Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Antoine Champagne - kitetoa

Non mais c'est quoi ces blogueurs qui critiquent les journalistes ?

Le dernier article de Reflets sur les journaux qui bâtonnent ou tout simplement copient/collent des dépêches d'agences fait couler de l'encre sur Twitter. Or, 140 caractères pour répondre aux critiques, c'est un peu court. La discussion entamée sur Twitter réunissait initialement @VCquz , @Citizen_Sam et @alberror. Le premier travaillant, si j'ai bien compris chez Arrêt sur Images, le deuxième, est "rédacteur en chef du délire", le troisième travaille à ZDNet. Tous trois, donc, journalistes.

Le dernier article de Reflets sur les journaux qui bâtonnent ou tout simplement copient/collent des dépêches d'agences fait couler de l'encre sur Twitter. Or, 140 caractères pour répondre aux critiques, c'est un peu court. La discussion entamée sur Twitter réunissait initialement @VCquz , @Citizen_Sam et @alberror. Le premier travaillant, si j'ai bien compris chez Arrêt sur Images, le deuxième, est "rédacteur en chef du délire", le troisième travaille à ZDNet. Tous trois, donc, journalistes. Leur argumentaire est grosso-modo le suivant. Reflets est légitime quand il parle de Deep Packet Inspection (et encore, il manque, paraît-il, des preuves de ce que l'on écrit) mais pas du tout lorsqu'il parle de journalisme.

Dire que les groupes de presse produisent des articles de qualité médiocre, copient/collent des dépêches à longueur de journée pour essayer d'avoir l'air de produire quelque chose sur le Web, dire qu'ils sont désormais détenus par des industriels qui n'en attendent rien d'autre qu'une rentabilité à deux chiffres, que ces industriels ne savent pas ce que c'est que la presse, qu'ils réduisent les coûts là où ils ne devraient pas le faire, dire que les journalistes n'ont plus les moyens de travailler correctement, tout ça, c'est mal. Pourquoi ? Parce que l'on réduit ce qui est dit à : "vous n'aimez pas les journalistes".

Triste constat pour quelqu'un qui a 25 ans de journalisme dans les pattes. Ne pas aimer son métier ? Ce serait dommage d'avoir passé tant de temps à écrire...

Reprenons.

Nous aimons les journalistes. Nous leur souhaitons de pouvoir continuer (à l'avenir) de nous informer, de nous émerveiller, de nous éclairer. Ils sont nombreux à le faire. Le problème tient plus aux dirigeants des groupes de presse qui leur mettent des bâtons dans les roues/stylos, en permanence. Les sites Web comme réponse au déclin du papier sont devenus des machines à copier/coller des dépêches, les forçats du desk dans lesdits journaux sont les esclaves modernes du journalisme, payés au lance pierre avec des horaires indécents. La plupart du temps...

Arrêt sur Images ou Acrimed se font régulièrement l'écho des dérives d'une presse qui cherche le clic comme l'alchimiste la pierre philosophale. A tel point qu'elle multiplie les titres putassier au détriment du contenu, pour attirer le cliqueur. Ce n'est pas le journalisme qui me motive et ce n'est sans doute pas le journalisme qui motive les journalistes qui sont forcés de produire ces articles.

Le métier du journaliste, c'est aussi, pour certains, travailler sur dépêches. Ce n'est pas honteux. En revanche, enrichir une dépêche devrait être un réflexe naturel. Il semble incongru au pauvre et humble simple blogueur que je suis, de constater que dans "l'article" du Point, une phrase n'ait pas été ajoutée afin d'indiquer que venant d'un politique (issu de ?) d'extrême droite, la petite phrase sur Christiane Taubira était particulièrement croquignolesque.

Pourquoi cette phrase n'a-t-elle pas été ajoutée ? Manque de moyens ? Pas vu l'intérêt ? Il faudrait poser la question au journaliste qui a copié/collé la dépêche. Ou plutôt à son chef de service qui aurait dû lui dire de le faire.

L'absence de cette phrase contribue-t-elle à décerveler les lecteurs ? Premier point, ce n'était pas à l'AFP d'ajouter ce contexte. L'AFP est une agence de presse et il est heureux qu'elle se concentre majoritairement sur les faits plus que sur le commentaire. Pour le journaliste qui va répercuter ce fait, c'est un peu dommage de ne pas ajouter le contexte. Le lecteur de 20 ans qui lit cette dépêche n'a probablement pas conscience que Gérard Longuet a un lourd passé à l'extrême droite de l'échiquier politique. Il peut donc en effet être induit en erreur. Il peut très bien prendre cette petite phrase au premier degré, la faire sienne et voter sans être parfaitement éclairé sur l'ami Gérard.

Plus tard dans la discussion sur Twitter, @greglemarchand me fait remarquer que l'AFP produit des reportages essentiels (c'est moi qui le dit) sur ce qui se passe dans le monde. Et il cite deux exemples. Parmi tant d'autres.

Je l'ai dit, l'AFP n'avait pas vocation, dans cette dépêche à ajouter le contexte extrême-droitier de Gérard Longuet. Le lecteur lambda lit rarement l'AFP à part via des dépêches copiées collées dans des journaux. En revanche, le lecteur lambda, comme moi, qui lit un article d'un journal comme Le Point, attend une valeur ajoutée. Sinon, à quoi servent les journalistes qui y travaillent ?

Il est par ailleurs triste de constater que le site du Point donne plus de place à des dépêches qui permettent de meubler et de faire croire à un fil continu d'informations qu'à des reportages comme ceux pointés par Grégoire Lemarchand.

Nous allons sous peu vous proposer un reportage photos de ce type sur Reflets. Vous verrez, c'est plus intéressant qu'une petite phrase de Gérard Longuet.

Et généralement, cela permet au lecteur d'apprendre des choses, de s'ouvrir au monde, bref, l'inverse de l'effet produit par les articles qui relatent des petites phrases, en continu, l'une chassant immédiatement l'autre. Le rôle du journaliste n'est à mon sens pas de créer du buzz. Mais de donner à réfléchir sur la marche du monde.

Nous vous parlerons aussi, prochainement, du métier de photographe et de ce que les patrons de presse sont en train d'en faire. C'est sans doute pire que ce qu'ils font au journalisme écrit.

Pour finir, @VCquz nous signale que nous ne pouvons nous placer dans la catégorie des journalistes d'enquête (par opposition aux journalistes assis) puisque nous n'allons ni en Libye, ni en Syrie, pour enquêter.

Premier point, Reflets n'a ni les moyens financiers, ni l'infrastructure pour que nous allions aujourd'hui en Syrie ou en Libye. Ceci dit, c'est mal nous connaître car des membres de Reflets ont fait le déplacement sur le terrain, dans des pays voisins, notamment, pour aider les opposants. D'autres ont participé à des opérations avec Telecomix pour aider à exfiltrer des informations sur la situation sur place.

En outre, c'est mal comprendre ce que nous entendons par journalisme assis. Il s'agit pour nous des éditocrates qui se contentent de commenter le travail de leurs confrères ou les petites phrases des politiques et de crier "des preuves ! Où sont les preuves ?". On peut être journaliste sans bouger de sa chaise et faire des enquêtes visant à sortir des informations qui ne se trouvent pas ailleurs. Ce n'est pas, à notre sens du journalisme assis. Mediapart joue parfaitement ce rôle, comme le Canard Enchaîné. Je ne crois pas que Claude Angeli soit allé en Syrie récemment mais ses articles sont une mine d'informations.

Sur ce point, on peut aussi préciser que Reflets, qui a des moyens extrêmement limités, a fait des choix qui mettent en danger son existence. En dévoilant les petites affaires de Bull et Amesys, de Blue Coat, nous savons que les moyens dans le camp d'en face sont largement plus importants que les nôtres. Cela nous indiffère. Lorsque nous écrivons -sans preuves nous disent ceux qui réclament des fac-simile des documents d'Amesys- sur Bull et Amesys, nous savons pertinemment qu'il n'y a pas un actionnaire ou une entreprise pour prendre en charge les frais financiers liés à un éventuel procès. Ce seront les comptes de Reflets, et nos portefeuilles personnels qui seront affectés. C'est un peu moins facile que dans une rédaction de journal classique.

Tiens... A propos de procès... Nous ne publions pas de fac-simile de nos preuves. Et pourtant, nous n'avons encore reçu aucune convocation dans le cadre d'un procès pour diffamation. Étonnant, non ?

En même temps, serions nous assez illuminés pour écrire que Amesys a versé une somme de 130.000 euros au Xème festival mondial des Arts Nègres au Sénégal, probablement pour ouvrir des portes, si nous n'en avions pas la preuve ?

EOF

 

Edit 11/10/2013   : @alberror a écrit un article en réponse à celui que vous venez de lire. C'est ici.

0 Commentaires
Une info, un document ? Contactez-nous de façon sécurisée