Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

L'open-data, les ours blancs et nous

L'open-data c'est très cool. Tout le monde en conviendra. Pourquoi ? Parce que c’est un oxygène démocratique inépuisable, et que vu l’état maladif des poumons de la démocratie, il serait temps que chaque citoyen puisse respirer les données que Etats ou organismes d’Etats produisent avec leurs impôts, et l'on parle des impôts qui viennent des citoyens.

L'open-data c'est très cool. Tout le monde en conviendra. Pourquoi ? Parce que c’est un oxygène démocratique inépuisable, et que vu l’état maladif des poumons de la démocratie, il serait temps que chaque citoyen puisse respirer les données que Etats ou organismes d’Etats produisent avec leurs impôts, et l'on parle des impôts qui viennent des citoyens.

Ca libère le nez des citoyens en plus, ils ne sont alors plus obligés de respirer à travers le seul masque à gaz des chiffres et analyses des seuls experts, qui sont si régulièrement victimes, les pauvres, d’accusations de “conflits d’intérêts” (un terme élégant pour ne pas dire corrompus jusqu’à la moelle). Quant aux risques de pandémies calculées et propagandistes, peut être les citoyens pourront-ils trouver là aussi des raisons de considérer l'open data comme une sorte d'urgence sanitaire.

Ce principe d’open-data présente toutefois une faiblesse, qui vient de la fragilité psychologique des citoyens. Les données ne mentent pas, et si elles vont contre la croyance ou les convictions des citoyens préalablement "informés", ceux-ci peuvent alors prendre une peur bleue de les voir les data en mode open, prendre peur de regarder la réalité dans sa compliquétude en d'autres termes.

Imaginons que des données sur les chefs d’Etat et leur train de vie existent, et que l’on se rende compte que Ben Ali, par exemple, était un grand mécène, un ascète qui a donné la majorité de son argent pour aider son peuple ? Ou que les multinationales préservent l’environnement bien plus que les paysans traditionnels du tiers-monde ? Que les députés sont assidus à l’assemblée à 99% ?

Rassurez-vous, ce n’est pas le cas. Comme quoi, le monde des data est assez bien fait.

Mais, réalisons un petit test, avec des données mises en graphiques par des instituts scientifiques au sujet de la fonte des pôles. Parce que c'est très grave la fonte des pôles : des ours blancs meurent de noyade et les océans vont monter à un niveau tel que la moitié de la France sera submergée d'ici 2100. Whouuu, ça fait super peur.

Et les citoyens concernés par ces sujets, qui isolent leur logements pour économiser l'énergie, parce que c'est leur trop grande dépense énergétique qui participe à l'effet de serre, roulent avec des voiturettes vertes faiblement émettrices de Co2, ils aident à empêcher ce réchauffement qui fait fondre les pôles. Parce que l'effet de serre par le Co2 et les gaz à effet de serre, c'est pas de la rigolade, non, non. C'est par contre assez facile à comprendre, l'effet de serre, et d'ailleurs on l'enseigne dès la maternelle pour être bien sûr que dès le plus jeune âge il n'y ait pas de doute sur le sujet. C'est super simple à piger.

On sait que les enfants sont les meilleurs prescripteurs du bien de l'humanité. Et qu'un enfant "sait" spontanément ce qui est bon pour l'humanité, ils sont donc éduqués dès le départ. Et éduquent leurs parents aussi, qui sont souvent un peu cons, il faut bien le dire. Et on leur apprend que si il y a plus de Co2 chaque année, il y a plus de réchauffement, plus d'effet de serre : toutes les prévisions du GIEC sont calquées sur ce facteur. Et la fonte des pôles est donc une conséquence dramatique de ce phénomène absolument indiscutable. Ca ne peut que fondre un peu plus chaque année. Point.

Sans données, ça donne ce type d'explications :

Holalalala, mais c'est horrible ! Et ces ours, trop mignons, qui vont tous mourir, alors qu'ensemble on peut les sauver ! Dingue. Bien se rappeler de la rapide animation de la glace du pôle nord qu'on voit disparaître en accéléré.

Au secours ! Ca fond pas comme on veut !

Le réchauffement est global. Le seuil énoooorme de 391 PPM (particules par million en volume) de Co2 a été atteint : c'est grave, parce que la fonte des pôles a largement commencé et ne peut qu'augmenter (la fonte, hein, pas les pôles).

Que fait le citoyen qui a envie d'aller comprendre ce qu'il se passe ? Sans open-data, il regarde le film au dessus, la télévision, Nicolas Hulot, Yann Arthus Bertrand, et bon, l'affaire est entendue : les pôles fondent, quoi. Sacrément dans la merde on est. Genre, je ne fais pas de gosses et je me mets au bio Carrefour (on ne sait jamais).

Et avec l'open-data ? Et bien il récupère des relevés des observatoires des pôles. Sur leurs sites. Les sites des observatoires, les vrais quoi. Pas les sites des spécialistes en "optimisation carbone des organisations". Et ça donne ça pour le pôle nord :

Carte Observatoire Artic Roos
Carte Observatoire Artic Roos
Source : http://arctic-roos.org/observations/satellite-data/sea-ice/observation_images/ssmi1_ice_ext.png

Que voit-on donc ? La superficie de la glace de l'Arctique. Entre 2007 et 2012. De janvier à décembre. Mais aussi entre 1979 et 2006 (moyenne mensuelle). La première chose surprenante qui saute aux yeux, c'est que l'année 2012 est bien meilleure entre mars et mai que toutes les autres années antérieures. Hum… bizarre, on aurait juré que si c'est plus chaud tout le temps et que ça fond, 2012 doit voir la superficie de l'Arctique inférieure toute l'année. Bon, on est rassuré avec  les mois d'août-septembre octobre : c'est la pire année pour ces trois mois, les ours vont bien crever et on va tous vivre une catastrophe effroyable : on ne s'est pas abonnés au câble pour regarder la chaîne Planète qui nous explique que ça fond, pour rien.

Mais l'année 2009 ? C'est quoi cette année de merde ? Elle est meilleure que les précédentes ! Mais carrément meilleure, elle fait partie du haut du tableau, au point qu'en plein été elle est à 6 millions de Km2 alors que 2007 est à 4,5 ! Si ça chauffe de façon régulière, que ça fond de plus en plus, comment le pôle nord est super-plus étendu en 2009 qu'en 2007 ? Faut certainement chercher des réponses, aller voir plus loin…

Allons donc voir le pôle sud. Après tout il n'y a pas de raison, là-bas aussi ça craint niveau fonte, en mode media mainstream, voyez plutôt :

Ah carrément ! 10 ans ! Pfuiiii, c'est court. Et puis si c'est Europe1 et le chanteur de Trio qui le disent, ben ouais, c'est sûr que bon…

Mais quand même, avec des scientifiques et une télé qui fait son reportage, c'est mieux, plus sérieux :

La montée des océans plus importante que prévue ?

Oh pétard ! La télé de TF1 aussi, aidée d'un scientifique et de la revue "Nature" (c'est du lourd de citer "Nature") nous confirment nos pires craintes : le pôle Sud, c'est encore pire que celui du Nord, et les mecs du GIEC ont carrément sous-estimé le truc de la montée des océans ! Les spécialistes du climat modélisent mal le niveau futur des mers… Bon, on découvre que leur boulot n'est plus l'étude du climat mais de modéliser des prévisions de la montée des mers, c'est d'une logique implacable. Et scientifique, de toute manière.

Alors, si on va voir les datas d'un centre d'observation dans l'Illinois, qui bosse avec le GIEC d'ailleurs, qu'est-ce qu'il nous dit le Pôle Sud ?

Il nous dit ça, niveau superficie de la glace :

Source : http://arctic.atmos.uiuc.edu/cryosphere/IMAGES/seaice.anomaly.antarctic.png

 

Mais c'est quoi cette affaire ? Il ne diminue pas franchement le pôle Sud, hein ! Hola, y'a un truc qui cloche. Bon, l'Illinois c'est des ricains, ils sont tous libéraux, payés par les lobbies, c'est une bande de scientifiques libertariens à la solde des néoconservateurs. Ils en parlent pas des masses non plus de ce relevé de la glace du pôle sud, mais bon, le relevé, il est là. Alors comme on ne nous la fait pas, il suffit d'aller voir les températures du pôle Sud, en août, tiens, par exemple, entre deux années bien éloignées : 1980 et 2002. Là, tu vas voir ce que tu vas voir. Parce que si il y a du réchauffement, ça c'est certain au pôle Nord, on va le voir au Sud : en plus les scientifiques le disent à TF1, alors…

Source août 1980 :

http://igloo.atmos.uiuc.edu/ANTARCTIC/ANOMIMAGES/ant.t.anom.1980.08.jpg

Source août 2002 :

http://igloo.atmos.uiuc.edu/ANTARCTIC/ANOMIMAGES/ant.t.anom.2002.08.jpg

Mais qu'est-ce que c'est ce bazar ? Il fait plus froid sur de plus grandes zones en août 2002 qu'en août 1980 ! Mais ça ne va pas du tout, là ! Bon, comparons les deux courbes de changement de la surfaces de la glace entre Pôle Nord et Pôle Sud, sur une plus longue période, comme ça on va bien voir :

Ah ouais, c'est un peu plus compliqué que TF1, parce qu'en réalité, il n'y a pas moins de glace au pôle Sud au cours des 30 dernières années, mais plus, que la glace du pôle Nord a rétréci vers les années 90, de façon plus ou moins irrégulière, avec une chute en 2008 et une remontée spectaculaire l'année d'après…

Donc, ça a l'air de se réchauffer, mais pas de partout du tout, pas de façon linéaire, pas avec une fonte massive des pôles uniforme et surtout pas le pôle Sud. Mince, ça ne fait pas notre affaire. Un réchauffement qui bouge, qui ne suit pas la règle établie par le réchauffement officiel basé sur une règle de 3, c'est très ennuyeux. Les choses ne sont pas aussi simples que Arthus Bertrand et Hulot le disent ? Y'en a même qui étudient les influences des cyclones, des océans, des volcans, dans cette affaire.

Source : http://climate4you.com/images/MSU%20UAH%20SST%20GlobalMonthlyTempSince1979%20With37monthRunningAverage.gif

En 91 on voit le refroidissement atmosphérique (basse au dessus des océans) suite à l'éruption du Pinatubo, en 1998 il y a le cyclone El-Nino. Toutes ces données représentent la température mondiale moyenne mensuelle de la troposphère inférieure au-dessus des océans. Très intéressant pour réfléchir.

Global monthly average lower troposphere temperature above oceans since 1979, according to University of Alabama at Huntsville, USA. This graph uses data obtained by the National Oceanographic and Atmospheric Administration (NOAA) TIROS-N satellite, interpreted by Dr. Roy Spencer and Dr. John Christy, both at Global Hydrology and Climate Center, University of Alabama at Huntsville, USA. The thick line is the simple running 37 month average, nearly corresponding to a running 3 yr average. The cooling and warming periods directly influenced by the 1991 Mt. Pinatubo volcanic eruption and the 1998 El Niño, respectively, are clearly visible. Please note that the temperature scale is slightly different from the scale used in the two diagrams below. Reference period 1981-2010. Last month shown: September 2012. Last diagram update: 9 October 2012.

C'est quand même très agaçant. Tout ça ne colle pas parfaitement avec la théorie de l'ours et du Co2 seul responsable.  Il y a même les cycles solaires qui sont de la partie :

C'est décidé, je me désabonne du cable. Et bien que déçu de savoir que, peut-être, les ours blancs ne vont pas tous crever sous la fonte des pôles à cause de l'homme, je compte me rattraper en adoptant un militant écologiste dépressif. Ou le chanteur de Trio. Si on les nourrit bien, qu'on les câline, ils arrivent à remonter la pente et peuvent se mettre à étudier les choses en toute indépendance d'esprit. Avec l'open-data, par exemple…pour aller observer que l'augmentation en concentration du Co2 dans l'atmosphère est toujours présente à chaque réchauffement :

Une belle méthode pour la période post-carbonifère moyen, c'est l'utilisation de l'indice stomatique des feuilles fossiles de plantes vasculaires. On sait que plus il y a de CO2 dans l'atmosphère et moins il y a de stomates (indice stomatique faible). on montre ainsi qu'au carbonifère (300 millions d'années), la teneur en CO2 était probablement aussi faible que maintenant. Puis elle a augmenté jusqu'au Crétacé (5 fois la valeur actuelle). Des valeurs relativement élevées de la teneur en CO2 se sont maintenues pendant le Mésozoïoque (de 240 à 100 millions d'années). depuis cette teneur diminue (de 80 à 0 millions d'années). http://planet-terre.ens-lyon.fr/planetterre/XML/db/planetterre/metadata/LOM-co2-depuis-4ga.xml

Ah mais oui, mais non : c'est pas du jeu, seuls les experts peuvent interpréter toutes ces données, et les contribuables, eux ils devraient mieux se contenter de payer pour que ces données soient crées et seulement utilisables par les spécialistes.

On ne va quand même pas laisser les gens aller regarder par eux mêmes les choses ? Ah ben non. Réfléchir, c'est réservé aux seuls scientifiques : ceux qui permettent des consensus d'organisation onusiennes, par exemple ?

En fait, l'Open-data, ça craint, hein…?

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