Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Stanislas Jourdan

Les bourreaux de la crise passent-ils aux aveux ?

Banques centrales, FMI, plusieurs signaux tendent à montrer que les institutions largement coupables de l'aggravation de la crise financière sont en train d'opérer un virage idéologique en admettant leurs erreurs, devant les évidences factuelles, mais aussi la pression de nouvelles écoles de pensée. Le peuple a raison d'avoir mal au QE... Tout d'abord, la Banque d'Angleterre commence à battre en retraite.

Banques centrales, FMI, plusieurs signaux tendent à montrer que les institutions largement coupables de l'aggravation de la crise financière sont en train d'opérer un virage idéologique en admettant leurs erreurs, devant les évidences factuelles, mais aussi la pression de nouvelles écoles de pensée.

Le peuple a raison d'avoir mal au QE...

Tout d'abord, la Banque d'Angleterre commence à battre en retraite. Dans un intéressant rapport publié en juillet dernier à l'attention du Trésor britannique, la Banque centrale le reconnaît :  sa politique de quantitative easing n'est pas neutre sur la répartition des richesses. La Banque explique en conclusion de son étude (que corroborent les conclusions d'une autre étude universitaire venant tout juste de paraître) :

"En soutenant le prix d'une certaine gamme d'actifs financiers, les rachats d'actifs ont boosté la valeur de la richesse financière des ménages en dehors des fonds de pension, mais cela est lourdement asymétrique puisque les 5 % de ménages les plus riches possèdent 40 % de ces actifs."

La Banque tente certes de se justifier en invoquant le fait que sa politique monétaire a permis d'éviter un effondrement financier pire encore, mais trop tard, le mot est lâché : asymétrique ! C'est en effet sur ce point précis que le bât blesse : selon quel principe démocratique une banque centrale devrait-elle favoriser tel ou tel groupe de citoyens ? Selon quels critères ? Avec quelle légitimité ?

Le débat sur cette question semble émerger au Royaume-Uni. On vient ainsi d'apprendre que le comité du Trésor au Parlement britannique va lancer une enquête visant à élucider davantage encore les effets de la politique monétaire de la Bank of England et, en particulier, à identifier "les gagnants et les perdants" de celle-ci.

Voilà qui promet, d'autant que la Banque centrale est en phase de recrutement de son prochain gouverneur, le mandat de Mervyn King arrivant à échéance l'année prochaine. Déjà, des iconoclastes ont postulé.

Le FMI change de fusil d'épaule

Un autre bourreau qui essaye d'esquiver les critiques est le Fonds monétaire international. Dans le dernier rapport sur les perspectives économiques mondiales (pdf), l'économiste en chef du Fonds, Olivier Blanchard, reconnaît platement une mauvaise prévision de l'impact des redressements fiscaux sur la croissance. Dans La Tribune, Ivan Best résume :

"Le FMI examine ce que les experts appellent les multiplicateurs keynésiens, autrement dit l'impact sur l'économie des mesures d'austérité (ou de relance, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui). Si une réduction de dépense publique d'un euro entraîne une baisse du PIB d'un euro, le multiplicateur est alors estimé à un. Avant la crise, il était d'usage, c'était en tous cas celui en cours au FMI, de considérer que l'effet multiplicateur était limité à 0,5. Mais l'examen de la situation des grands pays industriels depuis le début de la crise conduit à réviser totalement cette estimation. Le multiplicateur serait actuellement compris entre 0,9 et 1,7."

En gros, le FMI explique que si la politique monétaire n'est pas assez accommodante et/ou que la croissance n'est pas assez soutenue, alors les politiques d'austérité sont vouées à l'échec. De là à dire que le FMI va soudainement promouvoir des politiques budgétaires expansionnistes, serait bien entendu exagéré. Le FMI reste le FMI, une arme reste une arme. Mais il s'agit tout de même d'un retournement de veste important qu'il va falloir surveiller de près.

Mais revenons à nos amies les banques centrales.

La Fed sort de ses réserves

De l'autre côté de l'Atlantique, un autre événement estival a également quelque peu bouleversé le paysage des banques centrales. Ainsi, lors de la dernière messe de famille des banquiers centraux, réunis annuellement à Jackson Hole aux États-Unis, la blogosphère US s'est notamment émue d'un papier du réputé économiste, Michael Woodford.

Dans ce long papier (pdf), l'économiste de l'université de Columbia défend -- sans vraiment le dire, mais c'est la règle... -- le NGDP targeting, une théorie en vogue dans les milieux anglo-saxons, selon laquelle la banque centrale devrait avoir pour objectif un certain niveau de croissance nominale du PIB plutôt qu'un objectif de maintien de l'inflation. Argument majeur de cette théorie : une croissance nominale soutenue, même inflationniste, est préférable à une faible inflation pouvant dériver en récession. En effet, cette dernière rend les dettes impossibles à rembourser.

Apparemment, la démonstration de Woodford (qui rejoint d'ailleurs la position de Charles Evans, le banquier central 'hétérodoxe' de la Fed de Chicago) a eu de l'influence au sein de la Fed. Lors d'une de ses dernières sorties, le patron de la Fed, Ben Bernanke, a ainsi annoncé un nouveau round de QE, mais cette fois-ci dans un esprit différent, puisque la Fed a explicitement exprimé le caractère illimité dans le temps de son intervention, tant que le chômage ne diminue pas suffisamment.

Comme l'explique The Economist, ce qui est significatif n'est peut-être pas tant la nouvelle politique de la Fed que les inspirations qui l'ont conduite, à savoir la blogosphère économique :

"Cela est en partie dû à l'efficacité de l'idée elle-même et des arguments déployés par Scott Sumner (N.D.A. le grand manitou-blogueur du NGDP targeting) [...]. Les blogs ont aidé son idée à trouver son audience. Et à mesure que l'audience a augmenté, Sumner a su trouver des points de vente pour promouvoir ses vues. Et à travers les blogs, les économistes qui ont adopté l'idée ont pu communiquer et approfondir leurs arguments, jusqu'à former ce qui a ensuite été reconnu comme la première école de pensée née sur internet : le market monetarism."

Pour l'hebdomadaire, cette décision de la Fed va constituer un véritable test grandeur nature du bien-fondé de cette école de pensée. Si non seulement les banquiers centraux commencent à reconnaître que leurs théories ne marchent pas bien et qu'en plus ils commencent à expérimenter d'autres méthodes... Comme un certain Nicolas dirait : tout devient possible !

Quand le vent tourne... les girouettes aussi !

Mais ne nous réjouissons pas trop vite, car est-ce bien surprenant après tout ? Quand l'acharnement idéologique ne produit pas seulement le contraire des effets escomptés, mais la colère des peuples en prime, il y a bien un moment où la raison reprend le dessus.

Non que les oligarques vont soudainement se mettre à servir l'intérêt général ou même prendre conscience de l'inconsistance de leurs modèles économiques. Le réveil, s'il en est un, n'est probablement que la simple prise de conscience que leurs intérêts privés ainsi que leur soif de pouvoir est, à un certain point, corrélé avec le bien-être de leurs subordonnés. Ou, pour paraphraser un certain chanteur français habitué de la controverse :

"On est certes pas du même monde, mais on est tous embarqués sur la même planète !"

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