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par Jet Lambda

Le salon de la mort vous salit bien

Milipol a ouvert ses portes, comme si de rien n'était, quatre jours après le 13 novembre. Tout était sous contrôle, les "mesures de sécurité" avaient été bien entendu "renforcées" pour "assurer aux exposants et visiteurs […] les plus hauts standards de sécurité et de sûreté". Inutile de faire les présentations de cette grande foire biennale des armes de guerre et des panoplies policières, qui partage les festivités avec l’État du Qatar une fois sur deux à Doha.

Milipol a ouvert ses portes, comme si de rien n'était, quatre jours après le 13 novembre. Tout était sous contrôle, les "mesures de sécurité" avaient été bien entendu "renforcées" pour "assurer aux exposants et visiteurs […] les plus hauts standards de sécurité et de sûreté".

Inutile de faire les présentations de cette grande foire biennale des armes de guerre et des panoplies policières, qui partage les festivités avec l’État du Qatar une fois sur deux à Doha. Une chose est certaine, en cette année 2015, grande première : un stand qui faisait partie du décor n'était pas présent au parc des expositions de Villepinte. Celui de Concern Kalashnikov, le consortium russe qui commercialise le fameux fusil mitrailleur AK-47. Quelques jours après une magnifique démo grandeur nature dans les rues de Paris, ce stand aurait eu de la gueule, comme en 2013 ou lors des précédentes éditions. Pas possible de savoir si ceci explique cela, en tous cas la société russe n'est pas référencée dans le catalogue des exposants diffusé cette année (les photos datent donc d'il y a deux ans).

Les armes à feu à Milipol, faut dire que ça reste une valeur sûre mais un brin folklorique. On a quand même eu l'occasion d'aller rendre visite à un autre fabricant de flingues qui tâchent, Verney-Caron, à la différence qu'il a su se diversifier. L'inventeur du flashball – pardon, on préfère parler de "lanceur de balles de défense" (LBD), nuance oblige puisqu'il s'agit d'armes "à létalité atténuée" - était là pour présenter sa grande nouveauté.

Sans doute l'effet Cop21: la petite baballe ressemble aujourd'hui à une mini balle de tennis, de couleur verte pomme (les modèles précédents étaient noirs beurk). Mais rassurez-vous, le projectile continuera de pouvoir blesser et éborgner les sauvageons avec la même efficacité. Un représentant est fier de souligner qu'à l'impact, "ça fera toujours aussi mal [sic], mais ça laissera moins de traces". Tout baigne.

La mode des drones de surveillance est toujours très vivace à Milipol, même si cette fois des start-up sont venues vendre leurs "solutions" pour détecter et détruire des petits objets volants qui constitueraient des menaces pour des sites sensibles ou stratégiques – les drones aperçus autour des centrales nucléaires ces derniers mois y sont sans doute pour quelque chose.

Pour sortir du lot, les ingénieurs fous de l'aéronautique commencent à voir plus grand. Comme cette petite boite franco-américaine basée à Toulon, Aero Surveillance. Elle a adapté un de ses engins, un mini-hélico de 40 kg, pour pouvoir embarquer des lanceurs Cougar de grenades lacrymogènes. Le maintien de l'ordre, mais vu du ciel. Pour cette belle contribution à rétablir la tranquillité publique dans nos belles cités menacées par les hordes barbares des ennemis de l'intérieur, Aero Surveillance s'est rapproché d'un professionnel de la grenade offensive : le groupe Lacroix, qui exploite déjà depuis longtemps le filon des grenades assourdissantes ou de désencerclement, armes de guerre urbaine qui ont mutilé des centaines de manifestants.

Les derniers "tests" de ce drone lacrymo ont été bouclés juste avant le salon. Cette exclusivité mondiale n'a pas échappé à Milipol News, la feuille de choux quotidienne distribuée dans les travées de la foire, qui a osé qualifier ce jouet de "premier drone armé français". Trop modeste, le PDG de la boîte, Philippe Roy, n'a pas apprécié ce compliment. Aux visiteurs qui venaient sur son stand admirer cette curiosité, il a préféré présenter son invention comme un "drone de défense et de protection". La belle blague. Il parait que cet arsenal a tout de même "intéressé de nombreux visiteurs de pays étrangers, y compris des professionnels israéliens toujours à l’affût de solution sécuritaires innovantes" (dixit la propagande de Milipol). C'est bien là l'essentiel.

Sans doute pour saluer l'instauration de l'état d'urgence, les "solutions anti-émeutes" ont soigné leur communication. Renault Trucks présentait ainsi son dernier bijou, le Sherpa APC, un blindé de dix tonnes capable d'«évoluer aussi bien en tout terrain grâce à une très haute garde au sol qu'en environnement urbain". Dommage: le modèle dernier cri, équipé d'une échelle d'assaut géante, était invisible sur le stand du ministère de l'Intérieur. "En raison de la situation actuelle, proclamait une discrète affiche, ce véhicule n'a pas pu être exposé" (cf photo ci-dessus). Milipol News tenait ainsi ses lecteurs en haleine: "Le Sherpa du GIGN n'est pas sous les sunlights, il est dans un garage, prêt à intervenir". Du matos "doté d'une protection héritée du monde militaire, et dont on sait aujourd'hui [qu'il] n'a rien d'un luxe face à la puissance de feu affichée par les terroristes".

On ne va pas y passer des heures non plus, à propager la bonne parole sécuritaire. Ah si quand même, un dernier pour la route : Iris Viséo, un véhicule de surveillance et de pacification des villes qui devrait faire fureur dans les polices municipales. "Le meilleur  compromis que l'on puisse trouver entre l'homme à pied ou à cheval et le véhicule classique", dixit un des managers de cette boite bien de chez nous. Le truc a même gagné le dernier concours Lépine européen. Lui aussi est bon pour le climat – tout électrique, blindé de batteries au plomb —, sa cabine télescopique peut culminer à 3,50 m et résister à un vent de 130 km/h. On attend avec impatience des tests grandeur nature, in situ, pour estimer le nombre de manifestants, cagoulés ou pas, dont il faudra disposer pour lui faire mordre la poussière.

Finalement, on aurait même pu se tromper d'endroit en arrivant à Villepinte pour aller jouer aux petits soldats à Milipol. Comme on peut le voir sur l'image ci-dessous, le hall 1 était occupé par un autre salon qui assurait le service après vente.

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