l’économie que les saignées ont soigné nos ancêtres. En Grèce comme au Portugal, en Espagne et en Angleterre, les restrictions budgétaires n’ont fait que pénaliser encore plus la reprise économique. Et la même chose nous attend en France, dans une économie dirigée par un capitalisme d’État qui n’est clairement pas préparée au choc d’un virage libéral.

Les privatisations massives, par exemple, ne feraient que servir les intérêts des plus riches en leur permettant d’acquérir des biens d’État à bas prix dans une sorte de grande braderie nationale! Et la baisse drastique des prestations sociales ou la hausse des taxes en tous genre risquent d’enflammer encore plus le climat social par l’exclusion monétaire de certaines populations. Tout ceci ne présage rien de bon...

Alors, la gauche se vante de vouloir “faire payer les riches” par une hausse des prélèvements obligatoires plutôt que de diminuer les dépenses... Quelle farce ! A l’heure de la mondialisation, les entreprises et classes aisées redoubleront toujours d’imagination pour éviter de rogner sur leurs bénéfices, de sorte que ce type de réformes fiscales achèveront probablement de détruire les classes moyennes sans parvenir à vraiment toucher les « riches » (qui - accessoirement - sont de toute façon trop peu nombreux pour payer à eux seuls la facture).

Bien sûr que les gouvernements doivent renouer avec l’équilibre budgétaire . Mais tomber dans la précipitation serait pire que tout, car d'une part une partie de cette dette est illégitime, et d'autre part, car le problème n’est pas seulement quantitatif (dépenses = recettes), il est aussi et surtout qualitatif.

Comment l’argent récolté est-il dépensé ? Va-t-il aux bonnes personnes ? Peut-on mieux faire ? Voilà des questions qu’il faudrait se poser en premier lieu. Ce n’est pas le budget qu’il faut “équilibrer”, mais l’ensemble de notre modèle social. Il faut retrouver l’équilibre perdu entre justice sociale, résilience, et efficacité économique.

L’Europe à la croisée des chemins

Les européistes tentent de s’en convaincre : « cette crise n’est pas une crise de l’euro, c’est l’héritage de la crise financière de 2008 » nous conte Herman Van Rompuy. Certes, mais comment ne pas voir les énormes contraintes et contradictions que révèlent la monnaie commune dans la résolution de cette crise ?

Le raisonnement adverse, celui des souverainistes, n’est pas sans fondement : non seulement la monnaie unique pénalise les pays dits “périphériques”, par la perte de compétitivité à l’export lié à l’euro fort mais de plus, si la Grèce n’était pas dans l’euro, le pays aurait pu aisément dévaluer sa monnaie, voire même monétiser sa dette en empruntant directement auprès de sa banque centrale nationale.

N'en déplaise à Jean-Claude Trichet et aux allemands, l’inflation qui en résulterait permettrait également aux états de se désendetter progressivement. L'ajustement nécessaire pourrait ainsi être réparti sur d'autres variables que le seul ajustement budgétaire (et ses dégâts collatéraux).

Voilà des idées radicales, mais n’est-ce pas ce dont l’Europe a besoin ?

Pendant ce temps, les européistes persistent à penser que « l’euro est une monnaie stable et forte » et comptent sauver la monnaie unique grâce à davantage d’intégration économique, politique et surtout fiscale et budgétaire.

Une fiscalité plus harmonisée permettrait en effet d’éviter les effets de bords de l’évasion fiscale qui coûte si cher à l’équilibre budgétaire de certains pays. Par ailleurs, une politique budgétaire commune plus poussée permettrait (théoriquement) de s’« armer face aux marché » par l’émission de bons du trésor en commun.

Mais faire un tel pas en avant implique des efforts politiques et diplomatiques courageux. Il faudrait que certains pays comme l’Irlande, déjà en grandes difficultés, renoncent à leur avantageuse fiscalité, tandis que les pays dits “vertueux” comme l’Allemagne devraient désormais s’endetter plus cher. Bref, pour tous les pays, cela impliquerait des transferts de souveraineté supplémentaires. Mais les peuples en veulent-ils ? Cette solidarité européenne que l’on nous vante a-t-elle du sens pour les citoyens, qui n’y voient bien souvent qu’une dictature des marchés financiers, ou les turpitudes d’un peuple grec corrompu et laxiste ?

Bref, il semblerait que l’on tienne là une solution idéalement intéressante, mais qui nécessite un fastidieux processus de révision des traités européens, tout ça pour n’aboutir qu’à une solution hélas bancale et fragile, car toujours à la merci de la bonne volonté des marchés - et des peuples souverains.

 

Entre souverainisme ou fédéralisme, difficile de savoir qui a raison (les deux ?). En revanche, ce qui est sûr, c’est que les demi-solutions actuelles coûtent cher sans rien résoudre, alors que la zizanie bruxelloise décrédibilise l'Union jour après jour. Agir promptement au niveau européen est nécessaire, mais sacrifier la justice sociale pour satisfaire aux besoins des marchés n’est pas pour autant acceptable. A la tyrannie des eurocrates, il faudra à mon sens préférer l'autodétermination des peuples.

Fétichisme bancaire

Le problème c’est que l’immobilisme est entretenu par le risque systémique de faillite bancaire face auquel aucun décideur n’a de solution globale et viable. Et de plus, ce flou entretient une certaine terreur auprès des citoyens qui semblent indignés mais aussi indécis  face à tant de complexité.

Malgré les ravalements de façade, les banques européennes ne se sont toujours pas remises de la crise de 2008. Ce n’est que grâce à la générosité de la BCE et des gouvernements que les banques européennes ont pu éviter la faillite jusque ici. Près de trois ans après Lehman Brother la BCE prête toujours pas moins de 450 milliards d’euros aux banques grecques, irlandaises, espagnoles, italiennes et portugaises. Francfort a même dû autoriser des prêts de dernier ressorts aux banques irlandaises et grecques afin de leur éviter la chute (et de l’effet domino qui en résulterait sur la zone euro). Aujourd'hui encore, deux banques européennes ont manqué de liquidités en dollars et ont du les emprunter à la BCE, qui elle-même les emprunte à la FED... Entre juillet et aout, 700 milliards d'euros ont quitté l'Europe pour stabiliser les besoins de liquidités sur les marchés américains (qui ne prêtent plus aux filiales européennes).

Bref, l’application des nouvelles réglementations de Bâle III décidées suite à la crise des subprimes et censées diminuer l’effet de levier des banques semblent relever de la fiction pour plusieurs années encore.

 

Aucune leçon n'a donc été tirée de cette crise ?

Après tant de mois à nous expliquer qu'elle était derrière nous, Christine Lagarde a drôlement raison : il faut recapitaliser les banques.

Mais avec quel argent ?

Soyons réalistes : mis à part peut être quelques investisseurs étrangers qui attendent le moment

le plus critique pour saisir nos institutions bancaires à prix cassé (dans l’espoir de siphonner ultérieurement nos économie), qui serait assez fou pour investir aujourd’hui dans des banques insolvables ?

De son côté, la gauche aimerait bien nationaliser tout ça. Mais endetter davantage l’Etat est-il seulement possible à l’heure où les marchés menacent de ne plus nous prêter ? (Et d’ailleurs, quelle est la pertinence de payer des rentes aux marchés pour sauver les banques ?)

Afin d’éviter les couteuses nationalisations, Christine Lagarde suggère habilement de permettre au FESF de recapitaliser les banques. Mais une telle manœuvre ne peut être que temporaire, puisque le fonds ne fait qu’emprunter sur les marchés les liquidités qu’il investit ! Autrement dit, on continuerait de payer une rente aux investisseurs de la finance pour sauver... la finance. (Ponzi, sors de ce corps !)

Tout le monde omet bien consciemment la solution du bail-in qui serait une première étape vers un assainissement des bilans des banques. Mais honnêtement, l’effet de levier des banques françaises étant de toute façon bien trop élevé, il faudrait un miracle pour que - sans croissance - l’intégralité des crédits octroyés soient remboursés.

C’est en effet mathématique ! Quand 90% de la monnaie en circulation est de la dette (donc assujettie à intérêt) et que l'espérance de croissance est de 1% au maximum, on peut être à peu près certain de l’imminence d’une série de faillites...

Encore faut-il accepter que dans une économie libérale, la rémunération d'un risque pris par un créancier implique que ce risque se réalise parfois... Tout un programme.

Planche à billet, planche de salut

Faute d'une compréhension globale de tous ces enjeux, nous nous dirigeons tout droit vers une récession bien sale et avec bavure accompagnée de sérieuses déroutes financières, privées ou publiques. Quelle en sera le scénario exact ? Bien malin celui qui peut le prédire. Toujours est-il qu'il semble à peu près certain que les dogmes monétaristes, déjà bien décrédibilisés par l'Histoire, s’apprêtent à éclater en mille morceaux face à la pression des marchés devenus fous.

Que ce soit pour financer les états, pour refinancer les banques, ou pour rembourser les déposants des banques en faillite, voire même effacer les pertes prochaines de la BCE en cas de défaut souverain, tout cela va très certainement se finir dans un« océan de liquidités » (pour reprendre l'expression de Frédéric Lordon) ...

C'est inéluctable : une fois que le chateau de carte du crédit se sera effondré, la planche à billet sera la dernière solution pour la reconstituer les avoirs monétaires.

Mais à qui cela va-t-il profiter ? C’est à cela qu’il faut réfléchir dès aujourd’hui !


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