Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

Manuel de politique française pour les nuls (3)

La gauche française 1. Les différents courants de la gauche française Terriblement casse-gueule de rassembler tous les courants et idéologies constituant la gauche française en peu de mots.

La gauche française

1. Les différents courants de la gauche française

Terriblement casse-gueule de rassembler tous les courants et idéologies constituant la gauche française en peu de mots. Parce qu'il y a eu l'URSS, le PCF (Parti communiste français) des branches opposées au sein des courants révolutionnaires socialo-communistes d'origine puis réformateurs par la suite, des socialistes (SFIO) qui par la suite ont changé fortement, des autonomistes, libertaires et autres trotskistes : bref, la gauche, si on est honnête, ça a longtemps été un vaste bordel. Mais c'est assez logique puisqu'elle est censée à l'origine transformer la société, à l'opposé de la droite qui veut maintenir la société dans sa structure sociale et économique.

Débutons par les années 70, c'est un manuel pour les nuls pas un traité d'histoire politique : c'est là que le basculement se fait puisque depuis 1958 la gauche est pointée du doigt comme soutien au régime soviétique, révolutionnaire, donc déclarée dangereuse par le camp gaulliste  et la droite en général. La droite est restée au pouvoir de 1958 à 1981. De Gaulle, Pompidou, Giscard : la Vème république est conservatrice durant 23 ans. C'est à partir des événements de 1968, du référendum de 1969 (qui décide du départ du général) que la gauche française va véritablement prendre forme en termes de force politique concrète pour ceux qui l'observent aujourd'hui. Avec deux politiciens qui tiennent le haut du pavé : François Mitterand pour le Parti socialiste et Georges Marchais pour le Parti Communiste au départ.

En fait, si le PCF existe depuis 1920, le PS qu'on connaît aujourd'hui, lui, ne voit le jour qu'en 1969, et ne se formalise véritablement qu'en 1971 au fameux congrès d'Epinay. Le PSU, créé dix ans auparavant, et censé réunir plusieurs courants socialistes ainsi que des dissidents communistes va continuer tant bien que mal à essayer d'exister dans l'ombre du PS mais finira par disparaître dans les années 80. Le PS de 1971-72, c'est l'idée d'un programme commun (socialistes et communistes) pour battre la droite. Son premier secrétaire est François Mitterrand : l'élection de 1974 contre Giscard au deuxième tour, bien que perdue, va lancer ce parti à la conquête du pouvoir, conquête qui réussira en 1981, comme chacun le sait.

Mais Mittrerand n'est pas un débutant : il a recueilli 44% contre De Gaulle en 1965 soutenu par le PCF et a été ministre à plusieurs reprises depuis l'après-guerre des différents gouvernements…de droite. A l'époque, le discours idéologique de la gauche est assez clair : collectiviste, proche des origines idéologique "des socialismes". Le PCF est bien plus puissant à cette époque que les différents partis socialistes et  il commence à se détacher de Moscou, réprouve le printemps de Pragues. Ce qui réunit ces gauches peut être résumé dans quelques notions : anti-colonialisme, marxisme, syndicalisme, collectivisme, internationalisme, réformisme…

Mais foin de trop de détails : le programme commun sera abandonné par le PCF en 1978, et Mitterrand gagne l'élection de 1981.

2.L'action politique de la gauche en général

Houla. Pas simple du tout. Mais alors pas du tout. Disons que pour comprendre ce qu'est la gauche française depuis 30 ans il faut regarder en premier lieu l'action du gouvernement Mauroy avec ses trois ministres communistes (même si Marchais et le PCF ont fait campagne contre Mitterrand déclarant qu'il ferait une politique de droite s'il était élu)  de 1981 à 1984 : la gauche au pouvoir applique un programme…de gauche qui n'est bien entendu plus révolutionnaire au sens stricte du terme mais conserve tout de même des fondamentaux importants : soutien au monde ouvrier et réforme du monde du travail par exemple. Logique : Mitterrand a arpenté les usines et s'est fait élire grâce au soutien des "classes populaires", ce qu'on appelle encore à l'époque le prolétariat.  Mais beaucoup aussi grâce à la jeunesse.

Enfin, toujours est-il que les grandes actions de la gauche au pouvoir entre 81 et 84 sont les suivantes et marquent une époque : abolition de la peine de mort, cinquième semaine de congés payés, passage aux 39 heures hebdomadaires, augmentation du smic de 10%, de 25% des allocations familiales et de logement, de 20% des allocations handicap, suppression des lois de "délit homosexuel" (avec entre autres la suppression de la clause d'annulation de droit de bail pour le "mode de vie homosexuel"), autorisation des radios libres, régularisation des étrangers en situation irrégulière (ayant un travail), blocage des prix, création de l'impôt sur la fortune, retraite à 60 ans, majorité sexuelle à 15 ans, lois de nationalisation (entre autres des grandes banques), loi sur l'égalité des salaires homme-femme…

A l'époque, ces actions politiques sont majeures : elles marquent une empreinte totalement différente de celle de la droite, transforment profondément la société : des verrous sautent, ceux qui définissaient la "vieille société de droite réactionnaire", particulièrement ceux sur la peine de mort, l'homosexualité, le travail, les aides sociales, la liberté des ondes. Mais cette gauche qui "libère" la société et rétablit de la justice sociale, soutient les travailleurs, et les minorités, canalise le grand capital, re-nationalise des outils de production ou des structures financières va rapidement changer d'orientation.

2. La gauche des 80's : le PS, Mitterrand, Delors, l'europe et le libéralisme

Ce qu'il faut bien envisager en termes d'idéologie et d'action politique concrète c'est que le gouvernement Mauroy a été le seul a appliquer une politique réellement de gauche depuis ces trente dernière années. Parce qu'à partir de 1984, avec le gouvernement de Laurent Fabius, le virage vers un "socialisme libéral" est très net. Au sein du gouvernement Fabius, plus aucun communiste, uniquement des socialistes et une conversion au "marché" assez rapide. Arrive donc la privatisation de l'audiovisuel (Canal+, 1984) et la signature deux ans plus tard de l'acte unique européen par la grâce de Jacques Delors. C'est à ce moment que se situe le "basculement" de la gauche socialiste en France.

Jacques Delors, qui a été ministre de l'économie de Mauroy, est devenu en 1985 président de l'ancêtre de la Commission européenne (appelée alors Commission des communautés européennes). Delors, c'est un ancien du PSU, expert économique, membre de la Commission du plan dans les années 60 et surtout membre du conseil de la Banque de France. Le père de Martine Aubry (et oui…) est aussi le père du tournant de la rigueur dès 1982, mais surtout celui qui va inventer l'Europe libérale que nous connaissons aujourd'hui. Sans Delors, pas de marché commun, pas de traité de Masstrich, pas d'euro non plus. Parce que l'euro, voulu par Mitterrand (pour contrer le deutsmark, troisième monnaie la plus forte au monde après le dollar et le yen), les allemands n'en veulent pas.

L'accord entre Mitterrand, Delors et Kohl est simple : si vous les Allemands vous acceptez Maastrich (et donc l'euro qui va avec et que vous craignez parce que votre monnaie est au top), nous libéralisons le système boursier comme vous le souhaitez.

Oui, oui : les flux financiers sont entièrement "libérés" par les socialistes :  la libéralisation des mouvements de capitaux accompagnée ensuite par la dérégulation des marchés financiers est l'œuvre de Mitterrand et Delors, aidés et soutenus par Henri Chavranski à la tête de l'OCDE et Michel Camdessus au FMI. En 1986, alors que la droite gagne les législatives et que Chirac s'empresse de privatiser à tour de bras, les socialistes ont déjà tourné leur veste et sont devenus des socio-libéraux.

D'ailleurs, la constitution de la BCE basée sur le modèle de la Bundesbank (la banque centrale allemande) est inscrite dans le traité de Maastrich, traité poussé et défendu par les socialistes avec une virulence surprenante. Les "années fric" avec le "modèle Bernard Tapie " sont celles de 1984-1990 : le socialisme s'est modifié radicalement. Les communistes font grise mine, les autres n'existent quasiment pas à gauche.

3. Les années 90 : où est la gauche ?

Le deuxième mandat de Mitterrand de 88 à 95 est une sorte de de confirmation de cette "nouvelle gauche socialiste" : arrogante, presque intégralement convertie au libéralisme, européiste, élitiste et mondialiste, une sorte de droite sociale en réalité, et qui ne s'avouerait pas sa conversion aux modalités de l'économie de "marché". La "gauche-caviar" comme on l'appelle à l'époque. Toute la marche glorieuse vers la mondialisation tant décriée en 2012 en France est menée par les socialistes des années 90 qui sont pour la plupart les mêmes qu'aujourd'hui. Puisqu'on trouve par exemple au milieu des années 90 les socialistes suivants : Martine Aubry, Dominique Strauss-Khan, François Hollande, Pierre Moscovici, Ségolène Royal…

Et les communistes, les radicaux de gauche dans tout ça ? Pas grand chose : le rouleau compresseur socialiste mitterrandien les a presque anéantis à partir de la fin des années 80 (ou réduits à récupérer des miettes pour les radicaux). Et puis il y a la disparition de l'Union soviétique qui laisse quand même le PCF dans un état de stupeur politique assez unique dans l'histoire. En parallèle, le vote ouvrier a commencé dès le milieu des années 80 à basculer vers le FN, chez Le Pen qui a bien compris que la politique socialiste n'était plus dirigée vers les couches populaires mais plutôt vers une classe moyenne en forte progression : sa stratégie d'aspiration du vote contestataire, vote qui était jusqu'alors plutôt orienté vers les "partis ouvriers" finira par payer puisque le borgne arrivera au deuxième tour de la présidentielle de 2002 alors que le PCF, agonisant se verra crédité de…3,3% !

4. Le PS règne en maître à droite de la gauche

…et abandonne quasi officiellement les fondamentaux du socialisme pour la "sociale-démocratie" avec le gouvernement Jospin. En 1997, la dissolution de l'assemblée nationale de Chirac permet à la gauche plurielle (une alliance des socialistes, des écologistes, radicaux de gauche et communistes) de remporter les législatives anticipées. Un gouvernement socialiste de cohabitation s'installe. En 5 ans, le gouvernement Jospin va ouvrir le capital de France Telecom au secteur privé, de Thomson Multimédia, du CIC, du Crédit Lyonnais, d'Air France, d'Aérospatiale…

Les socialistes privatisent plus que le ce que ne l'avaient fait les gouvernement Balladur entre 93 et 95 et de Juppé entre 95 et 97. Avec en prime la signature du traité d'Amsterdam qui oriente l'Union européenne vers un peu plus de libéralisme : c'est un gouvernement avec une politique de droite qui est aux manettes mais qui essaye de modérer cet aspect des choses en plaçant ici ou là des mesures dites "de gauche" : mise en place de 35 heures, du PACS,  de la CMU. L'idée est avant tout de jouer la carte progressiste tout en allant vers une sociale démocratie libérale et mondialisée. Jospin laisse les première délocalisations massives s'opérer sans broncher, allant jusqu'à répondre en 2001 "l'Etat ne peut pas tout" quand Michelin envoie plus de 1000 ouvriers à la case chômage tout en brandissant des super-bénéfices. La bourse fait monter l'action Michelin et les socialistes deviennent infréquentables pour les derniers militants vraiment de gauche.

D'ailleurs l'élection de 2002 ne s'y trompe pas : Jospin n'arrive pas au second tour, doublé par le Front national. Les socialistes découvrent qu'ils n'ont plus beaucoup d'électeurs. Viennent alors les années de "réflexion" de la gauche atomisée.

5. De 2002 à nos jours : La gauche n'existe plus, ou si peu

Entre 2002 et 2007, les socialistes cherchent leurs marques tandis que le PCF essaye de ne pas disparaître. Les écologistes commencent à exister un peu plus, leur mouvement parvient à faire quelques scores honorables aux européennes. Mais en termes de partis politiques, hormis le PS, il n'y a plus grand chose qui pèse à gauche. Et le problème va s'accentuer avec le référendum pour ou contre la constitution européenne en 2005. L'idée est très simple : voulez-vous une constitution qui engage les Etats signataires sur le très long terme, constitution qui scelle dans le marbre une Europe libérale, dérégulée, sans aucune contrepartie sociale ? La droite, qui a écrit cette constitution (c'est Valéry Giscard d'Estaing qui en l'un des maîtres d'œuvre) est enchantée et fait campagne pour le "oui" avec entrain. Normal et logique. Là où ça se corse, c'est que les ténors du PS sont tous partisans du "oui" à la constitution ultra-libérale et profondément antinomique avec une politique de gauche. Seuls quelques voix dissidentes appelant au "non" se font faites entendre : Mélenchon, Montebourg, Emmanuelli. Petite vidéo comme piquure de rappel :

Des mois de débats populaires saisissants mèneront à une réponse négative : le PS, en plus d'être démasqué comme suppôt du libéralisme se voit profondément discrédité par le résultat du référendum. Des courants parallèles au PS se créent, une "aile gauche" composée d'Arnaud Montebourg et Henri Emmanuelli plus particulièrement. Jean-Luc Mélenchon finit par claquer la porte du PS et crée le Front de Gauche en 2008, sorte de réunion des communistes et de tous les déçus du PS pour proposer une véritable politique de gauche. Le PS envoie Ségolène Royal à la présidentielle de 2007 après une primaire fermée : la candidate socialiste, libérale et réactionnaire se fera battre à plate couture par Nicolas Sarkozy…qui fera signer en 2008 par le parlement seul une nouvelle constitution identique à celle refusée en 2005, avec l'assentiment des socialistes.

Au seuil de l'élection présidentielle, la gauche française n'est en réalité presque plus composée politiquement que du Front de gauche, crédité pour l'heure de quelques 10% d'intention de vote. Le Parti Socialiste, après la primaire ouverte de 2011 a un candidat totalement acquis aux thèses de l'Europe libérale, François Hollande, proche de Jacques Delors, et qui tente de jouer la carte d'un socialisme pragmatique et adapté au monde moderne, un candidat de la sociale-démocratie qui voudrait symboliser une sorte de politique gestionnaire qui pioche dans les solutions des uns et des autres pour rassurer le monde capitaliste tout en cherchant à contenter les électeurs demandeurs de plus de justice sociale. Le PS est un parti de la droite sociale, un parti social-démocrate tenu par des élites politiques qui ne revendiquent même plus les fondamentaux du socialisme : il est constitué de la moyenne bourgeoisie qui parle à la moyenne bourgeoisie et aux "classes moyennes". Le PS est désireux de continuer les politiques libérales qu'il a lui-même mises en place depuis 30 ans tout en cherchant à calmer les grognes d'une partie de la population avec des mesures de "justice" (fiscales, sociales). On peut dire que la gauche française a été enterrée il y a déjà bien longtemps par les socialistes, au point que plusieurs anciens ministres PS ont rejoint le gouvernement de François Fillon sur demande de Sarkozy (Besson, Kouchner), ou accepté des "missions" données par Nicolas Sarkozy comme Jack Lang.

Pour conclure : la France vit une période économiquement violente, socialement destructrice, une crise profonde qui affecte une grande partie de la société et génère des inégalités jusque là encore inconnues. Que cette crise globale a été générée par une politique libérale de droite, tant avec des gouvernement déclarés de ce côté politique que des gouvernements déclarés socialistes ou sociaux démocrates. Et qu'il n'y a plus qu'une seule formation politique défendant un véritable programme de gauche, le Front de Gauche, mais que celle-ci n'a quasiment aucune chance d'aller au deuxième tour. Ce qui voudrait dire qu'en France, le jeu politique deviendrait celui des Etats-Unis avec deux grands partis politiques de droite : l'un à tendance progressiste, le PS l'autre conservateur, l'UMP.

Le quatrième volet à suivre sur les extrêmes détaillera les orientations des différents partis les constituant ainsi que de leur évolution au cours des 30 dernières années.http://reflets.info/manuel-de-politique-francaise-pour-les-nuls-1/http://reflets.info/manuel-de-politique-francaise-pour-les-nuls-2/

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