Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par Yovan Menkevick

Le populisme expliqué à mon fils

(Il est des époques où certains phénomènes méritent d'être discutés, explicités, mis en lumière sous peine de se satisfaire d'approximations qui pourraient nous laisser un goût amer par la suite) Populiste ! Vous êtes un populiste ! Aaaaaaah l'insulte politique suprême est lancée à tout-va et remplace désormais l'ancienne dénomination, vous savez, celle de démagogue.

(Il est des époques où certains phénomènes méritent d'être discutés, explicités, mis en lumière sous peine de se satisfaire d'approximations qui pourraient nous laisser un goût amer par la suite)

Populiste ! Vous êtes un populiste ! Aaaaaaah l'insulte politique suprême est lancée à tout-va et remplace désormais l'ancienne dénomination, vous savez, celle de démagogue. Mais c'est pas pareil un(e) populiste et un(e) démagogue, non, non, non, monsieur, démagogue, c'est moins pire (enfin ça reste à voir, ce que nous allons tenter de démontrer). On peut être un grand démagogue sans être populiste. Bon, l'inverse, difficilement, c'est vrai. Mais ce populisme dont on nous parle de plus en plus en Europe, en France aussi, qu'est-ce que c'est exactement ? Une nouvelle façon de faire de la politique, un truc post nazi, simplement nationaliste ou bien encore autre chose ?

Le populisme, un truc assez vaste…

Allez, essayons de dépasser le point Godwin d'entrée de jeu, pas la peine de se cacher derrière son petit doigt : le plus grand populiste de tous les temps est-il bien le petit moustachu énervé qui a envoyé à la mort de façon industrielle plus de 6 millions de personnes il y a 70 ans ? En un sens oui, en un sens non. Il y avait une dose de démagogie assez colossale chez le moustachu, de populisme aussi, par certains aspects. Parce qu'un populiste est avant tout quelqu'un qui assoit son discours politique sur la critique des élites et établit qu'une reprise en main par le peuple est nécessaire. Le nazisme s'est bien appuyé sur des discours de critiques des élites (les banquiers juifs en particuliers), mais pour remettre le pouvoir au peuple, avec la théorie du "guide de la nation", et l'établissement officiel du titre de dictateur, nous sommes loin du compte. Le Führer ne semblait indiquer une quelconque envie de lui faire confiance, au peuple. Le super-guide de la nation était surtout un fan de lui-même et de ses théories délirantes de race supérieure. Parce qu'il nous faut bien préciser quelque chose : le populisme, s'il est aujourd'hui utilisé en France pour définir avant toute chose les extrêmes-droites, les nationalismes de tout crins, il n'est pourtant pas que cela. Loin de là.

L'extrême droite : le populisme qui paralyse la France

Le populisme n'appartient pas qu'à l'extrême droite, et ce n'est pas parce que ce courant politique est agité comme un épouvantail depuis 25 ans pour apeurer la population et la forcer à admettre un peu tout et n'importe quoi venant des courants politiques majoritaires qu'il faudrait s'empêcher de réfléchir. Pas grand monde (4,8 millions d'électeurs ont voté FN en 2002 sur 28,5 millions de suffrages exprimés) n'a envie de voir la famille Le Pen accéder au pouvoir : les discours du FN sont assez parlants pour que l'on sache à quoi s'attendre. La mise en cause d'une catégorie de la population (les étrangers, ou d'origine étrangère), les solutions simples et redoutables (la peine de mort, l'Etat policier) sont là pour nous rappeler quel est le programme de ce parti. Mais il est bien pratique de pointer Marine et ses copains comme populistes pour ne pas aller voir les autres populistes français, et se demander s'il n'y aurait pas là dessous des vérités dérangeantes. Parce qu'être populiste c'est avant tout dénoncer un système, des élites corrompues, vendues à des intérêts privés et qui auraient capturé la démocratie à leur propre bénéfice et à l'encontre de l'intérêt du peuple. Ce qui, vous en conviendrez, en ces temps difficiles et obscurs, ne semble pas entièrement idiot.

Populisme de gauche ?

Mais oui, mais oui, le Front de Gauche (vous remarquerez que c'est encore un front, décidément) est avant tout un parti populiste. Le discours de son candidat est très clair, il écrit même des livres à ce propos : "qu'ils s'en aillent tous !". L'idée centrale du populisme, si elle est de reprendre à des intérêts particuliers des pans entiers de l'Etat capturés par eux pour les redonner au plus grand nombre, et donc pour en faire bénéficier le peuple, est aussi d'avoir des solutions simples et efficaces qui règleront les problèmes. Des solutions de bon sens populaire, quoi. Jean-Luc Mélenchon dénonce la captation de l'économie par les oligarchies financières, l'asservissement des élites politiques aux groupes d'intérêts privés, exactement de la même manière que Marine Le Pen. Les solutions simplistes ? Marine Le Pen est contre les privatisations, idem pour Mélenchon, dénonciation de l'Europe libérale, des oligarchies, de la finance internationales, leurs constats et leurs solutions politiques sont très similaires, sauf sur la partie "immigration et sécurité"…et quelques points de détails économiques. Mais le fond de leur pratique politique reste le même.

Alors, tous dans le même sac ?

Il paraît difficile de mettre tous les œufs dans le même panier et confondre l'art et la méthode. Il faut entendre par là, si l'on pratique l'analogie, que critiquer la politique d'Israël ne doit normalement pas faire de vous un antisémite. Mais de nos jours, justement, il devient très très difficile de ne pas être amalgamé sur ces sujets. Sur le populisme, tel qu'il se  déploie au pays des 450 fromages, une chose est certaine : la mise en cause de l'oligarchie économico-politique en est le carburant. Et si l'on observe bien les discours actuels, il est facile de remarquer que le populisme pur et dur n'est jamais activé par les grands partis de gouvernement. Et puis on a accolé populisme à poujadisme, et le parti des Le Pen est issu du poujadisme. Dans le même temps, l'UMP comme le PS ne dénoncent pas la captation de pans entiers de l'Etat par une élite. Et pour cause, s'étant partagée le pouvoir depuis des décennies, cette élite économique, financière, politique est toujours en place. La plupart des élus et membres des gouvernements successifs des grands partis font partie de cette "caste" ou sont leurs amis. Pourtant le populisme des partis de gouvernement existe bel et bien. Mais il est plus vicieux, plus rampant, basé sur la création de consensus populaires sur des thèmes fédérateurs comme la sécurité, la lutte contre la fraude, la récidive criminelle. Mais dire cela, n'est-ce pas déjà du populisme ?

Le populisme, un paravent bien pratique

Comme pour la critique d'Israël qui vous fait basculer très vite dans l'antisémitisme, la critique des élites, la dénonciation d'une démocratie dévoyée, capturée au seul profit d'une minorité au détriment du peuple, mène invariablement à l'accusation de populisme. Mais il est bien pratique d'avoir une Marine Le Pen qui dénonce la politique de l'Union Européenne, la main-mise des grands trusts sur les décisions économiques, la finance folle etc…Parce que celui qui ose faire les mêmes constats se retrouve avec un discours semblable à celui de la fille du borgne, assimilé à elle. Pratique non ? Ainsi l'ennemi (l'extrémiste, le populiste) est bien cerné. Et qui ne se permet jamais, oh, grands dieux, non, jamais, de critiquer les vénérables institutions, le système tel qu'il est devenu ? Mais nos charmants démocrates-républicains de droite et de gauche ! UMP ou Socialistes, qui se targuent de ne pas plonger dans la "fosse du populisme", eux qui ont voté massivement "oui" au traité constitutionnel européen en 2005. Et laissé celui de Lisbonne, être ratifié au parlement en 2007 contre l'avis de la population, population ayant dit "non" par référendum 2 ans auparavant…à 56%.

Quand le populiste bouffe à tous les rateliers…

Pour ceux qui ont suivi la série des origines de la crise, la partie indiquant comment la "financiarisation" de l'économie, la création de la dette se sont mises en place, entre autres grâce à la loi Giscard en 1973, ne vous a pas échappé. Et bien, il est assez effrayant de voir la présidente du Front National expliquer mot pour mot la même chose. Au point d'être devenue une anti-mondialiste convaincue et prétendre ne pas être d'extrême-droite.

Mais dans ces cas là, il faut plonger dans l'histoire  récente et aller regarder ce que disait le FN dans les années 80, 90 et 2000. Pas compliqué : c'est un parti qui a toujours été, niveau dogme économique, résolument libéral et d'extrême droite, jusqu'à…l'arrivée de la fille et de ses nouveaux discours. Le poujadisme qui a inspiré Le Pen père est un courant populiste défenseurs des petits commerçants et des artisans. La conversion pour les théories alter-mondialistes est très récente, puisque pour la campagne de 2007, le Pen avait embauché un proche de Raymond barre (Barre, ministre de l'économie de Giscard…), ancien centriste, afin qu'il lui concocte son programme économique. Extrait d'un article de l'express.fr sur les propositions de Jean-Marie Le Pen en mars 2007 : "Il a notamment préconisé de "desserrer l'étau fiscal", en diminuant l'impôt sur le revenu du travail et l'impôt sur le bénéfice des sociétés. "Il faut inciter nos compatriotes à s'enrichir pour valoriser le travail, l'effort et le risque", a dit le président du FN, timidement applaudi à son arrivée dans la salle". On est loin de la défense sociale anti-privatisation de la fille. Et quand deux populistes "déclarés d'extrêmes opposés" se croisent, ça donne ça :

Se rappeler que Jean-Luc Mélenchon a été sénateur socialiste durant 24 ans, aujourd'hui député européen, grand pourfendeur des riches et des "profiteurs", qui appelle à "une révolution citoyenne" ne manque pas de sel : un député européen émarge à 120 000 euros annuel en comptant tous ses avantages cumulés et ses rémunérations, comme vous le verrez plus bas, sont…facilités par un système de triche assez cocasse. Quant à Marine Le Pen, en donneuse de leçons anti-privatisations, c'est surréaliste. Mais au fond, le problème se situe-t-il dans la montée en puissance des populismes ou bien dans le fait que ces populismes s'appuient sur des réalités excessivement dérangeantes ? Parce que ce qu'ils dénoncent, pointent du doigt à tort et à travers, n'est-ce pas un faisceau convergent de soupçons désormais bien connu des peuples ? Le reportage qui suit, sur la "paye journalière" au parlement européen démontre en tout cas une chose : le règne des politiques, de tous bords qu'ils soient, est en phase terminale, et ce, par leurs propres fautes.

Alors, si les populistes, de n'importe quels extrêmes parviennent à convaincre des masses importantes d'électeurs, il faudra très certainement que le système politique dans son ensemble se remette en cause. Mais en fin de compte, ne serait-ce pas, malheureusement, le mieux qu'il pourrait arriver ? Parce qu'on se demande parfois si la pratique des élites et des élus n'est pas celle du "tendre le bâton pour se faire battre"…

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