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Édito
par drapher

#Lustre et compagnie : la société panoptique est enfin là !

(Allons, allons, nous n'allons pas nous laisser aller, non, non, non : tout se passe comme si les meilleures nouvelles de Philip K. Dick étaient en train de prendre vie sous nos yeux. Pas de quoi fouetter un lolcat. Encore que…?

(Allons, allons, nous n'allons pas nous laisser aller, non, non, non : tout se passe comme si les meilleures nouvelles de Philip K. Dick étaient en train de prendre vie sous nos yeux. Pas de quoi fouetter un lolcat. Encore que…? Petite visite en toute autonomie de l'espace actuel, ce monde glacial du totalitarisme fun et communicant, un truc qui te laisse le choix entre : rester devant BFMTV ou reprendre un treizième verre de whisky en méditant sur la poule et l'œuf, voire sur Michel Foucault)

Il y a comme un frisson glacial qui saisit ceux qui ont vécu longtemps dans ce pays à la longue histoire : la France. Des personnes nées avant la seconde guerre mondiale, par exemple, qui à l'orée de leur vie n'ont plus grand chose à attendre de quoi que ce soit, et qui pourtant, s'inquiètent. Très fortement. Peut-être pour leurs enfants ou petits-enfants ? Possible. Ce sont des gens qui ont vu des choses, que ceux nés plus tard, imaginent vaguement, à travers des écrans, sans vraiment trop y croire, ou en les transformant, ces choses, en quelque chose de caricatural et d'improbable.

Il est de bon ton sur le réseau de faire taire à grands coups de points Godwin celui qui opère une comparaison entre notre époque et celle du nazisme. Il est aussi fréquent de lire l'amalgame entre fascisme et nazisme, comme si le premier devait se confondre obligatoirement avec le second. Triste époque, s'il en est, que celle où l'histoire n'est souvent connue qu'à travers des déformations savamment entretenues par des programmes scolaires débilitants.

Il faut donc remettre des mots au goût du jour, amener des nouveaux concepts. Raconter autrement la réalité, la vraie. Parce que l'histoire ne se répète peut-être pas entièrement, que les repères ont entièrement bougé, que plus rien n'est comme avant. Avec pourtant des résultats qui pourraient s'avérer équivalents, ou pires que ceux d'une époque décidément bien encombrante mais qui permet le plus souvent de contourner la réalité en pratiquant la comparaison.

Mais qu'est-ce qu'il se passe ?

La question peut paraître naïve, mais à peu près tout autour de nous, nous oblige à se la poser : la société n'est plus celle d'il y a 30 ans. Ni celle d'il y a 10 ans. Les révélations de Wikileaks, puis celles d'Edward Snowden permettent d'ailleurs de confirmer des quasi-certitudes, déjà développées dans les colonnes de Reflets : ce qui est "vendu" au public des grandes puissances, et ce qu'est en réalité la société ainsi que ceux qui la "dirigent" sont deux choses bien différentes. Les chiffres assomment les populations, utiles pour de longs et creux argumentaires manipulables à l'infini : croissance négative, croissance de +0,9 l'année suivante, chômage de 3,36 millions de personnes, en catégorie A, 26% de bonnes opinions, 70 millions de communications écoutées, 33% de bonnes opinions, troisième parti de France, intentions de vote de 20%, déficit extérieur de 64 milliards d'euros… Que faire de toutes ces données plus ou moins fiables ? Pas grand chose, si ce n'est constater que "ça va moins bien ma brave dame". Oui, ça va moins bien. Normal, logique, implacable : quelques pièces du puzzle permettent assez vite de comprendre pourquoi, et de nombreux articles de Reflets ont tenté d'y parvenir. Mais le sujet n'est pas là. Le sujet qui nous préoccupe est : que se passe-t-il vraiment, en ce moment ?

L'aveu ?

En 2013, il y a des phénomènes très intéressants qui permettent d'ébaucher un tableau assez réaliste de la situation véritable qui nous entoure. Le premier est politique. Un homme est élu un an et demi auparavant et démontre aujourd'hui quelque chose d'incroyable : il n'y a plus de pouvoir politique véritable en France. On pouvait s'en douter un peu auparavant, mais pas à ce point là. Plus rien n'est possible avec ce président : ses décisions, son orientation sont en totale opposition avec son discours politique pré-électoral, il plie en permanence, cherche à entretenir l'illusion du pouvoir, mais chacune de ses tentatives démontre le contraire. Le roi est nu, ou le laisse croire. Le fait-il exprès ? On peut en douter.

Le deuxième phénomène est économique : une grande partie de la population n'arrive plus à faire correspondre ses revenus avec les besoins de l'époque. Abus des prix du logement, ententes sur l'énergie, monopoles de l'agro-alimentaire, lobbies, accords entre politiques et dirigeants du privé : la population française est désormais au courant de la prise d'otage économique dans laquelle elle se trouve. Mais d'autres phénomènes très importants viennent se greffer sur ces deux premiers, désormais évidents, et l'un d'eux est central : celui de la mise en place d'une société panoptique.

" L'objectif de la structure panoptique est de permettre à un gardien, logé dans une tour centrale, d'observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci puissent savoir s'ils sont observés. Ce dispositif devait ainsi créer un « sentiment d'omniscience invisible » chez les détenus. Le philosophe et historien Michel Foucault, dans Surveiller et punir (1975), en fait le modèle abstrait d'une société disciplinaire, inaugurant une longue série d'études sur le dispositif panoptique. (source Wikipedia)".

L'un des contributeurs de Reflets, Jet Lambda, a publié l'année dernière un ouvrage "Attentifs ensemble ! L'injonction au bonheur sécuritaire" qui traite de la surveillance, de la société panoptique, et creuse avec brio ces concepts.

Le moment tant redouté

Récemment, sur une chaîne de télévision, Jacques Attali, questionné sur les présidents qu'il conseillait, avouait que la hantise de Chirac et Sarkozy était "de voir leur tête plantée sur une pique". Etonnante confession qui démontre l'état d'esprit de ceux qui nous dirigent, ou tentent de le laisser croire. Ces "fusibles de la République" seraient donc inquiets que la population vienne s'en prendre à eux ? Pourquoi pas, sachant que de nombreux dispositifs visibles ont été mis en place pour "canaliser" la dite population, lui imposer des appareils d'Etats de contrôle : radars et caméras en premier lieu, bientôt compteurs électriques intelligents.

Mais le génie de l'invention des frères Bentham, inventeurs de la structure panoptique, n'est pas d'effrayer les détenus, et dans notre cas, les citoyens, mais au contraire de ne pas montrer cette surveillance tout en créant le sentiment de surveillance, ce fameux sentiment d'omniscience invisible. La société disciplinaire, déjà en place, est donc une nouvelle forme de contrat social. Terrifiant. Digne des œuvres d'anticipation, mais bien réel.

C'est une société basée en premier lieu sur la peur d'enfreindre la loi. Et les lois sont tellement nombreuses, orientées sur des comportements acceptables ou non, que chacun s'inquiète en permanence d'être en accord avec celles-ci : vitesse sur la route, fumer ou non, réunion de plusieurs personnes, vêtements suspects, normes à respecter, la liste des possibles infractions ou déclenchements de représailles policières, voire judiciaires est devenue énorme. Mais la pire des menaces est celle des actions dont on ne connaît pas la valeur, l'intérêt, la qualité vis-à-vis du système en place ou à venir. Et c'est là où intervient le principe du système panoptique et des révélations de l'accord Lustre, de la surveillance mondiale des grandes puissances ainsi que du dernier rapport de l'UE sur la surveillance globale des citoyens par leurs propres gouvernements.

Vous acceptez de rester en prison parce que vous savez que vos gardiens vous surveillent

La question récurrente sur la valeur de la surveillance, et au final de ses effets, tourne toujours autour de la possibilité d'infraction ou non. Le bon citoyen se moquerait d'être surveillé puisqu'il n'aurait rien à se reprocher, et puis ce serait pour son bien, puisque l'Etat le protègerait des "méchants" en les arrêtant, ces méchants, grâce à la dite surveillance. Sauf que nous découvrons que dans le cas d'une surveillance de masse, l'Etat ne cherche plus à surveiller les méchants, mais tout un chacun. Ce qui signifie que l'Etat et ses représentants estiment que leur propre population est l'ennemi. Ou bien simplement des détenus, ce qui revient un peu au même.

L'Etat enferme donc les citoyens dans une prison imaginaire, mais qui grâce à ce système, qui se veut omniscient, entretient chaque individu dans sa cellule, avec les règles propres à la prison, sur les promenades, le travail, le coucher, le levé, et une certaine latitude, mais que chacun sait bien limitée : le gardien surveille chacun de ses faits et gestes, prévient la rébellion, les tentatives pour mettre en cause l'Etat panoptique. Ainsi, avec vos mails, vos échanges sur les réseaux sociaux, vos appels, vos relations, les relations de vos relations, le système panoptique crée une gigantesque base de connaissance qu'il peut fouiller à tout moment. Cela lui permet par exemple d'être avant les syndicalistes sur les lieux de manifestations. De connaître intimement les leaders de mouvements contestataires. De prévenir et contrer le moment où la grogne deviendra remise en question du pouvoir en place. Et chacun de se demander s'il peut se permettre de… parce que le dispositif le connait peut-être, sait peut-être ce qu'il pense et ce qu'il veut faire.

Ainsi, la grande prison française pourrait perdurer telle qu'elle est. Pour le plus grand bien de ceux qui détiennent les clés, aidés de leurs valets, les "fusibles de la République", qui se font élire par ceux qui craignent que leurs maîtres ne les brime. Le grand troupeau que le général appelait "les veaux".

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