Journal d'investigation en ligne et d'information‑hacking
par drapher

Le jour du début [global zero day] (3)

Zero Siège de la DGSI, Levallois Perret, France, le 4 décembre 2017 — "Nous n'avons pas d'autre choix, c'est une question de survie, monsieur le Ministre". Le directeur général de l'ANSSI observait la petite assemblée comme à travers une bulle déformante. Il n'avait pas dormi depuis trente six heures et son cerveau était dans le même état que les jambes d'un coureur de fond après un marathon.

Zero

Siège de la DGSI, Levallois Perret, France, le 4 décembre 2017

— "Nous n'avons pas d'autre choix, c'est une question de survie, monsieur le Ministre".

Le directeur général de l'ANSSI observait la petite assemblée comme à travers une bulle déformante. Il n'avait pas dormi depuis trente six heures et son cerveau était dans le même état que les jambes d'un coureur de fond après un marathon. Expliquer les finesses techniques de protection des réseaux aux crânes d'œuf du gouvernement ou à leurs conseillers était une mission impossible. Il fallait leur donner des images métaphoriques, des statistiques pour qu'ils puissent piger ce qu'il se passait, un tant soit peu. Et surtout, les convaincre des actions techniques à mener pour éviter que les communications du pays, dans leur ensemble, soient détruites.

l'Assemblée réunie autour de la longue table de réunion de crise, dans le bunker, était silencieuse. Tout le monde attendait la réponse du ministre de l'Intérieur. — "Vous ne m'offrez pas beaucoup d'options, Patrick. — "Je vous donne les éléments que nous avons. Les préconisations d'urgence sont là, mais c'est à vous de décider. Isoler le pays d'Internet en déclenchant Aurore est le seul moyen de s'en sortir pour l'instant, c'est ce qu'on pense à l'Agence, en tout cas. Une main se leva. Le chef de l'agence nationale de sécurité des systèmes d'information fronça les sourcils et donna la parole à celui qui voulait intervenir. Il savait juste que c'était un membre du cabinet du Premier ministre, un type plutôt jeune, à peine quarante ans. — "Oui ?" — "Vous avez parlé de solutions locales, de réseaux alternatifs qui ne sont pas touchés. Vous pouvez nous en dire plus ? On pourrait s'appuyer dessus ?" Patrick Toura soupira. — "Ce sont des réseaux de hackers, on va dire. Des opérateurs associatifs qui ont eu les autorisations depuis des années, avec des administrateurs réseaux qui maintiennent des connexions de quelques centaines d'abonnés, des barbus en général." — "Des barbus ?" — "On les appelle comme ça parce qu'ils sont dans des communautés de défense d'Internet, et qu'ils ont souvent des barbes ou qu'ils s'amusent à s'appeler comme ça entre eux parce qu'ils pratiquent l'équivalent des systèmes Unix des années 70, mais on s'égare un peu, là…" — "Attendez." La voix du ministre s'était emballée. Il se leva. — "Les opérateurs nationaux sont en partie inaccessibles, la population n'a majoritairement plus d'accès réseau, mais il y a encore des endroits où c'est possible, où le virus n'est pas entré, et on ne fait rien pour utiliser cette ressource ?" — "Ce n'est pas vraiment un virus, et…" — "Epargnez-moi vos explications techniques. Tout le monde comprend quand je parle de virus. Qu'est ce qu'on fait avec ces réseaux de barbus ?" — "Il se sont débranchés du net, mais ils ont monté leurs propres resolveurs sur leurs réseaux, et on pense qu'ils arrivent à maintenir des serveurs qui informent une partie de la population. Ils sont allés très vite, et des antennes wifi longue portée ont été encore installées ce matin, des membres de leur fédération sur Paris pourraient être reliés dans la soirée…" Le ministre pointa de son index un peu tremblant le responsable de l'ANSSI : — "Vous activez le plan Aurore, j'accepte que tous les nœuds de sortie soient coupés. Je fais une déclaration ce soir sur toutes les chaînes : l'isolement réseau du pays débute le plus vite possible. Mais je vous préviens, si ça empire, vous allez le payer. Quant aux barbus envoyez-leur des équipes techniques pour voir ce qu'on peut faire. Ah oui, et convoquez-moi leur chef, s'ils en ont un…"

Zero-un

Locaux d'Interpol, quelque part en Europe, le 4 novembre

Jonas Reckler regardait l'assistance comme un zoologiste observerait un banc de poissons rouges dans un aquarium. Il portait son unique costume vieux de plus de 30 ans, et se dit qu'en fin de compte c'était une bonne chose de ne pas avoir réussi à trouver de cravate. Il se gratta la barbe en attendant que les gens en face de lui arrêtent de parler. Il était patient, et comme il ne fréquentait pour ainsi dire plus personne depuis plus de 15 ans — à part les gens du labo — la situation avait le don de l'amuser. Une sorte de distraction passagère. L'un des pontes de l'agence de renseignement européenne venait de finir son speech et le présenta brièvement aux autres. "Spécialiste en intelligence artificielle, informatique quantique, bla-bla-bla…"

On lui posa une question, enfin. Il sourit et se mit à parler. Tranquillement. Sans élever la voix. Cinq minutes de long monologue. Quand il eut fini, l'assemblée était silencieuse. Les regards se croisaient, incrédules. Jonas savait qu'il avait fait son petit effet. Et ça lui plaisait. Une voix s'éleva, féminine, plutôt jeune : — "Vous savez donc ce qu'il se passe, et vous pensez que ce code a échappé à ses concepteurs ? Mais vous nous dites aussi que ce n'est pas un code "normal", qu'il a été généré par une machine en partie quantique, un D-Wave, potentiellement." — "C'est bien ça. Certainement celui acheté par Google, et qui été modifié cette année." Il sourit de nouveau, gratta sa barbe, et eut soudainement très soif. — "Vous n'auriez pas une bière ?" Deux types en costume noir se levèrent de concert et sortirent de la pièce. Le barbu obèse avait fermé les yeux et l'assemblée sut instantanément qu'il fallait attendre. Personne n'ouvrit la bouche jusqu'à que les deux costumés revinrent avec une canette de bière. La femme reprit : — "Vous n'avez pas parlé des morts, ni des divergences." Jonas Reckler avala sa salive. C'était la partie la plus difficile. La plus risquée aussi. — "J'ai une théorie, mais je ne sais pas si elle va vous plaire. Pas du tout…"

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