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par Antoine Champagne - kitetoa

Les boites noires, Takieddine et Numericable

L’antienne « si je n’ai rien à me reprocher, je n’ai rien à cacher » a finalement eu raison de la mobilisation des défenseurs des libertés individuelles, vent debout contre les différents projets de loi sécuritaires (Loi sur le Renseignement, projet de loi pénal, …). La population n’a pas rejoint leur indignation. Les opposants à ces projets n’étaient pas tous des informaticiens anarchisants.

L’antienne « si je n’ai rien à me reprocher, je n’ai rien à cacher » a finalement eu raison de la mobilisation des défenseurs des libertés individuelles, vent debout contre les différents projets de loi sécuritaires (Loi sur le Renseignement, projet de loi pénal, …). La population n’a pas rejoint leur indignation. Les opposants à ces projets n’étaient pas tous des informaticiens anarchisants. On peut citer par exemple le Conseil de l'Ordre des avocats de Paris et son bâtonnier Pierre-Olivier Sur, le Syndicat de la magistrature, qui ont violemment critiqué cette loi ouvrant la voie à l’installation des fameuses « boites noires », un élément de langage intégré dans le débat par le gouvernement.. Dans les faits, ces boites noires sont une infrastructure permettant de siphonner tout trafic Internet et de le stocker pour une utilisation ultérieure. Il est compréhensible que le grand public n’ait pas mesuré la portée de ce texte et les risques qu’il fait peser sur tous les citoyens. Après tout, le sujet est technique, obscurci par un jargon de bon aloi et semble destiné à « protéger » la Nation contre les actions terroristes. En revanche, il est tout à fait paradoxal de constater que les hommes et les femmes politiques n’aient pas envisagé ce qui va inexorablement survenir.

Vous avez aimé l’affaire Takieddine ? Vous allez adorer la deuxième saison de cette série. Petit retour en arrière… Ziad Takieddine est un intermédiaire dans de gros contrats internationaux, notamment des ventes d’armes. On le retrouve ainsi au cœur des affaires Sawari II (Arabie saoudite) et Augusta (Pakistan). Sa très embarrassante proximité avec des hommes politiques français, les commissions exubérantes empochées lors de la signature de ces contrats ont été mises à jour lorsque son ex-femme a confié le contenu de son ordinateur aux enquêteurs en charge du volet financier du dossier Karachi. Sans ces traces informatiques, tout cela aurait pu rester confidentiel.

Dans un avenir plus ou moins lointain, avec la mise en place des fameuses « boites noires », l’affaire Takieddine va ressembler à une anecdote. Rares sont les présidents ou les gouvernements n’ayant pas utilisé à leurs propres fins les outils mis à disposition par les services de renseignement. Des écoutes de l’Elysée sous François Mitterrand aux fadettes des journalistes du Monde dans l’affaire Bettencourt sous Nicolas Sarkozy, la liste est longue. Il y a fort à parier que les boites noires serviront un jour à un gouvernement pour obtenir des informations sur des opposants politiques.

Cette fois, il ne s’agira plus seulement d’affaires financières. Toute la projection numérique des vies des hommes et femmes politiques sera à la disposition des indélicats. Leurs préférences sexuelles ou leurs éventuelles infidélités, leurs achats douteux via Internet, leur usage de stupéfiants, les petits arrangements et autres calculs politiques, tout ce qui sera passé par mail, visio-conférence, par des serveurs Web, même les mails restés en brouillons et jamais envoyés seront à la porté de ceux auront la main sur les boites noires.

La récente affaire impliquant un pauvre internaute accusé à tort de multiples téléchargements, et même de pédophilie, devrait cette fois faire réfléchir à la fois le grand public et les hommes et femmes politiques qui signent des chèques en blanc sur des sujets éminemment techniques à un gouvernement désormais en roue libre sur ces sujets. L’internaute en question a été victime d’une machine : le système automatisant la livraison aux enquêteurs des données d’identification des abonnés par Numericable. Lorsqu’il ne parvenait pas à identifier un contrevenant supposé, le système informatique de Numericable fournissait automatiquement aux enquêteurs l’adressse IP de cette personne, totalement étrangère aux méfaits supposés.

Donner la main aux machines, c’est toujours une histoire qui finit mal, comme le démontre l’allégorie du film Terminator. Une idée que devraient d’ailleurs méditer ceux qui pensent avoir trouvé une martingale dans le high frequency trading

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